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Monsieur Cagole ? Rien à voir avec la folie que le mistral du sud peut parfois révéler, ou l’expression méditerranéenne. Cagole est le tendre surnom donné à un homme, résigné à vivre cagoulé et ganté à cause de son eczéma purulent. Un homme qui rappelle Elephant Man. Qui ne cesse de hurler, en son for intérieur, qu’il est un être humain.
Cet homme, Cagole, qui se considère comme un lépreux rongé par des « cafards », ne souffre pas tant de sa maladie que de la mort de son cheval Pinocchio, lorsque l’on fait sa connaissance. Pinocchio avec qui il avait « découvert la douceur et le respect ». Car Monsieur Cagole est un cavalier émérite et honoré. Après la mort de son cheval, le destin va le déposer palefrenier, sur la route d’un cirque : « Mais ce n’était plus grave, puisque je demeurais dans le mouvement de la vie ». Son rendez-vous ? « Dans la vie, enchaîna-t-il, quand il nous arrive un imprévu, une coïncidence, on pense que c’est un hasard… Un hasard n’existe pas. Le hasard existe. Le hasard est là à côté de soi et vous accompagne toute votre vie. (…) Et dis-toi que quand tu croises un hasard, c’est le hasard qui veut bien se montrer. (…) c’est votre ange gardien ».
Monsieur Cagole se retrouve au contact de personnages bienveillants, dont la bonté et la sincérité sont profondes et authentiques, jamais galvaudées. « Il est des âges où l’on commence à comprendre les choses, ajoutai-je, il est des pages où l’on sait que la vie est devant soi et qu’il vous faudra choisir. Jouir du plaisir ou posséder. Demeurer ou fuir. Travailler ou paresser. Choisir. »
Au son de répliques savoureuses et poignantes, comme autant de réflexions et de métaphores sur les sentiments. « Etre clown. Cela ne s’apprend pas, on l’a en soi, dit-il sans même me regarder, on naît clown, on ne le devient qu’au bout de quelques années. Après avoir senti le monde et respiré ce qui vous entoure ».
« La tristesse n’a pas de fond, me dit-elle. Avec le désespoir, on se cogne. Avec l’amour, on se croise. Avec la vie, on se heurte. Mais avec la tristesse, on glisse. La tristesse n’a pas de fond ».
« Peu de gens provoquent l’avenir. Il faut provoquer l’avenir, il faut être fou pour provoquer le destin. (…) Dans l’équilibre, il y a le déséquilibre et dans le déséquilibre, il y a l’équilibre. Seul le mouvement permet d’accéder à l’équilibre ».
« Le calme fait avancer, dit-elle doucement. Trop d’audace fait tomber. Trop de peur fait stagner. »
L’on pourrait extraire ces citations à l’infini, elles emplissent l’esprit de générosité et de douceur. L’on serait presque tenté d’apprendre le roman par cœur, pour avoir mille petites occasions romantiques et bleutées de les révéler à un amoureux, sous un ciel étoilé.
Karol Rouland a ce talent : celui d’une funambule. Celui d’écrire une belle histoire, simple, crantée d’amour et remplie d’humanité, au cœur de la terre et de la sciure du cirque, un univers peu exploré que l’on découvre avec joie. L’enfant, en nous, se réveille. La magie opère. Et bientôt Cagole va renaître, car Karol Rouland est une acrobate.
Mais que l’on ne se méprenne pas : équilibriste s’apprend et nécessite rigueur et discipline. Comme écrire. Karol Rouland rédige une nouvelle, puis une ébauche de scénario, passe ensuite à l’écriture romanesque, avant de revenir au scénario une fois le roman achevé, dans l’idée de l’adapter au cinéma. Une acharnée du travail, méticuleuse du détail.
Le résultat est à la hauteur. Ces romans font partie d’une catégorie particulière : l’on ne veut pas les quitter, car alors, silence, solitude et nostalgie nous attendent. Lorsque les personnages s’en vont, le cœur se déchire. Comme un cirque qui quitte la place d’un bourg pour une autre destination, un soir d’été, sans avoir prévenu.
« Monsieur Cagole », roman de Karol Rouland (Archimbaud éditeur, Riveneuve éditions). Préface de Jean-Pierre Mocky, 164 pages, 18 euros.
« J’aime ce livre. Profondément. Peut-être parce que le cirque me fascine depuis toujours. Peut-être parce que j’ai travaillé avec Fellini et Tati qui venaient du cirque comme Buster Keaton et tant d’autres. Et puis, c’est bien : c’est très bien écrit. Souvent, en le lisant on a la gorge serrée ».
Jean-Pierre Mocky se dévoile et offre un peu de son intimité et de ses sentiments, n’est-ce pas rare ? Suffisamment pour ne pas passer à côté : le cirque a-t-il ce pouvoir-là ?
Jean-Pierre Mocky pourrait incarner « Monsieur Cagole ». Lui aussi est souvent incompris, et suspendu sur un fil. Derrière une personnalité difficile à cerner, Jean-Pierre Mocky se confie avec pudeur. Il révèle son amour pour les animaux : il a adopté un lionceau perdu sur un trottoir de Cannes, un soir de festival, qu’il a élevé un an avant de l’offrir à un zoo. Il a vécu avec un boa qu’il avait fait jouer dans un film (« Le boa n’est pas venimeux !» précise-t-il à la manière d’un enfant qui chercherait à justifier une incongruité).
Enfant, son meilleur compagnon, offert par son père était un ours. Pas un ours en peluche, un ours. Un vrai.
Quoi de plus facile, lorsqu’il raconte cela, de reconstituer la cohérence de son parcours ! Assistant de Jacques Tati et de Federico Fellini, à l’honneur cette année avec cette sublime photo extraite de "Huit et demi", qui recouvre la Croisette. Ami de Serrault, d’Etaix. Son univers est parsemé de clowns. Le cinéma, pour lui, est le prolongement naturel du cirque. Ce cinéma qui fait rêver et réveille l’enfant en chacun de nous, comme le cirque nous émerveillait et suscitait notre curiosité, mômes. Le cinéma de Mocky rend hommage à Chaplin, à Keaton, à Laurel et Hardy. Et son Mocky Circus au comique. Pourtant ses films ne seront pas qualifiés de « comique ». C’est cela Mocky : l’art de l’équilibre, le clown blanc qui accompagne le noir. Peut-être cela lui vient-il de son passé de trapéziste ?
Jean-Pierre Mocky, « Monsieur Cagole » : des clowns atypiques, que Karol Rouland a su réunir avec tendresse.