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Splendeurs et misères de la prostitution
Splendeurs et misères de la prostitution

Le musée d’Orsay célèbre les femmes : meilleures ambassadrices artistiques ? visionnaires ? plus réalistes ? davantage soucieuses du détail et d’une représentation juste et équitable du monde ? impartiales ? plus audacieuses et téméraires ?

Oui, toutes ces femmes à la fois, et le musée d’Orsay a opté pour une accroche singulière : celle du regard. Tout n’est qu’affaire de point de vue, d’angle, et de toute évidence les femmes englobent plus large, sans retenue, sans culpabilité, sans honte, sans pudeur et sans émoi. Elles se livrent tout entières, secret de toute créativité.

Deux expositions se font écho : « Splendeurs et misères de la prostitution » et « Qui a peur des femmes photographes ? », dont le titre n’est évidemment pas sans évoquer Virginia Woolf, femme emblématique parmi les femmes. D’un côté les hommes portent un regard aux femmes de petite vertu. Seuls les hommes : le musée d’Orsay n’a retrouvé aucun portrait-cliché de prostitution réalisé par une femme. Le vice. Ces dernières années auront été marquées par cette préoccupation collective autour du sexe ou du libertinage (Fragonard, le nu masculin, Eros à la Maison Victor Hugo, Paris 1900…), sujet qui demeure objet d’attraction, sous-terraine. Orsay ne se prive pas de dénoncer cette hypocrisie qui entoure l’industrie du sexe, cette fausse pudeur, la question de l’identité masculine dans ces représentations désinhibées. Jusqu’à ces salles réservées aux adultes (films érotiques, photographies, archives de police et saisies, registres de syphilis et médicaux), mises en scène avec panache, sous un rideau empourpré. Cabinets bien curieux qui n’ont rien à envier à ceux du Musée de l’érotisme. Les ballerines et comédiennes distraient, les femmes de rues haranguent pour une passe, devant le 12 rue Feydeau, autres bordels, boudoirs et maisons closes, les demi-mondaines fantasques amusent (La Castiglione, Olympia), et cependant toutes affichent ce regard fatigué, vitré opaque, une posture résignée, le dos courbé, attablées seules dans un bar viril embrumé de volutes d’alcool. Il en est ainsi de la représentation des courtisanes, sujet qui semble l’apanage des hommes, jusqu’aux coulisses de l’opéra où il est monnaie courante de « choisir sa danseuse ». Des toiles de Cézanne, de Degas, de Toulouse Lautrec, De Vlaminck, des études de Van Gogh, des peintures de Picasso, des paroles d’écrivains, Balzac ou Zola, des cris de Munch, de poèmes de Baudelaire, des poses (Au Tub, non sans rappeler Bonnard et Sfar), une citation de La Belle Otero « La fortune vient en formant mais pas seule ».

Un opuscule n’est pas à négliger : cet abécédaire qui, par exemple, à B comme Bestiaire, rappelle que l’argot du 19è siècle assimile les prostituées aux animaux : biches, poules, grues… et que l’animal qui leur est le plus fidèle n’est autre que le Chat, à la lettre C, faisant écho à leur solitude et leur indépendance. Dévoyé, il en viendra à désigner le sexe de la femme. Par-delà cette imagerie, il rappelle le pouvoir impérieux des femmes.

L’exposition "Splendeurs et misères, images de la prostitution" poursuivra sa route au Van Gogh Museum d’Amsterdam. De plus un site bibliographique à l’occasion de l’exposition a été développé.

Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910. Musée d’Orsay, jusqu’au 17 janvier. Organisé avec le Van Gogh Museum, Asmterdam, avec le concours de la BNF.

De l’autre, ces femmes insoumises, justement, qui offrent une palette couleur ou en noir et blanc du monde sous toutes ses formes, ses penchants, sa beauté, sa barbarie. La vertu. L’accompagnement des évolutions, le témoignage, l’enregistrement du réel. Le genre sociétal et social, adopté par les femmes grâce à la photographie, medium qui libère l’expression. Les pionnières se font connaître au 19è siècle, avant une institutionnalisation des femmes photographes au 20è siècle. Elles conquièrent de plus en plus de territoires, et empruntent de plus en plus aux hommes, ces suffragettes. Elles infiltrent l’intime, le terrain domestique, les paysages (l’Abbaye de la Pointe Saint Mathieu sur ces terres finistériennes du bout du monde), la nature morte ou sa mise en scène (ce sein posé dans l’assiette), puis les espaces, l’urbanité, et l’exil, la guerre, les réfugiés, les déportations, la maladie, les corps démenbrés défigurés altérés, la nudité, la dimension religieuse, et elles s’engagent. Loin des femmes-objets qui font les « Splendeurs et misères de la prostitution », elles prennent le contrôle de leur vie, s’élèvent, s’émancipent, votent, ouvrent leur compte en banque, et tout mentor devient superflu. Elles accèdent à la liberté, non sans avoir lutté. Elles existent par elles-mêmes, tous milieux confondus, d’occident ou d’ailleurs, que la pratique de leur art soit amateur ou professionnelle. La photographie signe leur manifeste : elles montrent avec leur appareil, elles disent la vie, crue ou ambivalente, tantôt heureuse, tantôt cruelle, de façon clinique ou poétique, détournent les codes, se jouent des autoportraits et de leur image. Photographie explorations, carte de visite ou documentaire.

Une exposition en deux temps : à l’Orangerie, des origines jusqu’aux années 1919, avec un regard français qui fait écho à un œil anglo-saxon. Talbot, Atkins, Broom, Cameron, Käsebier, Disdéri. Puis à Orsay, jusqu’en 1945 : l’émergence de la photographie moderne pendant l’entre deux-guerres et sa légitimation. Cunningham, Miller, Maar, Levitt, Krull, Yevonde, Arbus, Maier. Notons que la femme-chatte se faufile féline ici encore, sous les traits de Wanda Wulz, et décidément le chat ne cessera jamais d’inspirer les femmes affranchies, conquérantes, ouvertes au monde, et de se jouer des représentations aveuglantes.

Il est intéressant de visiter les deux expositions à travers ce prisme : qui regarde quoi ? Comme munis d’un appareil photographique. L’avant-scène ? Les coulisses ? Le hors scène ? Voyeurs élémentaires ou spectateurs attentifs d’un monde qui change ? A vous de vous faire votre opinion.

Qui a peur des femmes photographes ? 1938-1945. Au musée de l’Orangerie et au musée d’Orsay. Jusqu’au 24 janvier.

Merci au commissaire Marie Robert pour son éclairage de commissaire-photographe.

Qui a peur des femmes photographes ?

Qui a peur des femmes photographes ?

Tag(s) : #Expositions, #EVENT, #photographie
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