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Bande de Filles
Bande de Filles

"Bande de Filles", Drame (1h52), de Céline Sciamma

Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Idrissa Diabaté

En 1984 dans les Hauts-de-Seine, c’était l’époque de l’errance adolescente, aux 4 temps, centre commercial de La Défense, 92, Puteaux. A l’époque, on traînait en bande autour de la patinoire, qui constituait l’un des endroits majeurs, aussi important que la « Main Jaune », où erre la « Vic » de « La Boum ».

Trente ans plus tard, il s’agit d’une autre Vic, filmée à La Défense, qui demeure un lieu de bandes de filles, où il est question d’affirmation de soi et d’affranchissement, même si la patinoire a disparu.

Lorsque j’ai visionné le film de Céline Sciamma, j’ai trouvé cela vu, revu, banal. J’ai été déçue. Le centre commercial des 4 temps transposé 30 ans plus tard, aménagé aseptisé, propre et net, cela n’était pas crédible, cela ne correspondait pas à ce que j’y avais vécu. Je trouvais qu’elle avait choisi la facilité, après ses précédents films si subtils, sur la quête de soi, en particulier Tomboy.

Et puis les mois ont défilé jusqu’à la sortie du film en salles, et j’ai réfléchi. A l’âge des bandes de filles qu’elle filme, tout était pareil et tout était différent « à mon époque ». Ce qui diffère ? Elle filme une bande d’Africaines : « Nous », nous étions mélangées, pas moins audacieuses ou irrévérencieuses. Il fallait s’en sortir, prouver que l’on existait, se démarquer de la famille, d’un père, ou/et de frères tyranniques, et cela ne vaut pas que pour les Africaines. Nous n’écoutions pas Rihanna mais Jeanne Mas ou Cyndi Lauper, peut-être Catherine Lara, qui déjà évoquait une croqueuse de diamants. Le walkman à fond, nous dansions aussi sur les lits, nous louions déjà des chambres à l’hôtel de la Porte Maillot, au Palais des Congrès. Sous nos regards bas et trop fardés, nous dérobions des fringues au Fiorucci de Neuilly-sur-Seine et courions pour échapper aux vigiles, sourire aux lèvres parce que nous avions réussi à les défier ; Nous regardions les garçons l’air gênées mais envieuses de découvrir ce qu’ils pouvaient nous apporter lorsque nous divaguions au Forum des Halles, nous laissant draguer par des zonards en roller-skates. Nous portions déjà des Stan-Smith, des bandanas et des 501, nous nous appelions aussi Marieme et changions d’identité. Nous étions moins sages que la Vic de "La Boum". C'étaient nos 16 ans. Nous étions solidaires les unes envers les autres, dans le métro et ailleurs, nous menacions d'autres bandes, déjà. Que nous venions de cités ou d’immeubles plus bourgeois.

Au fond, peut-être n’ai-je pas aimé le film de Céline Sciamma, parce-que la réalisatrice s’empare de « mon » adolescence, du prix à payer pour grandir, sans me demander l’autorisation. Elle rend universelle « mon » histoire, et celle de milliers de filles, qu’elles soient noires, blanches, arabes, juives, françaises, d’origine arménienne ou d’ailleurs, ces filles brimées, traitées de putes, battues, bafouées, ignorées, méprisées, parce qu’elles émettent des opinions auxquelles elles ont réfléchi, des avis construits et argumentés, parce qu’elles ont envie de décider de leur vie, des filles tout aussi audibles et crédibles que les hommes qui les entourent. Dussent-elles se dénuder et se tatouer pour y parvenir, comme Rihanna, ou dealer de la drogue. Le prix de leur apprentissage et de leur place, elles l’assument, la tête haute, quels qu’en soient les risques.

Céline Sciamma me touche parce qu’elle rend léger des sujets difficiles, ceux du passage d’un palier à l’autre, ceux qui parlent de la construction de soi, de l’identité, et à chaque fois elle réussit son coup. En l’espèce, aucune des jeunes filles de la bande en question n’est actrice de profession : toutes ont été repérées en errant aux … 4 temps, et elles illuminent l’écran, fières qu’une bande d’Africaines tapisse les murs des stations de métro et ceux du centre commercial des 4 temps, à La Défense. Peut-être est-ce le lieu de tous les espoirs pour les filles qui veulent se construire un avenir solide, en quête de sens ?

Film d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes 2014

L’actrice Karidja Touré, qui interprète Marieme/Vic, a reçu le prix révélation féminine par le magazine ELLE France

Céline Sciamma et Karidja Touré, prix révélation du magazine ELLE France

Céline Sciamma et Karidja Touré, prix révélation du magazine ELLE France

La bande de filles de Céline Sciamme

La bande de filles de Céline Sciamme

Tag(s) : #Cinema
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