Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Moins 2
Moins 2

Toujours à l’affiche… Moins 2, au théâtre Hébertot, de Samuel Benchetrit. Le sujet n’est pas réjouissant, a priori, puisque nos deux compères, Guy Bedos et Philippe Magnan, qui tentent de se révéler sémillants et humoristiques, alités sur leur lit d’hôpital lorsque nous entrons en salle, apprennent que leur cancer est incurable. Il leur reste huit jours à vivre. Bam. Leur oncologue ne prend pas de pincettes. Le verdict tombe, couperet aiguisé, huit jours, point barre, à la ligne, au revoir.

J’ai vu la pièce avant les attentats de Paris, et j’avoue que d’emblée j’ai ri. Parce que c’est le théâtre en exponentiel. J’ai ri en exponentiel, c’est dramatisé en exponentiel, c’est du vaudeville, c’est grotesque invraisemblable en exponentiel et cependant, tout fonctionne. Dès cette entrée en matière sans appel.

Je crois que dans la salle, nous nous parlions en silence : et si c’était moi …. je ferais quoi de ces huit prochains et ultimes jours ?

Un pitch banal, repris maintes fois en dramaturgie, sauf que le traitement est toujours différent, comme la vie qui surprend et révèle chacun d’entre nous, précisément dans les situations sans issue irréversibles. L’ineffable nous renforce, nous rend plus créatifs, drôles, tempétueux, courageux, téméraires, déterminés, vivants.

C’est la question que vont se poser nos malades, avant de nous entraîner dans une déambulation loufoque, fantasque et réjouissante, car elle parle d’humanité.

La leur, insoupçonnée, celle des autres que l’on croise sans y prêter attention la plupart du temps, qui pourtant appellent notre attention. La nôtre.

Je chronique cette pièce après ce vendredi 13 d’effroi et de chaos, et j’ai presque honte de la piger. De rappeler l’argument. Je culpabilise d’avoir passé un bon moment, cocasse et improbable, alors que la situation n’est rien d’autre qu’un drame. En même temps, la chroniquer aujourd’hui prend davantage de sens, sur la valeur de la vie. Huit jours, un jour, une nuit, une heure : quitter cet hôpital bien sûr, et profiter jusqu’à s’essouffler, s'ouvrir aux autres, se montrer solidaire, s’époumoner, quitte à en perdre justement, des heures et des jours, et de raccourcir encore l’échéance.

Aller danser, sauver un noyé, raviver les couleurs de l’amour, s’émoustiller, se raconter des épisodes sans intérêt de nos vies mais tout de même si l’on éprouve le besoin de se livrer c’est qu’ils ont représenté un tremplin, ces épisodes, pas si inconséquents, errer, aider une jeune femme sur le point d’accoucher, s’improviser bon père, médecin, ami, frère, mari à la hauteur somme toute, tenter de trouver ce compagnon qui refuse la grossesse et s’enfuit, partir en stop, s'immiscer, boire un verre dans un tripot, sous les lampions et une boule à facettes, serrer une fille de petit vertu contre soi.

Parce que quoi : que risque-t-on ?

Rien d’autre que de vivre en exponentiel, ne fut-ce que huit jours, un jour, une nuit, une heure.

Les acteurs se font merveilleusement écho, même si Guy Bedos est une mesure en-dessous des performances auxquelles il a pu nous habituer. D’autant que, chemin faisant, impossible de ne pas se remémorer Guy Bedos dans ce sketch, La drague, avec Sophie Daumier, son épouse à l’époque.

Le temps d'une pièce, un duo comique se reforme sur la scène d’Hébertot.

Ce tête à tête incommodant, et tout à la fois réconfortant, parce qu’il réchauffe.

C’est le pouvoir de cette pièce. En dépit des lumières cliniques, des pyjamas tristes, de la perfusion qui rappelle la fatalité, d’un décor minimaliste et froid, et d'un Chopin décalé, la pièce met du baume au cœur, et panse les blessures.

Moins 2, de Samuel Benchetrit, au théâtre Hébertot

Moins 2 de Samuel Benchetrit, au théâtre Hébertot

Tag(s) : #Théâtre
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :