La maison Balzac dans le 16ème arrondissement de Paris est réputée car ici, criblé de dettes, Honoré de Balzac s’est retiré pour corriger « La Comédie Humaine ». Tout entier dévolu à l’écriture. « Travailler, c’est me lever tous les soirs à minuit, écrire jusqu’à huit heures, déjeuner en un quart d’heure, travailler jusqu’à cinq heures, dîner, me coucher, et recommencer » écrit-il le 15 février 1845 à Madame Eveline Hanska.
La maison de Balzac devient, ce printemps, lieu d’exploration original et de jeu d’influences décalées, célébrant le mouvement CoBrA, qui dévoile son formidable potentiel d’expression. Christian Dotremont, l’un des fondateurs de ce courant qui réunit des artistes de COpenhague, BRuxelles et Amsterdam introduit ce parcours singulier avec une série de portraits visant à singer les stratégies des Balzac. Il n’est pas le seul : Cocteau y figure, et Asger Jorn. Portraits en pleins. D’emblée, l’on découvre l’icono-serptentine, qui représente le serpent de la création à côté de l’arbre de la connaissance. Ou l’allégorie du mensonge, qui affirme la vérité. Le serpent, exergue de « La Peau de Chagrin ». Les coïncidences commencent, comme les reprises, dont le « moulinet » de Tristram Shandy. Puis le logogramme, inventé en 1962 par Dotremont, dérivé du Logos : qui prend la parole. Symbolise l’écriture spontanée. Le poème est un dessin d’ensemble, d’où s’extraient des mots signifiants, quoique illisibles au premier abord. Séduire. On célèbre l’amour. Déjà le geste et la pensée. CoBrA se démarque : aucune limite, mouvement volcanique, qui déborde et ne respecte ni les proportions, ni la lisibilité. Les prémisses du surréalisme. Dotremont était attiré par le grand nord, en particulier la Laponie. Premières coïncidences, ou premiers parallèles. Ici avec le phoque de Rodin qui caricature Balzac. La visite se poursuit, comme si un fil se dévidait naturellement, puisque du phoque l’on passe à l’une des ferventes protectrices de leur cause : Brigitte Bardot. En 1956, tournant « En effeuillant la marguerite », en robe-de-chambre. Celle du film de Marc Allégret habille un mannequin inexistant. Portraits en vides, pour représenter l’hyper-réalisme, l’hyper-présence. Deux attributs sont indissociables de Balzac écrivain : la robe-de-chambre, qu’il enfilait nuit et jour pour corriger « La Comédie Humaine » dans son bureau, comme Dotremont qui n’écrira plus que vêtu de ce vêtement à partir de 1962. Le suicide social de l’écrivain fait frissonner. Et la moustache, qui souligne l’irrévérence. On retrouve Duchamp et Jorn et l’âme de Groucho, juste avant le mur de la honte qui célèbre toutes les formes d’impostures : Bra, Alechinsky, Blanckart qui détourne Tintin, la Castafiore et le capitaine Haddock. Le romantisme, l’académisme. L’écriture dessinée et médiumnique. Parfois un siècle séparent les auteurs représentés, dont les partis pris sont si semblables. Hasards ou coïncidences ?
Balzac, comme Dotremont, dormaient peu. Ils écrivaient. Tenaient en avalant des excitants comme le café. Dans le cabinet d’écriture de Balzac, cette écriture viscérale prend toute la place, à travers des citations par exemple « La Comédie Humaine a tout ». « J’écris pour voir ». Jeux de mots ?
Quoiqu’il en soit, l’un comme l’autre ne vivaient que dans par pour avec l’écriture, le geste la main la pensée le psychisme. L’écriture œuvre d’art, après une étude approfondie de l’échec artistique. Clé de l’Ecriture ? Une transcription physique, par la main. Et une connaissance parfaite de toute la chaîne des métiers, jusqu’à l’impression. Balzac était aussi un imprimeur exigeant au début de sa carrière, maîtrisant tout, osant des exercices improbables avec des lettres. Pour Dotremont, l’imprimerie tue l’écrivain, tue l’écriture organique, dessinée, libre.
Dans le salon, il est question de plagiat ou de coïncidences. De significations et de sens. L’art de mettre sa cravate et comment nouer sa cravate. Les deux frères ou les deux sœurs. Les textes en transparence, qui évoquent l’écriture cursive chinoise, originelle, que l'on retrouve au Musée Ethnographique de Genève. « On écrit tous chinois sans le savoir ».
Ici, les pages les plus étranges de Balzac qui a analysé l'union comme un anthropologue dans sa « Physiologie du mariage », où il dénonce ceux de convenance entre les très jeunes filles de 16 ans, avec des hommes de 30 ans leur aîné, violées, violentées, délaissées, humiliées tandis que ces hommes se prélassaient aux côtés de courtisanes. Ce que deviendraient ces jeunes filles mariées, sans autre alternative. Véritable et redoutable analyse scientifique, et confessions sur le mariage. La typographie utilisée sert la violence du propos : caractères brouillés, à l’envers, illisible.
Ce qui conduit aux modifications de Dotremont, réalisées sur un ouvrage d’Anna Templier : « Flocons de neige », et la furieuse Isabelle devient coûteuse, qui s’effondre de chagrin. Exacerbé. Emphatique. Subversif. Cela se déroule dans la salle de la Comédie Humaine, qui replace chacun des personnages et les liens qui les unissent.
Poursuivez la visite à l’étage du dessous, où l’on retrouve la porte de Duchamp ouverte et fermée, qui inspira Alfred de Musset puis Balzac dans sa « Théorie de la démarche ». Fermé pour cause de réouverture entrelacent les pensées, cinétisation lithograhique et eaux-fortes de Dotremont, Bury, Duchamp, Alechinsky.
Avant de découvrir le talisman, et l’influence orientale, à l’origine de la « Peau de Chagrin » et la boucle est bouclée. La calligraphie turque envoûte et rappelle les logogrammes de Dotremont.
Victor Hugo, enfin, s’immisce dans cette déambulation scripturale. Hugo, dessinateur gothique : La Lettre, esquisse d’une vue de Paris. Une tache délavée. La vue de cette maison protégée, qui plonge sur la capitale ?
Une exposition magique, inspirante et euphorisante, comme un rébus à taille humaine, réel Chaque pièce fournit un élément qui se prolonge dans le suivant et l’ensemble détermine l’écrivain, et l’artiste. Pensée, geste, écrit, imagination. Tout s’imbrique nécessairement, pour qui est destiné à écrire.
Commissaire Dominique Radrizzani, en compagnie de Yves Gagneux, qui conserve la maison de Balzac.
Evénements en marge de l’exposition, ateliers et débats.