Le conte de Hans Christian Andersen transposé par le metteur en scène et producteur David Rozen et l’enfance s’illumine et la vie triomphe. Andersen, ce n’est ni Perrault ni Grimm. A l’instar de la Comtesse de Ségur, dans les contes du danois les enfants vivent dans la misère du 19ème siècle. Ils sont humiliés, punis, malheureux. Nous sommes loin de l’univers de fables oniriques. Or, c’est précisément la dramaturgie du conte de fées que reprend le conte musical qui vient de s’installer au théâtre du Palais Royal, telle qu’analysée par Bruno Bettelheim. Une approche vertueuse qui permet à l’enfant de comprendre la vie dans toutes ses composantes, y compris la mort. Rien n’est tabou, toutes les émotions doivent faire sens. Le conte va au-delà du simple divertissement. Il y est question des batailles que l’on doit mener pour grandir, des obstacles à traverser et des trésors d’imagination à développer pour contourner les dangers qui guettent l’enfance. Au Danemark, le metteur en scène a préféré Londres, son atmosphère brumeuse à la Dickens, avec cette image des cloches de Big Ben qui résonne. Allégorie du temps qui passe dans la nuit. On s’attend à y croiser Oliver Twist, aux côtés de la petite fille. Mais non, c’est seule qu’elle devra affronter son destin funeste, par un rude hiver neigeux. Seule ? Pas tout à fait. Dans ce conte musical, Emma va croiser des personnages hauts en couleurs, des pirates, une voyante Olga extravagante, un monstre Falco. Personne ne lui résistera. Elle a la foi, accompagné de Sasha, tantôt fidèle tantôt veule. Rude ? Pas dans le monde imaginaire. Au point de délaisser le monde réel cruel.
D’une histoire qui tient en une page, où les flocons et le froid n’offrent aucune perspective, l’équipe artistique a produit un spectacle chantant d’une heure trente, lumineux, festif, gai sur un livret de Anthony Michineau. Le postulat demeure : la veille de Noël, une petite fille abandonnée se retrouve devant les grilles d’un orphelinat. Le maître des lieux, Collins exploite ces sans-dents sans parents, sans vergogne. La petite fille est jetée sur le trottoir, avec une boîte qui contient des allumettes qu’elle doit vendre, si elle veut gagner le droit de dormir à l’institut. La petite fille du monde réel n’est pas n’importe qui : il s’agit de la princesse du royaume imaginaire. Elle poursuit un but : retrouver sa grand-mère, qui règne sur ce pays féérique. Le problème, c’est que le terrible Fragotov veut annexer la royauté et enlever la Reine. Emma a une mission à accomplir : sauver sa grand-mère des griffes du féroce et malintentionné Fragotov, et l’aider à conserver son domaine magique. Elle dispose de 9 allumettes, pas une de plus. L’allumette est le passage d’une réalité sans concession vers un monde merveilleux, où les rencontres improbables, les aventures fantastiques et les chausse-trapes démoniaques vont s’enchaîner.
Conversation à bâtons rompus avec David Rozen, metteur en scène, Ludovic-Alexandre Vidal, parolier et Julien Salvia, compositeur. Anthony Michineau était absent, mais l'âme qu'il a insufflée dans le livret moderne a recouvert cet échange. Evidemment le premier univers auquel ils font référence est celui de Disney. Mais pas que. Le monde Elfique et celui des Heroic Fantasy les a inspiré. Au-delà de ces références, ce qui a sous-tendu leur démarche c’est de raconter une histoire mélancolique et d’en extraire la beauté de l’enfance. Aucune sorte de victimisation dans leur mise en scène musicale, leur ambition était de tendre vers la bienveillance, de « porter un regard qui sublime l’autre », vers « la lumière et l’espoir ». Pour cela, il était nécessaire de quitter le monde réel du conte d’Andersen « dans lequel il ne se passe rien », pour accéder à un paradis illuminé d’aventures et incarné par une figure tutélaire symbolique : la grand-mère. « La grand-mère est la plupart du temps la première personne qui confronte l’enfant à la mort, elle personnifie une image d’autorité aussi, un savoir mystique et mystérieux, qui fascine. Au 19ème siècle, les familles vivaient souvent sous le même toit, et plusieurs générations partageaient un quotidien rude. Les enfants découvraient la mort sous leur propre toit. Ce que l’on a voulu montrer, c’est cela : la mort en face, tout en expliquant qu’il ne s’agit pas d’une fin en soi. On ne se perd jamais. On se retrouve ailleurs, dans un monde imaginaire où tout est dédramatisé. La mort ne constitue qu’une étape du labyrinthe de l’existence. La petite fille meurt. En réalité, seule son enveloppe corporelle s’évanouit. Son âme demeure, vit, continue de s’épanouir. Nous avons cherché à créer une fin sans pathos. Le dernier tableau était périlleux, il fallait évoquer la mort sans dureté. » Les décors sont d’une poésie transcendée, imaginés par l’artiste Israélien David Kawena, le dessinateur du timbre Marianne de la jeunesse (l’un des 2 co-auteurs), dont on retrouve les traits soignés et gracieux, les grands yeux émerveillés de ses figures féminines. En dépit de toute la férocité du monde réel, il y a ce magasin de jouets comme point d’ancrage dans cette rue sombre et glacée : « Car l’enfance rime avec jouets. Il fallait faire évoluer la petite fille dans un monde réel déshumanisé qui comporte malgré tout la beauté de l’enfance. Le magasin de jouets en est l’emblème ». Que représente la musique dans cette histoire ? « Elle est essentielle pour souligner les émotions théâtrales, pour se reconnecter à sa propre enfance sans artifice, avec naturel, et pour faire avancer l’histoire. Il s’agit davantage d’une musique d’humeurs. L’enjeu était de composer une musique et des paroles sans couplet ni refrain, qui puisse s’adapter à différentes tessitures et qui permette d’assurer la fluidité entre le parler et le chanter. » Pari gagné. Les rouages fonctionnent, comme ceux d’une horloge. Entre chaque changement de décor, sous les textes parlés, aucun creux musical. A tel point que l’on en oublie la musique. L’équipe s’en réjouit : « Si le public oublie les underscor, la musique de scène, c’est que la tension de jeu l’emporte ». Autre défi réussi : le feu des allumettes qui permet de passer d’un monde à l’autre. « Il s’agit de vraies allumettes, la petite fille n’a pas le droit à l’erreur ». Le fait est qu’Emma craque ses allumettes qui s’allument du premier coup. Le génie est d’avoir installé des réverbères dont la flamme égrène le temps. « Nous voulions reconstituer la magie et l’énergie de l’enfance grâce au feu ». Nous pourrions poursuivre des heures, chaque détail compte. La moindre perruque, la couleur des costumes, le choix des étoffes. Rien n’a été laissé au hasard. Le casting sert cette comédie savoureuse avec flamboyance. Parmi les 180 comédiens qui ont été retenus pour le dernier round, deux Emma ont été sélectionnées pour interpréter la petite fille. Il était impossible de les départager. Et je mets au défi quiconque de leur donner davantage que l’âge de la petite fille aux allumettes…
Le jour de la première répétition, la neige tombait pour la première fois sur Paris et le théâtre du Palais Royal. N’est-il pas d’augure plus éloquent ? La princesse Olga, l’un des personnages les plus baroques et original nous a convaincu : « Si tu y crois, un jour la magie triomphera ».
En partenariat avec BFM TV et RFM.
www.theatrepalaisroyal.com, jusqu’au 2 mai.