Ça y est : le couple naturaliste s’est installé place Dullin. Peuchère. François Morel leur dédie un spectacle, qu’il interprète aux côtés de Antoine Sahler, chef d’un orchestre symphonique, dans lequel il joue lui-même de tous les instruments. Pour accueillir Hyacinthe et Rose dans la capitale, Didier Long et François Morel n’ont pas lésiné. Ils ont décoré la scène comme s’il s’agissait de la verte prairie de leur province odorante, installé un Pleyel, un orgue, une trompette, un cor, même un Bontempi, et caché, insoupçonnable, mais cela ne trompe personne, derrière le phono La Voix de son Maître, un mange-disque. Le couple est venu en Diane. Mais là non plus, ils ne nous mystifient pas : le Solex est remisé pas loin, dans l’arrière-cour du théâtre.
Evidemment, il y a l’espace, celui de la liberté. L’air sain et frais, comme la rosée du matin. Et ces ciels. Une farandole, qui traverse les saisons. Une guirlande de fantaisie, un soir de bal des pompiers. Bleu, blanc, mauve, rougi, comme des yeux qui auraient trop pleuré, lorsque surgit le soir, et outrebleu avec deux étoiles blanches pénétrantes, après le crépuscule.
Un ciel sans nuage ne représente pas vraiment la vie, n’est-ce pas. Alors, ils ont rajouté les formes blanches cotonneuses, et la magie de l’œil opère. Comme dans une œuvre d’Antoine Monmarché, ou il est question de paréidolie. Mais si : je le vois moi, cet éléphant qui progresse dans le sens du vent, là-haut, tout en haut, je vous assure, regardez-bien. Laissez vous bercer, ennuyez-vous, contemplez. Entre Pagnol et Proust, il y a François Morel pour revisiter l’enfance les madeleines, celle que l’on a tous vécue chez ses grands-parents, celles que l’on a tous goutées dans la cuisine qui ne dort pas. Pourtant avec Hyacinthe et Rose, il n’y a pas vraiment d’action, juste le tourbillon de la vie, et ce parfum entêtant, qui jamais ne nous quitte.
Lui, Hyacinthe, le grand-père coco. Elle, Rose comme une fleur, catho. D’emblée et a priori tous les sépare, pourtant ils sont de ces couples attendrissants qui passent une vie entière à s’aimer, à s’accommoder, à s’accorder. Comme lorsque l'on ouvre un piano. La mécanique est équilibrée, le feutre propre, la note tenue, le son net. C’est ainsi entre Hyacinthe et Rose. Parce qu’entre eux, avant et par-dessus tout, il y a un langage semblable. Celui des fleurs et des odeurs. Chaque fleur correspond à une lettre de l’alphabet, et cet alphabet-là, raconte les sentiments. Ensemble, le couple uni à la vie réinvente la nature, avec un stylo multicolore, et évoque tous ces instants bénis de pureté.
Entre eux, on a cinq, puis dix, et bientôt dix-sept ans, et on est amoureux ! Comme la mélodie est délicieuse.
Instants si fragiles.
Comme le sable qui file entre les doigts.
Poétiques comme des mots de Verlaine.
Sous les bosquets d’Hortensias, de coquelicots, de camélias, d’œillets, on a tous en nous cette petite musique douce qui revient. Entre Led Zeppelin et Joe Dassin. Mélopée indémodable.
Bien sûr, il y a les dimanches endimanchés, au rythme de l’homélie du curé, intarissable. Qui laisse le temps de mettre le rôti au four. Empruntant la venelle, entre l’église et la longère, il y a un chat, une estafette, un cousin. On court on s’attrape, un peu ivres. Plus tard, Hyacinthe sera retrouvé enivré, justement, la tête reposant sur un bouquet de lavande ou un champ de tournesols, ronflant. Parce qu’il y a les bistrot, j’avais oublié. Et l’amitié.
Morel revisite notre petite mythologie personnelle, en un tableau qui humidifie l’œil.
« Jésus Marie Joseph » : si désuet si sensible. C’est exquis. Qui chante ça déjà ? C’est loin, il faudrait que je retrouve le 45 tours. Jean Ferrat ? Aragon ?
Entre chien et loup, entre été et automne, parce que c’est la rentrée, ce spectacle est à rajouter dans vos agendas. Pour le plaisir de ces instantanés réjouissants, et des fragrances de votre enfance.
Hyacinthe et Rose, au théâtre de l’Atelier. De et avec François Morel, et Antoine Sahler. A venir : Shirley et Dino, et Danser à la Lughnasa mise en scène par Didier Long en personne : départ pour l’Irlande.
Hyacinthe et Rose, François Morel et Antoine Sahler
Hyacinthe et Rose au théâtre de l'Atelier, rejoints après la représentation par leur compère Olivier Saladin