Commémorations parisiennes riches d’événements
Ce mois d’avril 2015 a été marqué par une série d’actualités pour commémorer « Cent ans de solitude pour les Arméniens », selon les termes de Charles Aznavour dans la tribune qu’il a consacrée au Monde Idées, le 20 avril dernier : « C’est vrai, je suis de ce peuple, mort sans sépulture … ».
Ces événements, personne ne peut s’en réjouir. Ils révèlent un crime contre l’humanité, le premier de l’histoire du 20ème siècle. Il prend sa source dans des conflits qui remontent au 19ème siècle. Et cependant, ces commémorations du centenaire du génocide des Arméniens ont permis de réunir un peuple aujourd’hui dispersé, mais aussi de fendre l’omerta. Le pape François a, le premier, employé le terme de « génocide » pour qualifier l’extermination du peuple arménien, en dépit des conséquences diplomatiques, le 12 avril, célébrant une messe à la basilique Saint-Pierre de Rome. Le souverain pontife Benoit XV avait déjà écrit une lettre au sultan ottoman Mahomet V le 10 avril 1915 : «Voilà, je suis informé de ce qui se passe dans l’empire et je vous supplie d’arrêter ces massacres ».
Exposition « Arménie 1915 »
C’est l’une des pièces exceptionnelles, rendue visible à l’Hôtel de Ville de Paris, où Anne Hidalgo, maire de la ville a inauguré, en présence d’une délégation d’officiels, l’exposition « Arménie 1915 », qui accueille les collections du Musée-Institut du génocide arménien d’Erevan. Conçue en deux temps, par le commissaire-historien Raymond H. Kévorkian et la bibliothèque Nubar, cette exposition est la plus scientifique et exigeante jamais mise en scène.
Les violences et leurs conséquences, puis l’exil et la reconstruction. Son parti pris clinique est exacerbé dans cette imposante et majestueuse salle des Prévôts, avec un jeu de lumières froid qui appuie les photos en noir et blanc, les témoignages manuscrits, des chiffres et les lettres éloquentes : noms des déportés, nombre de villages et villayets décimés, victimes de « mort naturelle » dans les camps de concentration, nombre d’Arméniens rapatriés dans leurs foyers, liste des convois de déportés…
Un autre document significatif : l’appel du Djihad du 13 janvier 1914, lorsque l’Empire ottoman entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Ou le carnet noir du ministre de l’Intérieur, Talât, instigateur des premières arrestations, prémices du programme génocidaire. Une borne interactive reprend la chronologie des événements : déportations, routes de la mort, localisation des abattoirs, lieux de résistance, camps, églises et écoles détruites, biens spoliés. Rien n’est occulté. La deuxième partie se penche sur le sort des rescapés. Ce slogan édifiant « une âme, une pièce d’or, une personne ». Ce que vaut une vie arménienne. Les orphelinats et le rôle des associations, en particulier Near East Relief. Le mouvement Arménophile. La figure de proue Jean Jaurès et son discours, parmi les plus marquants de la 3ème République. Le rôle ambigu de Pierre Loti. La justice et ces pièces de procès, originales : 50 procès, 6 personnes exécutées. Des films d’archives aussi. Ce mur de 1100 portraits réalisé avec le concours du CICR de Genève. Puis l’intégration par le travail, et la vie qui triomphe. Au total ce sont 400 photos, 220 pièces inédites et une exposition qui propose un parcours pédagogique pour les enfants, qui, comme l’a souligné Anne Hidalgo « portent le flambeau de la mémoire ». Le mémorial de la Shoah propose une exposition complémentaire « Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman ».
Les artistes, premiers muselés et anéantis en 1915, ont repris la parole.
Le concert du centenaire : Les musiciens, 65 instrumentistes de tous continents regroupés grâce à l’UGAB France, en une formation unique et éphémère sur la scène du théâtre du Châtelet. Ils ont notamment interprété « Ciel à vif », une création originale du compositeur Michel Petrossian, sous la direction d’Alain Altinoglu.
Le jeune chef d’orchestre fait d’ailleurs l’objet d’un portrait, parmi d’autres figures arméniennes d’actualité, dans l’ouvrage « Les Arméniens, 100 ans après » de Sèda Mavian, aux éditions Henry Dougier, avec cette nouvelle collection « Lignes de vie d’un peuple ».
Concert unique à la salle Gaveau : Le baryton-basse Adam Barro a, quant à lui, initié un concert salle Gaveau autour des airs d’opéra et chants traditionnels arméniens. Quatre heures d’un spectacle inouï, aux couleurs myosotis, d’une qualité remarquable, entouré de Pierre Bébrossian, Fanny Crouet, Hildegarde Fesneau, Antoine de Grolée, Julia Knecht, Davide Perrone, Rémy Poulakis, Iris Topalian, Anahit Topchian, Frédéric de Verville, Emmanuel Garcia.
D’autres initiatives symboliques sont à souligner.
Solidarité Protestante France-Arménie, qui fête cette année ses 25 ans, a créé avec la maison Hermès un foulard unique, en twill de soie : « Lettres d’Erevan » reprenant l’alphabet arménien et célébrant l’écrit. La Croix Bleue Arménienne a organisé une ronde des femmes récurrente, le dimanche, dans des lieux phares de la capitale, initiée le 8 mars journée des femmes, pour l’égalité des droits. Cent rosiers pour cent ans de mémoire ont été plantés. Last but not least, ce recueillement solennel devant la statue de Komitas, figure emblématique de l’Arménie, et ce geste fort : la Tour Eiffel en berne, toutes lumières éteintes ce soir du 24 avril 2015. Assurément, Paris était au rendez-vous du centenaire du génocide des Arméniens pour rappeler que, non : « On n’oublie pas ».
Arménie1915, avec le concours du Musée-Institut du génocide arménien d’Erevan, comporte un parcours pédagogique dédié aux enfants. Hôtel de ville de paris. www.quefaire.paris.fr/exposhoteldeville ; Le mémorial de la Shoah propose une exposition complémentaire sur le génocide des Arméniens. www.memorialdelashoah.org
Pour prolonger : Raymond H. Kévorkian, historien et commissaire « Comprendre le génocide des Arméniens, de 1915 à nos jours » avec Hamit Bozarslan et Vincent Duclert (ed. Tallandier, 384p., 21,5 €) ; Georges Kévorkian, historien « La flotte française au secours des Arméniens, 1909-1915 » (Marines ed., 127 p., 29 €) et « La France chassée de l’Empire ottoman, une guerre oubliée, 1918-1923 » (l’Harmattan, 331 p., 32 €), bientôt traduit en arménien.
Les événements marquants du centenaire du génocide des Arméniens en photos dans AZAD magazine