Depuis l’installation de l’exposition onirique #cosmosintime, proposant une série d’œuvres de la collection particulière #Takahashi, la Maison de la Culture du Japon à Paris propose une série de rencontres avec certains artistes exposés. Samedi 12 décembre, Kumi Machida était invitée. Originaire d’un village de montagne japonais dans le département de Gunma, elle a été très jeune sensibilisée à la nature, l’un de ses thèmes majeurs.
#spatialité du Japon
Le Japon ? Un pays morcelé de 3.000 km du nord au sud, composé de 8 grandes îles et d’une multitude d’îlots dans plusieurs archipels ou arcs insulaires, originellement peuplé par des déités avant les hommes. Déités respectées, qui continuent d’influencer les japonais et qui ne manquent pas d’apprivoiser les touristes. Le Japon ? Une île où la terre-mère-nourricière côtoie l’urbanité la plus insolente et verticale, la ruralité des districts frôlant les communautés de quartiers des départements, les villes hautes toisant les villes basses commerçantes et artisanales, les artères bruyantes aboutissant à des venelles souvent enténébrées, lieux de prédilections des courtisanes. Dans ce Japon où l’englobement prime sur l’individualisme occidental, et où la spatialité représente un enjeu tel qu’un dictionnaire vient de sortir : Vocabulaire de la spatialité japonaise*, ce pays qui a inspiré tant d’artistes, d’écrivains, Michel Butor ou Roland Barthes, et qui demeure parfaitement insondable, Kumi Machida a tenté de se frayer une place, non sans mal.
Femme et artiste qui ne suit pas le cursus classique : Kumi Machida ne se donne pas, d’emblée, toutes les chances de percer dans son propre pays. Elle interrompt ses études d’art plastique en licence, avant la fin de son doctorat. De fait, elle ne peut être considérée comme une artiste complète. Jusqu’aux années 1995, elle peint en utilisant en s’appuyant sur ces techniques de lignes et de points japonaises, puis elle adopte le papier japonais et l’encre de chine, et focalise son art autour des poupées japonaises traditionnelles, gosho ningyo qu’elle démembre. Elle s’appuie aussi beaucoup sur les talismans et autres porte-bonheurs, pour exprimer certaines métaphores. Aujourd’hui, sa peinture est beaucoup plus épurée, détachée de ces repères fétichistes.
Au départ, Kumi Machida tente d’exposer dans une galerie qu’elle ouvre, à son nom, sans succès. Puis, elle frappe aux portes des maisons d’édition : pas davantage d’écho. Kumi Machida propose un art singulier, mais surtout : elle ignore le manga, seule possibilité audible dans cette industrie. Elle tente l’aventure Internet, en vain : les internautes se préoccupent davantage des artistes de l’ère Edo, ou de la représentation de cette époque japonaise structurante. Puis Ryutaro Takahashi la remarque, et l’intègre dans son paysage artistique. Les propositions de Kumi Machida correspondent à ce collectionneur qui fait la loi au Japon. Elle s’expose alors en Europe, à Amsterdam et sa renommée s’installe hors de son pays insulaire. Pourtant ses œuvres ne cessent d’y revenir, racontant ses paradoxes. Kumi Machida, à l’instar de beaucoup d’artistes, tend indéfiniment à remonter aux sources.
Après la nature, l’enfance devient son deuxième sujet remarquable. Elle y ajoute la complexité des relations entre parents et enfants, et l’ambivalence de la sexualité. Derrière chacune de ses œuvres, elle dénonce en filigrane les diktats, ambiguïtés et préjugés imposés par la société, l’éducation et la culture japonaise. Elle n’entend pas exposer une opinion ou apporter une quelconque réponse, espère plutôt questionner, interroger le spectateur. Un dialogue peut alors intervenir, des points de vue entrer en résonance.
#cosmosintime et l’expression artistique de l’artiste
Kumi Machida semble « habitée » par une force qui viendrait des ténèbres, du #cosmosintime. En effet, elle explique peindre ou dessiner de manière impulsive, au sortir de rêves et de nuits agitées, peuplées de fantômes. Des rêves dont l’acuité, les sentiments, sensations et perceptions qu’ils engendrent, se révèlent dans son art. Elle-même s’avoue désarçonnée par la puissance de ces évocations tapies en elle, qui se manifestent lorsque la lune est à son apogée. Elle tente de les traquer, de s’en emparer par de petits dessins, dès que ces manifestations surgissent, brusquement. Elle se décrit dans un état de perception naturel, son corps et son mental toujours à l’affût.
L’une de ses œuvres emblématiques exposée dans le cadre de #cosmosintime est Le Postier. Un petit Dieu du bonheur, messager d’un autre monde, chevauchant un coq et venant apporter la chance. Dans ses carnets, il y a ces silhouettes : un père qui tient sa petite fille, leurs poignets soudés par une corde. La violence de l’attachement parent/enfant, trop contraignant : comment s’en détacher, quand ? Ses figures sont asexuées, et certaines portent la petite marque des enfants rouges, couleur qui symbolise la petite fille au Japon. Sans appel : d’où provient cette idée selon laquelle il s’agirait d’une fille plutôt qu’un garçon ? cette marque rouge suffit-elle à s’en persuader ? est-ce aussi simple ? Plus loin, une figure porte une jupe. Est-ce un homme, une femme ? Le dessin gêne, et révèle ce sentiment d’étrangeté face à l’identité, et l’acceptation du genre, imposé dès l’école.
Elle dénonce aussi l’art oratoire. Un homme a priori très doué pour parler, qui se cache l’oreille : son discours ne reflète pas la sincérité ni son âme en dépit de son éloquence. L’une de ses mains reprend cette petite marque rouge : ce personnage n’est pas sincère, la tâche représente sa fièvre intérieure.
Les animaux bien sûr, sont présents dans ses toiles : le chat porte-bonheur, le chien fidèle qui vient masquer une petite fille restée seule chez elle et qui apaise son angoisse diffuse, ce mouton … en apparence, cloué à la toile par la représentation d’une vis, allégorie de la non-volonté propre.
Cet autre dessin, enfin : un corps neutre, sans tête et dont le tronc se prolonge par une forme indistincte. Cela rappelle la puissance destructrice du tsunami et du tremblement de terre, le fait qu’il soit encore impossible d’en parler. Cela traduit l’indicible et, par-delà, la puissance de la nature à se régénérer, la confiance des japonais dans cette nature-mère-nourricière.
Il y en a beaucoup, une dernière a attiré notre attention. Son autoportrait. Jusqu’à la taille, elle se représente de dos, puis de face. Ses jambes sont séparées du reste de son corps car les sensations qu’elle reçoit et éprouve se déplacent dans son être alternativement derrière, devant, les émotions surgissent tel un petit cheval blanc au trot, au galop.
Kumi Machida utilise beaucoup de ses collections personnelles comme sources d’inspirations, ses trouvailles chez les antiquaires par exemple, et souvent les poupées qui sont à la source d’une toile n’ont pas de paupières. Seules les pupilles noires s’imposent, les poupées ne clignant jamais les yeux : il faut aller derrière l’iris enténébré pour chercher la réponse, sa propre clé, et trouver la blancheur apaisante d’une nature et d’une enfance calmées.
Ces toiles signifient aussi cela : personne n’oublie, ni les drames, ni les violences, ni les catastrophes naturelles, ni les choix imposés. Non, personne n’oublie. Et ces toiles sont toutes empreintes de ce voile qui opacifie la mémoire, et la vie. Pour autant, lorsque le voile se soulève, l’apaisement existe, celui du commencement.
Vocabulaire de la spatialité japonaise et cosmosintime à la @MCJP_officiel
#cosmosintime #Takahashi @MCJP_oficiel #LePostier