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http://isabelle.kevorkian.over-blog.com
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Le mardi au Louvre, c’est #JourDeFermeture #ClosingDay. Pourtant dans le silence du musée, c’est l’effervescence. Le nom des nouveaux mécènes gravé dans le marbre, les parquets cirés, l’entretien des escaliers et des rampes, les retouches de peinture, les œuvres extraites de leur vitrine pour les chercheurs et conservateurs, les nouvelles installations, les légendes des expositions, les visites privées… En fait, ça fourmille, même si aucun son ne résonne et s’il règne une solennité exemplaire. Même nos pas semblent étouffés par l’extraordinaire puissance du lieu. Tout paraît Plus. Silencieux, grand, haut, long, profond, luisant, marmoréen, céruléen, éclatant, grandiose. C’est le Louvre exponentiel le mardi, qui respire et qui souffle. Ce jour précis où me reçoit Ludovic Laugier, conservateur Institut national du Patrimoine. Il m’explique ses missions : assurer la conservation de ce patrimoine, rendre lisibles les œuvres présentées pour favoriser leur appropriation et trouver un point de vue qui puisse faire écho à chacun de nous, quelle que soit notre nationalité, notre culture et donc notre appréhension de l’art. Un visiteur Japonais ne verra jamais ce qu’un amateur d’art Français comprendra d’un Centaure chevauché par l’Amour, par exemple, sa pièce préférée, ou encore l’Hermaphrodite endormi. En quoi le Centaure est celle qu’il choisit ? Pour la précision de la sculpture, les poils sur le torse du centaure, les nervures sur les pieds, les effets d’ombre et de lumière sur sa barbe, son regard. Son regard, par-dessus tout. Vivant. Et ce socle singulier, d’où s’échappent quelques lézards, et qui semble anachronique.

Le temps. C’est cela : veiller à lutter contre ses affres. Enfin, contribuer à la transmission, notamment au travers des légendes, accroches, dossiers de présentation, tribunes, conférences, et ouvrages. Ludovic Laugier parle de matière organique quand il raconte les trésors du Louvre qu’il côtoie chaque jour.

La Victoire de Samothrace

C’est lui qui, en particulier, a coordonné la restauration de la Victoire de Samothrace, avec une équipe de 30 personnes, avant sa révélation au grand public : 7 millions de visiteurs chaque année. Dix mois pendant lesquels la statue iconique avait disparu. Démontée pièce par pièce, c’est-à-dire 23 blocs antiques du bateau et 6 de la Victoire de Samothrace. Les 23 blocs à eux seuls représentent 25 tonnes. En cela, la statue est emblématique, un chef d’œuvre artisanal, de « faiseurs ». Démonter, emballer pour désencrasser et réveiller les badigeons propres aux restaurations du 19ème siècle, réalisés à l’aquarelle et jaunis par le temps. Ce travail, avec les technologies actuelles, a permis de mettre en évidence des vestiges en polychromies inconnues jusqu’alors, et invisibles à l’œil nu. Seules les UV et lampes à LED ont conforté cette certitude. La Victoire de Samothrace était peinte. Il y a le bleu du bas du manteau par exemple, et quelques pigments moins denses sur les ailes qui laisseraient davantage penser qu’il s’agit d’effets d’ombres (j’ai pensé au ciel qui aurait pu s’amalgamer sous les plumes des ailes). Ainsi, 19 fragments ont pu être rajoutés sur le bateau, et 3 sur la statue : plis sur le drapé et la grande plume.

Que sait-on vraiment de cette Victoire de Samothrace ? Elle date de l’époque hellénistique, entre le 3è et le 2è siècle avant JC. Elle commémore une victoire navale, étant donné les indices stylistiques, notamment l’effet mouillé-bouillonnant des étoffes plaquées sur son corps au moment où elle atterrit sur la proue d’un navire. Elle est sculptée dans du marbre de Rhodes, base indissociable des bateaux monumentaux. Femme ailée, elle figure l’allégorie du triomphe en mer, dans une posture révélant l’instantanéité du mouvement, et des effets de surface qui créent un volume extraordinaire. La Victoire de Samothrace est typique du baroque de cette époque, visant à impressionner. Le reste n’est qu’hypothèses. Son appellation pour commencer. Quelle bataille navale commémore-t-elle, et quel peuple en serait victorieux ? Les Rhodiens ? Qui auraient tout aussi bien pu décider, à travers cette statue, de rendre visible un exploit, pour passer sous silence une défaite maritime peu glorieuse. Le bon sens incite à vérifier la liste des batailles de l’époque. Pas suffisant. Car alors, à vingt ans près, le contexte n’est pas le même, d’autres batailles pourraient faire intervenir de nouvelles parties prenantes. Rhodes ? Pergame ? Qui seraient vainqueurs, vaincus et quand. De notre vingt-et-unième siècle ou chaque seconde compte, impossible d’imaginer que les batailles de 160 ou 156 avant JC expliqueraient davantage la Victoire de Samothrace qu’en 190. Il est donc raisonnable de la dater de la 1ère moitié du 2ème siècle avant JC, et de l’associer à Rhodes.

Ensuite, la statue a été retrouvée sur cette île de Samothrace, dans le sanctuaire des Grands Dieux. Or, il s’agit de l’un ces endroits ésotériques qui recèlent des mystères voués à ne jamais être révélés, pour mieux protéger les marins. Aucun écrit ou témoignage littéraire, ni inscription n’ont jamais été retrouvés. Les fouilles perdurent : une chaque année. Avec l’espoir de trouver une preuve irréfutable qui date, explique non seulement cette statue et son origine, mais ce qu’elle représente. A quelle bataille navale est-elle dévolue ? De quel navire est-elle la figure de proue ?

Les fouilles ont déjà fait progresser son histoire, notamment son origine. La Victoire de Samothrace a d’abord été considérée comme une fontaine monumentale. Cas de figure écarté, lorsqu’il a été avéré que l’eau provenait d’un ruisseau s’écoulant du champ d’un paysan.

De ce travail de restauration, il demeure une exposition avec le reste des fragments, l’histoire, les restaurations successives. La main de la statue par exemple, semble hors de toute proportion audible. Pourtant sur son socle, la taille devient cohérente. Même sous forme romanesque ou épistolaire, personne n’a imaginé son histoire. Or, peut-être qu’en écrivant la Victoire de Samothrace, son fantôme fournirait des indices ? Qui sait. Seul Enki Bilal a tenté une biographie imaginaire de l’âme qui l’habite.

L’opération de restauration a été préparée avec minutie en amont avec une commission internationale, pendant dix ans, et relayée en temps réel auprès des mécènes, et du public : sur You Tube (vidéos), sur Arte (film), à travers un site internet dédié, des opérations pédagogiques, des visites du chantier pour les scolaires, même les classes de latin et de grec du lycée Poclain se sont passionnées. A quoi bon vouloir supprimer les langues mortes : elles en disent plus, elles en demandent davantage, elles se manifestent toujours.

Même cet imposant escalier, d’où la Victoire de Samothrace déploie ses ailes et contemple le bruit ou le silence, a été remis en état. Un escalier aussi haut qu’un immeuble haussmannien de 5 étages. Au total 6700 donateurs individuels (1 M €) se sont impliqués pour retrouver la Victoire de Samothrace, aux côtés des mécènes : Nippon Television Holdings –qui se passionne pour l’art grec, Fimalac –historique, Bank of America Merrill Lynch Art Conservation Project.

Exposition : Aire Sully, salle des 7 cheminées, jusqu’au 9 novembre.

La Vénus de Milo

Autre pièce iconique du Louvre, liée à l’histoire de l’archéologie et du musée au 19ème siècle. Les Etats Nations se retrouvent en compétition. Chacun constitue sa collection nationale, et l’intention créée une émulation. Le Louvre, considéré comme une encyclopédie réelle de l’histoire de l’art, se retrouve bientôt dépossédée de ses trésors, au profit du musée absolu de Napoléon. Coup de théâtre : sur l’île de Milo, en 1620, un officier de marine découvre la Vénus. Il aurait été témoin d’une scène banale : un paysan à le recherche de pierres pour bâtir un mur aurait trouvé différents blocs. Les bras, le buste, la tête de la statue. Le paysan n’en a que faire. L’officier les lui réserve pour en faire don à louis XVIII qui lui-même les offre au musée du Louvre. Chacun y gagne sa petite visibilité, et le Louvre sa crédibilité au cœur des Etats Nations. La Vénus de Milo fait jaser, d’autant plus qu’elle n’a pas de bras, ce qui suscite une somme extraordinaire de commentaires, suppositions et postulats.

La Vénus de Milo, à l’instar de la Victoire de Samothrace, porte en elle des éléments irréfutables. Il s’agit d’une figure plus grande que nature, donc une déesse. Elle est à demi-nue, donc la déesse Aphrodite, qui expose son corps dénudé et son pouvoir suggestif. Cette question, cependant : que tient-elle dans les bras ? L’absence de bras fait douter de son identité, finalement. Ce sont ces théories, des plus vraisemblables aux plus fantasques qui vont alimenter les conversations du Paris du 19ème siècle, capitale culturelle, depuis laquelle l’Ecole des Beaux-Arts dicte la norme internationale.

Les artistes, peintres, écrivains et poètes s’en mêlent, Rilke notamment.

La Vénus de Milo est une œuvre rétrospective. Sans marque d’âge, un corps qui frise la perfection, un ventre étiré, une bouche entr’ouverte d’une sensualité affolante, des yeux humidifiés qui accaparent l’attention. Une femme à moitié nue, avec cet effet drapé savamment orchestré, qui glisse le long de ses jambes fuselées. Une figure à la fois classique et hellénistique, qui va symboliser le néo-classicisme.

La Vénus de Milo, ou la fabrique d’un fantastique chef d’œuvre, mystérieux et fascinant.

Restauration de la Victoire de Samothrace

Restauration de la Victoire de Samothrace

La Vénus de Milo

La Vénus de Milo

Centaure chevauché par l'Amour

Centaure chevauché par l'Amour

Tag(s) : #Expositions
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