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La petite fille aux allumettes
La petite fille aux allumettes

David Kawena est un artiste israélien. Il est un des deux coauteurs du timbre Marianne d'usage courant, dont il a dessiné le visuel du visage de la Marianne du Quinquennat. Il est aussi celui qui a conçu l'affiche du spectacle-musical pour enfants : « La petite fille aux allumettes », encore pour une semaine au théâtre du Palais Royal. Ses dessins ont inspiré les décors et costumes de la comédie musicale.

Quel était le cahier des charges initial ?

Quand David Rozen et David Rebouh m’ont contacté, il s’agissait dans un premier temps d’illustrer l’affiche du spectacle. Etant donné l'émotion que je ressens à l’égard du conte original de Hans Christian Andersen depuis l’enfance, j'ai aussitôt imaginé quelques visuels. J'ai voulu créer une affiche qui véhiculerait la flamboyance d'une grande production, et qui allierait les influences des spectacles des années 90. Une affiche inspirée de références de films d'animation dessinés à la main, classiques, en imposant mon propre style, moderne. Le visuel de l'affiche est froid : non seulement l’histoire se situe en hiver, mais en outre l’entourage de la petite fille la « bat froid », l’ignore. Et pourtant, le spectacle est rempli de chaleur. D’un point de vue artistique, c’est ce que j’ai essayé de travailler, pour permettre aux spectateurs, enfants ou leurs parents, de partager ce qu’elle ressent. Sa douleur réelle, mais aussi son bonheur imaginaire. J'ai essayé de créer un univers basé sur la magie. Oui, la magie était le point de départ.

Quelles influences vous ont permis de créer cette imagerie, basée sur la magie ?

Lorsque le monde imaginaire s’est imposé, il nous est apparu évident de s’appuyer sur la culture russe, froide et majestueuse à la fois, romanesque. J'ai donc exploré les robes traditionnelles et le folklore russes, pour dessiner les costumes des personnages, depuis les valets jusqu’à la Reine du royaume imaginaire. Dans certaines de mes premières versions de la reine et du personnage d'Anya, on retrouve le Kokoshnik traditionnel. Néanmoins, le résultat demeurait trop réaliste. L'équipe en France m’a appelé : « David ! Nous voulons davantage de magie ! Oublions le style réaliste Russe ! ". C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée de dessiner les costumes que vous voyez dans le spectacle pour les personnages de la Reine, d’Anna et d’Anca, d’Aleksey, de Miroslav et de Sasha, basés sur davantage de féérie.

Les Pirates, dans le monde imaginaire, sont inspirés par d’autres influences, notamment le style "SteampPunk". C’était réjouissant de concevoir les personnages du Capitaine John-John et de Carlota ! Elle est une « dure à cuire », elle affirme un caractère sans pitié, dans un monde dominé par les hommes. Elle se révèle indépendante et forte – mon idéal féminin ! Tout le spectacle est conçu autour de personnages féminins avec des caractères bien trempés : le personnage principal de la petite fille, pour commencer, mais aussi les autres femmes, dont le message sert à stimuler et éveiller les enfants. Le monde imaginaire est gouverné par une reine, les pirates par Carlota, et Madame Olga constitue un autre personnage brillant, et fantasque, très présent.

Comment avez-vous travaillé depuis Israël avec l'équipe en France ?

Mon studio est en Israël, d'où je travaille et où je vis. La communication avec l'équipe en France s’est essentiellement opérée par téléphone, skype, mails. Nous vivons dans une époque bénie où la technologie a éliminé les frontières physiques. Vous pouvez aujourd’hui trouver l'artiste avec lequel vous désirez travailler en un clic sur une touche ! Pour ce qui me concerne, il suffit de taper mon nom sur Google et vous trouvez ma page Facebook, mon site DeviantArt, mon profil LinkedIn, mes comptes Instagram et Twitter... et me contacter en une seconde. Il est, en réalité, plus difficile aujourd'hui de ne PAS trouver quelqu'un ! Une fois contacté, et le dossier en main, je me suis mis à dessiner. Lorsque j'ai commencé à m'estimer satisfait de mon travail, je l'ai proposé à l'équipe en France, et nous en avons discuté ensemble, par itérations, ajustements. C'est la manière dont je travaille avec tous mes clients. Le plus important c’est de croire au projet : je ne m’investis jamais pour quelque chose qui ne m’inspire pas, ou pour un sujet qui ne correspond pas à mes croyances, mes valeurs et mon esthétique. Une fois mes dessins validés par l’équipe en France, les costumières ont pris le relais avec les couturières qui ont réalisé un travail d’orfèvre. Elles sont donné vie aux dessins ! Nous avions créé un groupe Facebook fermé pour télécharger les images, l’état d’avancement des tenues, coiffures, accessoires. Nous avons tous formé un maillon d’une chaîne de la création du spectacle.

Lorsque les premières photos de presse officielles sont sorties, c’était un moment très excitant ! Même si certains costumes ont évolué par rapport à mes dessins originaux, le résultat est significatif de notre travail en commun, dont je suis très fier. Quand j'ai vu le personnage de Monstre Falco pour la première fois et la manière dont le costume a été créé pour qu’il puisse déplacer ses yeux, je me suis senti comme un enfant à Disneyland !

Comment vous êtes-vous assuré que le producteur, David Rozen, avait compris le sens de vos dessins pour créer cet univers où la vie est plus forte que la mort, où le monde imaginaire triomphe sur le monde réel ?

David Rozen travaillait déjà avec la décoratrice Juliette Azzopradi. Ils se sont rapprochés de moi, pour que j’apporte ma vision complémentaire. Ils m'ont envoyé quelques images de ce qu'ils avaient en tête, et j’ai créé à partir de leurs indications. Mon challenge était de créer un nouveau monde. J’ai consulté des livres d'histoire, analysé de nombreux costumes différents de cultures du monde entier. Après des jours de recherche j'ai refermé tous les ouvrages, et pris la décision de me fier à mon instinct, de faire confiance à mon imagination. Quelle meilleure façon de créer un monde imaginaire ? C'est ainsi que le château imaginaire est né : il rassemble un mélange de plusieurs styles, avec des allusions d'architecture romaine aussi. Tout est là pour vous donner le sentiment de quelque chose de nouveau.

La musique accompagne des images très poétiques, joyeuses, qui embarquent complètement le spectateur, enfant comme adulte. La musique vous a-t-elle influencée ?

La musique est la clé ! Elle raconte une histoire supplémentaire, porteuse d'émotions. La musique constitue une part importante de mon processus créatif. Quand je prends place pour dessiner dans mon studio, je laisse toujours un fond musical. Quand vous écoutez les œuvres de Stravinsky, de Stephen Schwartz ou Stephen Sondheim, la musique vous raconte toujours une histoire. Inutile de savoir de quoi il est question pour être ému, en réalité ! J'ai eu la chance de pouvoir entendre les versions exclusives des chansons écrites par l’incroyable duo formé par Julien Salvia et Ludovic-Alexandre Vidal pour "La petite fille aux allumettes". En écoutant leurs compositions, je me suis trouvé emporté dans le monde d’Anna, et dessiner s’est révélé plus aisé.

La musique est universelle. Elle a un impact sur chacun de nous, jeunes ou adultes. Il n’est pas nécessaire de comprendre les paroles d’une chanson pour en ressentir la charge émotionnelle.

Avez-vous gardé votre âme d'enfant ?

Oui, aucun doute à cela. Il est essentiel, pour être en phase avec l’adulte que vous êtes, de ne pas négliger l’enfant que vous avez été, et de ne pas ignorer ses rêves d'enfance pour atteindre son but. Quand nous sommes enfants, nos esprits et nos âmes sont purs. Nous sommes tout entier ouverts à ce qui nous entoure, et curieux. La curiosité est fondamentale, pour continuer à s’enthousiasmer, à se renouveler.

C'était important pour moi d’aborder ce travail comme tous mes autres projets. Dessiner pour un spectacle destiné à des enfants ne signifie pas que le travail doit être "enfantin" ou moins sophistiqué. En tant qu’enfant, je n'ai jamais apprécié des spectacles animés trop "bon marché" ou caricaturaux ! Je trouve important de considérer les enfants comme des personnes qui absorbent ce qu’on leur propose, et d'essayer de les élever, de les enrichir. J’ai eu la chance que mes parents m’amènent au spectacle très jeune, vers 7 ou 8 ans. J’ai été sensibilisé au ballet de danse classique, en particulier par le Bolchoï. Quand je vois un de leurs ballets, mon cœur bondit. Depuis, je réfléchis pour, comme, les enfants : "Pourquoi une comédie musicale pour enfants ne pourrait pas être aussi étonnante qu’un opéra pour adultes ?" ; "Pourquoi ne peut élaborer des costumes aussi riches et élaborés dans les productions pour enfants, que pour adultes ?". C’est ainsi que je vois les choses, comme ça que je voulais voir un spectacle, enfant.

Est-ce qu'il est nécessaire de se poser ses questions-là pour un tel spectacle : une comédie-musicale pour enfants ?

Il est nécessaire de rester connecté avec l’enfant qui existe au fond de nous, pour créer un spectacle qui traitera les enfants avec respect. Les enfants sont extrêmement intelligents, ils ont une capacité supérieure pour considérer le monde, parce qu’ils font appel à leur imagination, alors que la plupart des adultes ont tendance à voir les choses de manière manichéenne. J'aime les travaux de Virginia Frances Sterrett. Elle traite les enfants avec respect. J'admire aussi les illustrations de Sheilah Beckett et de Kay Nielsen, à la fois simples et complexes, qui entraînent les enfants sur plusieurs propositions. Nancy Ekholm Burkert est une des rares artistes vivantes à offrir de la magie. Tous ces créateurs ont développé leurs capacités d’adultes tout en conservant l’esprit de leur enfance.

Nous vivons dans un monde virtuel, où la terreur et l'inhumanité gagnent du terrain. Vous-même avez été directement confronté à la guerre pendant des années. Comment peut-on créer un monde merveilleux, magique et imaginaire, avec son âme d’enfant, dans ces conditions ?

Peut-être s’agit-il d’une forme d'évasion de la réalité. J'aime analyser ce que je fais, comprendre ce qui a fait sens et fait germer l’idée, mais seulement une fois le travail réalisé. J’évite d’intellectualiser pendant que je créé. Cependant je ne peux pas nier que l'art, pour moi, que ce soient mes projets ou ceux de mes amis qui m’inspirent, constitue un formidable prétexte pour échapper aux réalités crues. Pendant la dernière guerre en Israël, ou pendant les événements de début janvier à Paris, j’ai éprouvé beaucoup de difficultés pour créer, et être inspiré. Il est difficile de s’enthousiasmer pour de l’art, ou une création qui peut, parfois, être perçue comme "sans importance", ou disons d'importance mineure, quand en parallèle la guerre et le terrorisme frappent. Après l'attaque envers "Charlie Hebdo", cela a été particulièrement compliqué. Mes "collègues", si je peux me permettre de les appeler ainsi, des hommes et des femmes avec lesquels nous partageons un même métier, et une forme artistique semblable : le dessin, ont été abattus pour … leurs dessins ! Pour leur art ! Pour avoir posé leur crayon sur une feuille de papier, dans un magazine, et laisser leur âme, leur pensée s’exprimer. C’est comme si soudain on m’avait menotté les mains pour m’empêcher de dessiner.

Puis il y a eu la prise d’otage et la tuerie de l’Hyper Casher, juste avant le Sabbat. C'était vraiment effrayant. J’ai de la famille à Paris, et je me suis beaucoup inquiété. Je n'utilise pas l'ordinateur lorsque je fais Sabbat, mais une fois terminé, j'ai visionné en ligne et là, j'ai vu des événements tragiques et douloureux. Beaucoup de personnes m'ont envoyé des messages ou étiqueté mon nom dans des œuvres d'art (cf illustrations jointes) qu'ils ont créées à la mémoire des victimes des deux attaques terroristes à Paris. Tous les dessins représentaient la figure de Marianne, déclinant celle que j’avais conçue il a 2 ans pour le visuel du timbre d’usage courant. Ces dessins me sont parvenus d'enfants qui vivent en France, en Angleterre, aux USA. Cela m’a beaucoup ému de constater que cette figure emblématique, dont j’avais imaginé le visuel, avait une telle aura partout dans le monde, que Marianne demeurait un symbole républicain, en résistance à ces moments. Cela m’a rappelé la raison pour laquelle nous, artistes, devons poursuivre notre art, et à quel point une simple ligne que nous traçons peut impacter la vie d’une personne.

De tous temps, les hommes ont opté pour le dessin et la sculpture comme une forme d'expression, pour consoler, dénoncer, se connecter au monde qui nous environne, et à des univers encore plus hauts. Dessins préhistoriques dans les cavernes, calligraphie chinoise, pierres tombales égyptiennes, statues grecques, jusqu'à la pop ou la street culture, et au graffiti… Nous avons besoin de l'art ! Je crois que c'est un besoin inhérent à l’être humain ! L'art ne devrait jamais être censuré. Il affirme une liberté de pensée. Il traduit ce que les mots ne peuvent parfois pas prononcer. L’art ne connaît aucune barrière linguistique, il peut être compris dans le monde entier : l’art est universel.

Vous n'étiez pas à Paris lors de la première, au théâtre du Palais Royal. N’est-ce pas irritant de ne pouvoir partager son travail, son enthousiasme avec toute l'équipe le premier soir ?

Oui bien sûr, cela frustre. Mais je ne pouvais pas me déplacer d’Israël, pour honorer des obligations professionnelles signées antérieurement. Il y a quelque chose « d’authentique » et de féérique, lorsqu’un spectacle-musical démarre, surtout lors de la première la nuit. Vous découvrez la magie dans les yeux des acteurs, vous pouvez ressentir l'excitation et une forme d’exaltation qui se transmet des acteurs jusqu’au public. J'ai été à beaucoup de premières, la nuit, il se produit quelque chose de très beau et particulier. En même temps, plus le spectacle se produit, plus vous perfectionnez votre métier, en commun. C'est aussi une merveilleuse expérience.

Quels sont vos projets ?

Il y a toujours quelque chose de préparé dans mon studio, je ne peux pas rester inactif, même si je n’ai aucune commande en cours. Je travaille sur la photographie en ce moment, ma deuxième passion après le dessin. Beaucoup de photos de mon portfolio seront reprises dans divers magazines du monde entier, tout au long de l'année. Je atèle aussi à l’illustration de deux livres pour enfants, et je viens de renouveler mon contrat avec l’entreprise Walt Disney. C'est passionnant de travailler pour les studios Disney. Enfin je termine un gros projet qui verra le jour en 2016, dont je ne peux pas encore parler. J'attends avec impatience de pouvoir partager ce travail-là ! Je suis fier d’avoir reçu ce "don artistique", que seul le travail concrétise. Car vous avez beau avoir tout le talent du monde, si vous ne pouvez pas le partager, cela ne sert à rien.

Interview et dessins exclusifs de David Kawena, pour "La petite fille aux allumettes" au Théâtre du Palais Royal

Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies
Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies
Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies
Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies
Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies

Principaux costumes dessinés à partir d'une influence russe ; dessins définitifs des costumes des personnages et le château imaginaire. © David Kawena Ainsi qu'une photo officiel du spectacle © Alfred Perrin Photographies

La "Marianne" de David Kawena influence d'autres artistes. By @jeanluard @da_tom_ @sketchr1994
La "Marianne" de David Kawena influence d'autres artistes. By @jeanluard @da_tom_ @sketchr1994
La "Marianne" de David Kawena influence d'autres artistes. By @jeanluard @da_tom_ @sketchr1994

La "Marianne" de David Kawena influence d'autres artistes. By @jeanluard @da_tom_ @sketchr1994

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