Fermé deux ans pour travaux, l’Opéra Comique ouvrira de nouveau ses portes en février 2017. D’ici-là, un programme #horslesmurs a été conçu, proposé le 3 décembre 2015 au public de la salle Favart, et aux étudiants de l’école EHESS. La présentation d’un opéra méconnu : Fantasio de Jacques Offenbach, adapté d’une pièce d’Alfred de Musset, constituera le point d’orgue de cette réouverture. L’alliance du romantisme et du lyrisme, de l’opéra et du théâtre, ont été confiés à Thomas Jolly. Le jeune metteur en scène, qui a brillé en adaptant Shakespeare, va vive ces prochains mois aux côtés de Fantasio, qui sera interprétée par … une femme. Le rôle a été proposé à la mezzo-soprano Marianne Crebassa. Sacrée gageure pour cet établissement institutionnel désormais dirigé par Olivier Manteï, qui entend « restaurer le dynamisme théâtral du répertoire, favoriser sa capacité à inspirer de nouveaux langages, renouveler le rapport de chacun à la musique et à la scène, et rapprocher acteurs et spectateurs ».
Pour relever ce défi, l’Opéra Comique initie une démarche singulière : créer un laboratoire, lieu intangible d’émulation, réunissant spectateurs, élèves, interprètes autour du metteur en scène. Les productions de l’Opéra Comique seront ainsi « co-réinventées », depuis la découverte des œuvres, jusqu’à leur présentation sur scène, en passant par la mise en scène, les costumes, la scénographie, le jeu. "L’Affaire" Fantasio teste ce dispositif inédit en France, véritable expérimentation, et « Chroniques d’un opéra » devient une opportunité d’échanges de points de vue, de cultures, d’approches, mais aussi de transmission. Pour Olivier Manteï « Il est temps de changer le modèle de production de l’Opéra, pour alterner le chanter et le parler, au travers de périodes de travail fragmentées, et de proposer une expérience progressive ».
Fantasio
Fantasio naît en 1834 sous la plume d’Alfred de Musset, avec comme seule ambition d’être lue dans un fauteuil. La pièce sera pourtant adaptée par son frère Paul pour la Comédie Française, et mise en scène (1836). Jacques Offenbach, séduit, s’appropriera ce texte pour le décliner en opéra (1869). Surgit alors la guerre franco-prussienne (1870). Offenbach est déchiré : allemand, nationalisé français, l’affrontement de ses deux pays le laisse exsangue, et influence probablement sa production. Il reprend Fantasio, et en propose une fin sombre, quand la version de Musset demeurait lumineuse. « A la fin, la lumière triomphe de la guerre et de la folie », défend Thomas Jolly. Tout en quiproquos, menteries, mystifications, dissimulations et travestissements, Fantasio raconte l’histoire d’une princesse, dont le père a fomenté un mariage arrangé, pour de vils motifs de territoires. Fantasio, la veille des noces, entend les pleurs de la princesse, désespérée de devoir se marier à un inconnu pour le bien de son pays. Il va imaginer des tentatives maladroites et néanmoins téméraires pour éviter ce mariage. L’intrigue se noue sur fond de guerre entre la France et l’Allemagne.
En 1872, dans un Paris détruit, qui connaît l’épisode de la Commune, 14 représentations de l’Opéra d’Offenbach sont données. L’intérêt du public n’est pas au rendez-vous, et Offenbach se recentre sur un genre qui lui sied davantage : l’opéra comique, en réutilisant les aspects féériques et joyeux qu’il avait imaginés dans Fantasio. Soucieux d’aller de l’avant, auteur pragmatique, Offenbach n’insiste pas pour poursuivre les représentations de son opéra, et en 2017, cette mise en scène de Thomas Jolly va faire renaître cette œuvre.
Renaissance à l'Opéra Comique
Grâce à l’extraordinaire travail de recherches de Jean-Christophe Keck, qui a pu rassembler les manuscrits, outre le livret de censure déposé, Thomas Jolly dispose d’un texte exhaustif, qu’il va travailler avec la mezzo-soprano Marianne Crebassa, Fantasio (à l’origine, le rôle était prévu pour un ténor), et le chef d’orchestre Laurent Campellone qui dirigera l’orchestre philarmonique de Radio France.
Pour Marianne Crebassa, cette aventure est exaltante : « Il s’agit de créer un rôle que personne n’a entendu (…), une œuvre fraîche et envoûtante, qui mêle le théâtre et le chant (…), un opéra sous-tendu par des valeurs nobles, notamment la paix et l’harmonie, le rassemblement (…). Il va falloir apprendre à lâcher le chant pour que je me consacre aussi au jeu, nourrir l’opéra, la phrase, trouver les nuances et les couleurs vocales et gestuelles, les justes vocalises, émanations de la pensée ».
Thomas Jolly, quant à lui avoue en toute humilité et sans ambages son ignorance face au lyrique, qu’il considère comme un atout : « Je suis dans un état de virginité fécond, pour appréhender ce … conte de fées achronique. Lorsque j’ai entendu l’opéra pour la première fois, j’ai été saisi par une émotion immédiate, et mon intention est de la retransmettre au public, d’où cette nécessité de passer 3 ans de ma vie au service de Fantasio ». Thomas Jolly évoque une œuvre contrastée, tantôt enténébrée (« avec une mise en scène en noir et blanc ? »), tantôt illuminée (« ramener les couleurs sur la scène »), il évoque aussi la question de la mécanisation (« l’homme automate, la place du clown ») et termine en insistant sur sa volonté de réintégrer l’Affaire Fantasio dans « une cage dorée ». Il entend faire confiance à la musique « qui elle-même est action », et aux conseils des étudiants de l’EHESS et du public averti, pour « réinventer cet opéra en particulier, et faire de l’Opéra autrement, avec cette idée de troupe, de rassemblement, de continuité dans le temps ».
Thomas Jolly parle de « langueur », pour qualifier Fantasio et proposer sa vision aigre-douce ». S’il n’est pas question de modifier la musique, pour autant les dialogues peuvent être aménagés, et Thomas souhaite se rapprocher d’Alfred de Musset et de l’intention initiale, afin que « le chant reflète le prolongement des états d’âmes des personnages, (...) être dans la générosité, tel est l’aveu du processus créatif ».
Différentes étapes jalonneront la création de Fantasio jusqu'à la réouverture de l'Opéra Comique, depuis cette première séance expérimentale, où déjà les échanges ont fusé, créant une intimité entre toutes les parties prenantes, créatrices ou spectatrices.
Pour suivre les #FavartOff qui seront égrenés jusqu’en 2017, comme un train fantôme conduit par Christian Boltanski ou un concours de chef pâtissier visant le mariage du gâteau Favart avec Dame Chantilly, rendez-vous sur le site de l’Opéra Comique.