Les Brigades rouge racontées à travers le prisme d’un couple fusionnel, Romane et Richard Bohringer, dans la vie comme sur scène. Un couple atypique, père-fille, soudé depuis tant d’années, et ce choix-là, d’acteurs, ne pouvait pas ne pas s’imposer.
Un texte puissant d’Angela Dematté, traduit de l’italien par Caroline Michel et Julie Quénéhen, et immédiatement on pense à Pasolini. Et cette peinture street-art d’Ernest Pignon-Ernest à Rome. Ou dans un autre genre, mais au cœur de cette même ville, Nanni Moretti qui, dans son journal intime, vagabonde en Vespa dans les rues. Par extension, on relit mentalement le texte de Richard Bohringer, et ses errances. Et alors, oui, sans aucun doute, c’est beau une ville la nuit. En particulier aux abords des lumières du théâtre. En particulier pour célébrer la vie, même cabossée, incertaine, détruite.
Notre esprit et nos pas flânent ainsi jusqu’au théâtre de l’Atelier avant d’assister à la puissance destructrice qui s’empare de Margherita, tout uniment vouée à ses causes désespérées et utopiques, à Milan, une autre ville symbolique.
« Milan est pour moi une grande expérience. (…) Milan, c’est la barbarie : c’est le vrai visage de la société dans laquelle nous vivons. Cette société qui nous violente à tout moment… »
Des causes nobles, certes, impérieuses mais pas audibles. Elle ira au bout, déterminée résolue, mitraillette brandie. Au prix de sa vie. D’elle, il restera ce nom : Les Brigades rouge. « Nous avons décidé qu’il nous fallait un nom pour identifier nos actions. (…) Mais le nom de brigade ne suffisait pas (…). J’ai lors proposé Brigade rouge ».
Nous la suivons depuis l’enfance, insouciante, naÏve et curieuse, et sa litanie incessante de « pourquoi, p’a ? depuis le fond de son lit », jusqu’à sa chute. Morte pour avoir voulu se préoccuper du peuple, des autres plutôt que d’elle-même, morte en révolutionnaire. Morte et engagée. Morte en martyr, dirait-on aujourd’hui (a fortiori à deux blocs de la rue des Martyrs, ici, dans ce Paris meurtri qui n’est plus une fête aujourd’hui, Monsieur Hemingway ...) ? Elle serait blâmée bafouée détestée laminée. Or, ce texte sonne tellement juste, rempli d’une telle humanité, Margherita se révèle si loyale envers ses idéaux, si honnête avec son père, que l’on éprouve de l’empathie. On la comprend, on la défend, on a presque envie de devenir léniniste.
« Il faut se battre non pas pour trouver une place dans cette société, mais pour créer une société où cela vaille la peine de trouver une place … » ; « Etre léniniste signifie aussi se donner corps et âme à la révolution, en faisant de celle-ci la raison d’être de sa vie …»
Quant au père, il joue son rôle à merveille. Il met en garde sa fille, avec son parler vernaculaire et maladroit, au creux de sa petite vie rangée ordonnée. Il ne doit rien à personne, un type fier, et il essaie bien d’expliquer cela à sa fille, cette vie-là, qui peut aussi présenter valeur d’exemple pour le peuple, sans qu’il soit nécessaire de tuer. Il le dit avec ses mots à lui, et toute sa tendresse. Cela ne suffira pas. Face à l’engagement et la foi populaire de Margherita, son discours s’envole comme un ballon rouge dans les airs, au-dessus de la ville.
Une mise en scène dynamique et enlevée de Michel Didym, qui permet de nous retrouver au théâtre, mais pas que. On butine d’art en art, entre cinéma, théâtre, essai, documentaire avec les images d’époques projetées et, ces séquences-clés, de la vie de ce père et sa fille. Quelques dates dans une tonalité majeure, pour expliquer la force d’un destin, et une bande-son éloquente, entre les chants des chasseurs alpins et Nancy Sinatra.
Bang Bang, il m’a descendue. Bang Bang, j’ai heurté le sol. Bang Bang, ce son horible. Bang Bang…
Bien entendu, un jeu d’acteur irréprochable, une Romane Bohringer incarnée, puissante qui donne tout, face à un Richard Bohringer digne et enveloppant. Deux sensibilités exacerbées se font face, et je crois bien, mais cela n’engage que moi, que la force de l’un anime attise celle de l’autre, qu’ils se transmettent chacun un peu de leur sagesse et de leur flamme, cela se mélange, nous emporte dans la foulée, comme le vent qui s’occupera du beau ballon rouge.
La meilleure réponse au terrorisme ? D’en parler. Par l’exemple, sans jugement. Et quel meilleur témoignage, que celui qui vient de l’intérieur, au creux d’une famille généreuse et pleine de chaleur, de cette chaleur simple et essentielle à la vie ? La meilleure réponse au terrorisme : vivre, d’art en création, de vadrouille en promenade, de rue en théâtre. La meilleure réponse au terrorisme ? Et, puisque comme l’écrit Richard Bohringer dans son livre, personne n’a le mode d’emploi de la vie, laisser le beau ballon rouge s’envoler, parce que, comme il le dit dans la pièce « c’que je sais, c’est qu’on est rien que de passage sur cette terre ».
Music played and people sang, just for me the churchbells rang. Bang Bang.
"J'avais un beau ballon rouge"
Au théâtre de l'Atelier, place Dullin, pour 30 représentation exceptionnelles
C'est beau une ville la nuit, Richard Bohringer