Avec Marie-Claude Pietragalla et Eric-Emmanuel Schmitt
Mise en scène de Steve Suissa au théâtre Rive Gauche
Au théâtre Rive Gauche ce mois-ci, comme au XIVème siècle, le théâtre, la musique et la danse forment un tout artistique, qui restitue les émotions et la part de liberté qui existe dans un couple. Est-on libre d’aimer ? Aime-t-on malgré nous ? C’est à cette question existentielle universelle que tente de répondre ce couple que tout oppose a priori : « Pietra », comme Eric-Emmanuel Schmitt surnomme sa partenaire, la danseuse et chorégraphe Marie-Claude Pietragalla, étoile du ballet de l’Opéra national de Paris. Ils sont complices et respectueux l’un de l’autre : « On se soutient dans la peur, on respecte l’artiste libre et entreprenant avec lequel on partage cette aventure ». Car aucun des deux ne nie subir le trac. Et ensemble, ils sont fiers de défendre un texte humaniste, et de relever ce défi.
Lorsque l’on écrit, exercice solitaire, animé par mille voix intérieures ou que l’on danse et dirige un ballet, est-il évident d’être mis en scène au théâtre, et de s’exposer ? Marie-Claude Pietragalla affirme s’être laissée investir par son personnage, « entrer dans l’état de mon personnage » explique-t-elle, pour « exprimer l’émotion à travers le verbe et la parole tout autant que par la gestuelle ». Elle avoue avoir pris des cours de chant pour placer sa voix grave (et sensuelle), être sans cesse à l’écoute de la respiration de son partenaire, pour trouver une sensibilité commune, mais aussi attentive aux réactions du public. Eric-Emmannuel Schmitt loue ses qualités contradictoires : « un feu intérieur indomptable complété d’un contrôle et d’une exigence dignes d’une grande danseuse ». Une personnalité théâtrale, au sens noble. « Pietra » n’en finit pas de répéter, et se filme pour trouver le ton qui convient, creuser l’émotion, la sculpter. Pour Eric-Emmannuel Schmitt, le challenge était différent : «Je devais trouver ma voix-voie au premier degré, ignorer l’écrivain, quitter mon point de vue d’auteur, prendre de la hauteur ». Ce travail leur a permis de s’approprier la douleur (elle) et le plaisir (lui), la vengeance (elle), la naïveté (lui), pour atteindre « la sincérité, plus belle protestation d’amour ». Ils ont accordé leur confiance au metteur en scène Steve Suissa, tout à la fois force de proposition et dans le dialogue, ses silences s’avérant parfois plus directifs que ses paroles ou intentions. « On sait qu’on est des personnalités, mais on ne sait pas que nous sommes des acteurs, Steve rassemble, synthétise modèle tout ce qui nous compose », précise Eric-Emmaunel Schmitt, « Il fédère les énergies de deux animalités ».
Marie-Claude Pietragalla ne croit pas au hasard, et cette rencontre avec Eric-Emmanuel Schmitt véhicule un sens. Ils partagent l’amour de la musique. Pour commencer le thème de « l’Elisir d’amore » de Gaetano Donizetti (chanté ici par Placido Domingo), qui donne son titre à la pièce, puis « Adios Nonino » d’Astor Pantaleon Piazzolla pour une ambiance plus sulfureuse, voire diabolique à mesure que les relations évoluent, et enfin Wagner, pour le lyrisme. La mort d’Iseult, dans la version Tristan et Iseult de Willhelm Furtwängler. La musique est essentielle, elle répond à une interrogation : comment provoque-t-on l’amour ? Elle permet aussi d’osciller entre classicisme et modernité, à l’instar des échanges épistolaires, qui alternent. Lettres réfléchies répondent aux courriels spontanés, voire aux sms qui prennent la forme de haïkus et qui traduisent l’instantanéité des humeurs. On en oublie la distance qui sépare ce couple, au sens propre comme au figuré. Et l’amour triomphe. La reconquête d’un amour. Mais à quel prix ! L’Elixir d’Amour existe. Le filtre opère, dès lors que l’on admet l’imperfection de cet état, que l’on cesse d’idéaliser l’amour, de le sanctuariser.
Au théâtre Rive Gauche, jusqu'au 5 février