Vous me rajouterez un peu de Ciboulette ? Sa fantaisie, sa malice. Un p’tit goût de caprice délicieux, qui rend joyeux et tournicotant. Ciboulette habite la campagne, où elle est maraîchère. La campagne, c’est à Pantin, de l’autre côté du périphérique. Maraîchère : aux Halles de Paris, la ville, ses lumières, ses joies, ses soirées voluptueuses et arrosées. Des décors figurés par de grands panneaux interchangeables, dans des tons noirs et blancs pastels surprenants.
Ciboulette porte avec allégresse ses vingt ans, et compte huit prétendants qu’elle n’aime pas. Elle doit se marier : Qui sera le neuvième ? Celui qui sauvera la belle des griffes d’une union ennuyeuse, dans laquelle elle s’étiolera et perdra son espièglerie ? « Quand les femmes sont-elles sincères ? Quand elles nous trompent» : Oui, Ciboulette est de cette trempe-là. Qui l’en blâmerait ? Ciboulette n’est pas farouche pour un sou, la morale lui importe peu. Et cependant, elle est si criante de vérité ! Elle porte de jolis souliers roses, assortis à une robe vichy, fraîche comme son teint et son sourire. Ciboulette virevolte, lumineuse : un astre. Elle danse, elle chante, elle sautille dans sa carriole tirée par son âne en bois. Elle entonne le refrain du Muguet … « plaisir d’amour, plaisir d’un jour, plaisir qui leurre ; Muguet plaisir d’une heure, plaisir d’amour, plaisir d’un jour ! ». Surgit Duparquet, qui va se révéler un excellent mentor, grâce à de sombres affaires financières et autres ruses : « Je lui dois de l’argent, il me recevra tout de suite » et ses certitudes étonnantes : « dans la vie il n’y a que deux carrières possibles : être fonctionnaire ou amoureux ». Sur ce, voilà Antonin, qui apparaît sous un chou. Pas bien intelligent en apparence, et pourtant …. Il se révèle l’as de cœur. Lui, qui incarne ce prodigieux miracle de l’amour, jusqu’à la valse de Ciboulette. « Amour qui meurt ! … Amour qui passe ! Amour fragile, tendre et chaud. Amour d’un nom que l’heure efface, Oh ! vieil amour qui fut si beau. Rends-nous nos deuils, nos larmes. Nos chers tourments, nos soirs meurtris…. Souffrir d’amour a tant de charmes ; Qu’on souffre plus, une fois guéris ! ». Car l’amour se mérite, et parfois n’est-on pas plus heureux à souffrir ce prince qui nous ignore ? Car Antonin va délaisser Ciboulette, lui-même épris de Zénobie, courtisane d’une vertu douteuse qui se prélasse dans les salons enfumés parisiens. Les prédictions de la voyante qu’ira consulter Ciboulette sauront-t-elles se vérifier ?
Une Opérette légère comme les mœurs de l’époque de Reynaldo Hahn, qui demeure intemporelle et actuelle. La salle semble se reconnaître dans les arguments proposés. Sous le charme de Ciboulette, interprétée par Mélody –prénom prophétique, Louledjian. Née en Arménie, sait-elle que le neuf porte bonheur aux jolies jeunes filles éprises ? D’autres facéties, un peu de magie et d’onirisme finissent tout à fait de convaincre le parterre de spectateurs, grâce à une mise en scène qui décape, réalisée par un Michel Fau fort en formes, de comtesse. Une direction musicale impeccable, agencée par Laurence Equilbey –une femme peut-elle davantage comprendre une autre femme légère et envoûtante, paradoxale ? « Tu vas souffrir Ciboulette, quel bonheur ! ». Avec le chœur de chambre Accentus, très investi dans le répertoire a capella, la création contemporaine, l’oratorio et l’opéra. Et l’Orchestre de chambre de Paris, et son chef associé Christophe Grapperon, dont la démarche citoyenne lui permet la rencontre de nouveaux publics. Pour la soprano Mélody Louledjian, cette Opérette émet un son particulier, en ce centenaire de la commémoration du génocide des Arméniens, et pour le tricentenaire de l’Opéra Comique, lieu somptueux pour cet écrin mélodieux.
En amont du spectacle, une séance de coaching vocal inédite est proposée aux spectateurs désireux de reprendre les refrains majeurs avec le chœur, en salle. Les conseils laissent pantois : « Imaginez que vous êtes de grands archets de violoncelle, et chantez comme si l’archet que vous incarnez opérait un graaaand geste ». Mieux : « Imaginez-vous en train de beurrer avec emphase votre tartine au petit déjeuner, et rajoutez-y des grands cuillerées de confiture ! ». Mieux encore : « Imaginez-vous en train de faire sauter un bouchon de champagne ! POP ! ». Si avec ces précieuses recommandations vous ne repartez pas munis des modulations exactes, c’est que vous mettez un peu de mauvaise volonté !
Il serait trop long de citer tous les acteurs, l’équipe musicale et technique, sous la direction de Jérôme Deschamps. Pourtant attardez-vous sur le programme, identifiez un à un les personnages qui composent cette féérie sans fée, qui rajeunit et ensoleille. Une opérette à la française, populaire sous toutes ses formes : théâtre lyrique, élégance, raffinement, poésie, légèreté. On y retrouve une ambiance à la Henry Murger, qui inspirera aussi « La Bohême ». Burlesque et romanesque.
Dépêchez-vous de réserver, Ciboulette n’est là que pour quelques soirs encore.
Pour prolonger, rendez-vous au www.petitpalais.fr pour l’exposition « De Carmen à Mélisande, Drames à l’Opéra-Comique ».
Scènes de la vie de #Ciboulette, crédit photos Vincent Pontet
Quelques images du coaching vocal, et d'une scène conquise par #Ciboulette