Dans le cadre du centenaire du génocide des Arméniens, Anne Hidalgo, maire de Paris a inauguré mardi 28 novembre l’exposition #Arménie1915, en présence de personnalités officielles, de France et d’Arménie : Monsieur Charles Aznavour, bien entendu, dont la tribune « 100 ans de solitude » demeurera un nouveau refrain qui traversera les générations. « Je suis de ce peuple, mort sans sépulture ». Le talent des mots, Monsieur Charles Aznavour. Un don en partage. En présence de Raymond H. Kévorkian, historien et commissaire de cette exposition exigeante et scientifique. La première du genre, réalisée avec Boris Adjémian, qui dirige aujourd’hui la bibliothèque Nubar Pacha, succédant ainsi à Raymond Kévorkian. En présence du directeur du Musée-Institut du génocide d’Erevan, Hayk Demoyan, qui a prêté des pièces d’archives inédites, présentées pour la première fois. Une exposition en deux temps : les violences et les massacres ; leurs conséquences, l’exil avec pour unique bagage des talents, et la reconstruction d’un peuple en diaspora et en Arménie. Une exposition didactique et pédagogique, avec un parcours destiné aux scolaires. Plus de 60 écoles sont déjà inscrites pour visiter. Une exposition clinique aussi, sans concession, qui glace. Occulter n’est plus possible. Il y a ces témoignages courageux et éloquents. Ces photographies en noir et blanc, irradiées d'une lumière froide et irritante. Ces panneaux à l’encre noire sur fond blanc pour lire des chiffres et des lettres édifiants : le nombre de déportés, le nombre de morts dans les camps de concentration, les noms des villes et villayets rayés de la carte… Des documents rares : l’appel au Djihad du 13 janvier 1914, lorsque l’Empire Ottoman entre en guerre. La lettre de Benoit XV au Sultan Mohamed V pour cesser les persécutions. Cet écran interactif, commenté, qui permet de vivre les épisodes, et leur enchaînement en détail : les routes de la déportation, la localisation des abattoirs, les lieux de résistance, les camps de la mort, la liste des convois de déportés. Ces emblèmes exposés : la croix Gallipoli, médaille militaire ottomane. L’iconographie de déportations de femmes d’enfants de vieillards. Les listes de spoliations de biens. Les carnets noirs. Les terres d’accueil, et les orphelinats : Alep, la Syrie, Chypre, le Pirée. Le mouvement Arménophile : Jean Jaurès dont le discours « Il faut sauver les Arméniens » reste imprimé en chacun de nous. Un moment oratoire jamais égalé. Aristide Briand, Georges Clémenceau. Le rôle ambigu de Pierre Loti. Ce mur de 1100 photographies projetées, qui défilent en boucle.
Mardi 28, le rassemblement d’arméniens est tel qu’il est impossible d’avancer dans la salle des Prévôts de l’Hôtel de Ville de Paris. L’émotion est forte, face à ces 400 photos, 220 pièces inédites, ce millier de portraits issu du CICR de Genève. Des trajectoires individuelles ? Des parcours semblables. Les nôtres. Ceux de nos ancêtres, de nos familles, aujourd’hui éparpillés sur les 5 continents, formant ces pétales du myosotis, qui partent d’un centre endeuillé, pour se reconstruire.
Ce centenaire aura été marqué, à un niveau international, par nombre d’événements, de commémorations, pour la plupart à l’initiative d’intellectuels, d’artistes, de créatifs : eux, qui ont été éliminés en priorité. Symbolique. Le savoir ne s’élimine pas, il triomphe.
Je tente de discuter avec certains invités, enfants et petits-enfants survivants, rescapés, mais les paroles sont enfouies, bloquées dans les gorges serrées, et la douleur est palpable comme un poids qui se transmet en héritage, impossible à évacuer. Encore trop tôt.
Cela ne fait que cent ans.
L’heure des discours approche. Aux côtés d’Anne Hidalgo, dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Ville de Paris, l’Arménie est fière et digne, présente. Son excellence Viguen Tchitetchian, ambassadeur de la République d’Arménie en France. Mourad Papazian et Aza Toranian, co-présidents du Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France. Edward Nalbandian, ministre des affaires étrangères d’Arménie. Aram Sukiassian, adjoint au maire d’Erévan. Alexis Govciyan, à la tête de la mission Arménie 2015. Anne Hidaldo a rassemblé son équipe : Bruno Julliard, premier adjoint, Patrick Klugman et Catherine Vieu-Charier, respectivement adjoints chargé des R.I. et de la Mémoire.
Anne Hidalgo prononce chacun des mots de son discours sans aucune note. De mémoire, à la mémoire de l'événement. D’aucuns peuvent souligner, dans la salle, que ces mots-là, on les connait. N’empêche. Ils résonnent fort en nous. J’entends aussi … peut-être bien que l’initiative est sous-tendue par une démarche politique. Et alors ? Cette exposition, cette réunion-là, d’officiels et d’anonymes n’a jamais eu lieu, et constitue un moment charnière. De même que ce centenaire révèle des avancées significatives : le discours du pape, le premier à avoir reconnu le génocide des Arméniens. Puis le parlement européen, et le revirement du président allemand. L'Autriche ... La canonisation des 1,5 millions d’arméniens exterminés. Saints martyrs arméniens aujourd’hui honorés.
Face à ce déferlement, la Turquie ne pourra plus longtemps demeurer dans sa posture de déni. La vérité gagnera : les turcs sont en droit de savoir, le monde entier. La culture du secret fera place à celle d’une parole libérée. Les Arméniens ont entamé la reconquête de leur identité, de leur passé, de leur histoire, et l’heure est à la transmission, par tous les moyens de communication à disposition. La révolution numérique n’a jamais autant fait sens pour se réapproprier notre #Arménie1915.
Cette exposition inédite et clinique, ouverte à tous publics, au cœur de Paris, ville capitale, est là pour que personne n’ait plus jamais à oublier.
Pour prolonger, sélection d'ouvrages :
Raymond H. Kévorkian , Hamit Bozarslan , Vincent Duclert : "Comprendre le génocide des Arméniens, de 1915 à nos jours", Ed. Tallandier (384 pages, 21,50 euros)
Georges Kévorkian : "La flotte française au secours des Arméniens, 1909-1915", chez Marine Editions, avec une préface du vice-amiral Henri Darrieus, (127 pages, 29 euros) et "La France chassée de l'Empire Ottoman, une guerre oubliée 1918-1923", avec une préface de Jean-François Cordet, chez l'Harmattan (331 pages, 32 euros), bientôt traduit en arménien
Georges Kévorkian est aussi président de l'association arméno-bretonne MenezArarat
A suivre : Part 2, les discours officiels prononcés lors du Vernissage.
Exposition #Arménie1915 commentée par Raymond H. Kévorkian, Boris Adjémian et Catherine Vieu-Charier
Vernissage officiel à l'Hôtel de Ville de Paris, salle des Prévôts