De Marguerite Yourcenar, ce que personne n’ignore, c’est son élection à l’Académie Française. Première femme à s’affirmer au sein de cette institution culturelle intrigante et convoitée. Peut-être aussi qu’elle fut la première femme écrivain à intégrer La Pléiade de son vivant. Résumer Marguerite Yourcenar à ces éclats n’est pas lui rendre hommage dans toute sa puissance créatrice et visionnaire.
Née à Bruxelles, Marguerite Yourcenar passe ses dix premières années au cœur de la nature en compagnie des animaux, dans le château de sa famille Cleenewerck de Crayencour : le Mont Noir, à la frontière belge, qui s’étend alors sur quelque 1.000 hectares, depuis la maison des gardes, en passant par les écuries (devenues « la Villa » : résidence d’auteurs), le château (bombardé lors de la Guerre par les Allemands) et le parc de 50 hectares. Ces années-là lui inspireront ses chroniques familiales « Archives du Nord ». Quel clin d’œil plus éloquent, pour sous-titrer cette exposition qui lui est consacrée jusqu’en janvier 2016 aux Archives départementales du Nord, lieu de mémoire, où la vie persiste. « Quel musée d’émotions humaines que des Archives ! », vantait Marguerite Yourcenar.
Villa Marguerite Yourcenar, résidence d’écrivains voyageurs
Au Mont Noir, au milieu de la Flandre, Marguerite Yourcenar développe son imaginaire et sa mythologie personnelle. Son père l’y encourage, peignant les cornes de sa chèvre de compagnie d’or, ou le tronc des arbres d’oranges plus vraies que nature.
La Villa, de style anglo-normand, fut d’abord une propriété privée lorsque Marguerite Yourcenar s’exila aux Etats-Unis. Lors de son élection à l’Académie Française, en 1980, Marguerite Yourcenar, de retour en France, fut invitée dans le paradis perdu de son enfance, cette mer de nature infinie. Ayant pris connaissance du projet de vente par les propriétaires, elle sollicita le conseil général du département du nord pour préserver ce lieu de villégiature particulier, et transformer la villa et la plaine flamande en une réserve naturelle. Le département opta alors pour cette idée de résidence d’écrivains voyageurs, internationaux. Une villa de création et de ressourcement, car un « auteur écrit aussi dans sa tête », souligne le directeur de la Villa depuis 2007, Achmy Halley. Le temps est suspendu, divisé entre projets littéraires et rencontres avec le public (concerts, lectures, initiatives culturelles pédagogiques…). La Villa, réputée dans le monde entier (80 à 100 dossiers chaque année, provenant d’une dizaine de pays, passés au tamis d’un jury indépendant), dispose de son photographe attitré, Louis Monnier, et au mur, les portraits d’écrivains, de poètes, de dramaturges, en noir et blanc côtoient des images de Marguerite Yourcenar enfant, mûre, vieillissante, avec son cocker contre elle, tantôt la moue boudeuse, tantôt un sourire facétieux. Deux conditions sont émises : chaque auteur laissera l’ouvrage créé ou mûri en résidence, et mentionnera le département du nord, devenant l'un de ses ambassadeurs. La salle principale abrite ainsi une bibliothèque non négligeable, espace de littérature contemporaine et patrimoniale.
Un écrivain aurait terminé son projet d’écriture, inspiré par le visage de Marguerite Yourcenar dans les feuillages des arbres, un autre aurait pu dialogué avec l’écrivain… La Villa et le Mont Noir sont aussi des lieux de légende.
Marguerite Yourcenar exposée aux Archives du Nord
Yvon Bernier, admirateur de la première heure, parvient à se frayer un chemin dans l’existence de Marguerite Yourcenar, il devient son complice puis son biographe officiel. Des années durant, il accumule les trésors d’une carrière de femme et d’écrivain, et en fait don aux Archives départementales du nord. Aujourd’hui, grâce au fonds Bernier, onze salles sont consacrées à l’auteur de « L’Œuvre au Noir », qui trouve peut-être son aboutissement dans « Un homme obscur », sorte de testament littéraire. Cette exposition propose de partir à la découverte d’un écrivain voyageur aux côtés d’un passionné, et de sa collection qui brosse le portrait d’une créatrice protéiforme et internationale. La scénographie, lumineuse, éclabousse de vie et d’impétuosité, conçue en contrepoint aux préjugés d’une vie austère d’écrivain. Tout commence par le laboratoire de l’auteur, reconstitué avec les pièces d’origine, jusqu’au crayon à papier avec lequel Marguerite Yourcenar biffait. Lettres, manuscrits, épreuves : autant de pièces rares, jamais exposées pour certaines, aux côtés d’œuvres publiées et rassemblées (La Pléiade, livrets originels, éditions limitées de poésies, pochettes de disques...). Marguerite Yourcenar tapait d’abord à la machine, puis annotait, griffait, réécrivait à la main, jusqu’à obtenir un livre prêt à être publié. De nombreuses photos sont égrenées, ainsi que des dessins, car Marguerite Yourcenar ne se contentait pas d’écrire chroniques, nouvelles, romans ou essais. Elle peignait, imaginait des paroles de chansons, des poèmes, traduisait (Woolf, Mishima...), devenait commissaire d’exposition ; Elle se passionnait pour les œuvres graphiques, et toutes les formes d’expressions artistiques (Dali, Maillol...). Un espace est consacré à ses voyages, et les influences asiatiques sur son art et l’évolution de son style ; Un autre, philatélique, regroupe le timbre à son effigie et les hommages d’artistes et de graveurs ou taille-douciers (Albuisson, Pignon-Ernest...) ; Un autre, enfin, aux caricatures dont elle fut l’objet (Charlie Hebdo, le Canard Enchaîné), notamment celle qui a été choisie pour l’affiche de l’exposition, qui soulignent le mépris la condescendance la misogynie.
Marguerite Yourcenar était aussi une femme engagée, et visionnaire. Deux sujets lui tenaient particulièrement à cœur : l’écologie (la terre) et les animaux. L’exposition présente ses manifestes. Elle s’enflammait aussi pour les droits civiques, la condition des femmes, la dignité humaine.
Bien sûr, il y a son discours d’entrée à l’Académie française, et les autres décorations obtenues : officier de la Légion d’honneur, élue à l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique… Rien n’est occulté : ni la polémique autour de son élection, et le rôle de Jean d’Ormesson, ni sa rivalité avec Marguerite Duras en dédicaces éloquentes. Ni son coup de …. Grâce. Ni l’heure du thé.
Marguerite Yourcenar était une jusqu’au-boutiste, une perfectionniste, une militante, une femme désinhibée et audacieuse, irrévérencieuse et tempétueuse, une artiste dans toute sa splendeur. Bernard Pivot, qui la reçut dans Apostrophes (un extrait de la vidéo –INA), explique être demeuré ébloui par sa personnalité. Elle qui répétait sans cesse qu’elle « ne se déplaçait jamais sans ses personnages, rallonges de moi-même ». Son esprit ne devait jamais cesser d’imaginer, de concevoir, de vivre les histoires de Zénon, Nathanaël, Hadrien, ou Anna, Valentine. La dernière partie est consacrée aux paroles et à la musique : le Gospel, ou une œuvre pour mezzo-soprano dont elle est à l’origine, jamais encore jouée en public.
A l’issue de ce parcours, une question taraude : qui aujourd’hui pourrait prendre la relève d’une personnalité aussi riche, décloisonnée, complète ?
Les Archives du nord : un bâtiment ultra-moderne
Premier bâtiment indépendant à accueillir des archives, il date de 1960 et abrite près de 70 kilomètres de documents, 7 millions de pages numérises et mises en lignes en accès public. Le bâtiment est composé de 6 étages (chacun une couleur vive), comportant chacun 7 magasins à rayonnages mobiles ou fixes de 700 m2 chacun, respectant un classement aux normes nationales. Il regroupe 12 siècles d’archives, consultées par 4.000 visiteurs/jour sur internet, et 950 en salle de lecture. Une salle de tri permet de dépoussiérer les fonds reçus, les traiter contre toute moisissure et les ranger dans des boîtes de conservation particulières, dont le conditionnement résiste au feu et à l’eau. Premier bâtiment d’archives européen à énergie positive, HQE, isolé, sans climatisation ni ouverture mais comportant des systèmes de traitement de l’air (salles de machines dédiée), et des panneaux photovoltaïques sur le toit. Sa structure et ses installations permettent une humidité de 20 à 40% et une température constante entre 16 et 22 degrés. Les entrées, portes, et lumières fonctionnent grâce un système de détection de mouvement. C’est dans ce bâtiment que le fonds Bernier est archivé, aux côtés de fonds privés.
Marguerite Yourcenar aux Archives du Nord, trésors du fonds Bernier/Yourcenar, jusqu'au 7 janvier 2016
Sous le haut patronage de Jean d'Ormesson, de l'Académie française
Avec le soutien de la Villa Marguerite Yourcenar, des Archives du Nord, de la fondation La Poste et des thés Méert