La pièce « Ancien malade des hôpitaux de Paris » au théâtre de l’Atelier, adaptée d’une nouvelle de Daniel Pennac cartonne, interprétée par Olivier Saladin, l’ex-Deschiens pointilleux, mise en scène par Benjamin Guillard. François Morel a présenté les deux hommes, le courant est passé, l’esprit burlesque et vaudevillesque de l’un a rejoint l’écriture parodique et habile de l’autre. Il s’agit donc, comme son titre alambiqué ne l’indique pas, d’une comédie sur le milieu hospitalier. Cocasse et exagérée. Première invraisemblance, dont personne ne s’offusque : tous les pontes de tous les corps médicaux sont disponibles, cette nuit-là, dans cet hôpital-là, lorsque le patient débarque aux urgences. Atteint d’un symptôme qu’une nuit ne suffira pas à diagnostiquer, pourtant éloquent : sa vessie a atteint une taille critique. « Ne vous retenez jamais de pisser ! » conseille vivement Daniel Pennac, et à cet instant l’envie pressante d’uriner nous saisit, pour anticiper toute éventuelle douleur fulgurante générée par cette rétention d’urine, telle que décrite dans la pièce. Le diagnostic posé ne suffit pas, les examens doivent s’enchaîner. Miracle donc : cette nuit-là, aux urgences, les médecins sont présents et joignables, le matériel vérifié et en état de marche. Bref toutes les conditions sont réunies pour soulager le malade. A tel point que Gérard Galvan, l’interne qui le prend en charge, se laisse davantage aller à fantasmer sur sa carte de visite et sa plaque gravée, aux dénominations et recommandations élastiques plutôt qu’à l’état du malade qui empire comme le temps progresse. Galvan rêve d’une carte doctorale, d’une plaque sérieuse et brillante comme le reflet du grand chirurgien qu’il s’apprête à devenir tandis que son malade agonise et somatise. Pennac avoue avoir jubilé à décrire « le lyrisme d’une carte de visite médicale », Saladin rappelle avec conviction « l’importance que revêt ce petit carton par exemple au Japon ». Tout n’est pas si délirant.
Daniel Pennac précise que cette nouvelle émane d’une commande des éditions Gallimard en 2002, et qu’à l’issue de son écriture, tous ses amis médecins ont jugé l’écriture d’une exactitude incroyable, leur permettant d’analyser avec recul et bienveillance les maux dont ils étaient atteints, pratiquant leur profession. L’ambition de l’écrivain ? « Révéler l’héroïsme des médecins, sur la brèche 24 heures sur 24, ces rocs que l’on n’imagine pas malades ». Olivier Saladin complète : « Les médecins sont considérés comme des demi-Dieux, leur corps ne peut pas lâcher ! ». Pas faux. Sans nos médecins, nous serions bien démunis, n’est-ce pas, paniqués. C’est ce qui a sous-tendu l’argument, de décrire une carte de visite médicale comme un objet précieux. Daniel Pennac tenait à honorer le corps médical en exagérant la vertu de ce sésame, perçu comme une « gloriole sociale à l’iconographie prodigieuse ». Pour Pennac les aspects techniques ne devaient pas être appréhendés à la légère, et c’est aussi cela qui a convaincu Olivier Saladin, dont l’épouse est infirmière, le frère médecin. Lui-même a développé des scanners un temps, en stage à l’hôpital dans une vie antérieure. Par-delà, Olivier Saladin ne dément pas un côté excessif et maniaque quant à la précision, la conformité, la rigueur. Il reconnaît entre mille le bruit d’un moteur et peut identifier dès les premières vrombissements à quelle voiture il s’apparente. Redoutable de visionner un film à ses côtés, il commente la plus infime infidélité ou imprécision. Il la traque peut-être. Or, dans l’écriture de Pennac, tout est soigné, ajusté, architecturé, net comme un coup de scalpel. Bien sûr le spectateur devra réaliser un petit travail pour apprivoiser les références, citations sibyllines qui égrènent le monologue ubuesque, et qui attestent du soin apporté aux propos. Pennac a ce talent de créer une progression narrative digne du plus haletant thriller avec une histoire simple. Cette écriture délicate, humble et généreuse à la fois, permet toutes les audaces et « autorise les improvisations ». L’accumulation de catastrophes n’étouffe pas le récit, bien au contraire : elle l’aère, selon une « extrême logique événementielle ». Un bonheur à jouer, et Olivier Saladin ne se prive d’aucune « gesticulation théâtrale », insistant sur la « frénésie durable générée par l’histoire » et « déformer le monde pour mieux le raconter ». Daniel Pennac regarde son compère amusé et révèle, les yeux brillants : « J’aurais aimé jouer cette pièce ! ». Mais l’auteur a déjà découpé l’espace, segmenté les corps, créé de l’insolite, installé des situations si anormales qu’elles en deviennent banales. Que pouvait-il apporter de plus ?
Au fond la proposition de cette pièce, tient dans son universalité. Chacun de nous se reconnaît dans la situation exposée, et ressort en s’exclamant : « Tu te souviens ?! ». Une nuit de cauchemar dont on rira volontiers, et longtemps.
Cette pièce tombe à point nommé, en cette année du bicentenaire du retour de Napoléon 1er de l’Ile d’Elbe. Plusieurs expositions sont consacrées à cet empereur, au Musée Carnavalet, au Grand Palais ou encore au musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau à Rueil-Malmaison, ville impériale, dont Patrick Ollier, le député-maire, a déposé la marque. Napoléon aurait pu représenter cet « Ancien malade des hôpitaux de Paris ». Comme il aurait pu interpréter cet ancien interne des hôpitaux de Paris. Hyperactif, hypertrophié, hypercondriaque, hyperorgueilleux. Jusqu’à quel point l’hyper est-il concevable ?
Au théâtre de l'Atelier jusqu'en juin.
Napoléon au musée Carnavalet, au Chateau de la Malmaison, à Boulogne-Billancourt