L’affiche est éloquente et a fait consensus : « La conscience devant une mauvaise action », œuvre réalisée par Victor Hugo à la plume et lavis d’encre brune sur papier vélin. « C’est comme une main tendue », disent-ils. « Ils » ? Les dix détenus-commissaires qui se sont portés volontaires pour organiser cette exposition, autour de l’œuvre magistrale et atemporelle de Victor Hugo, accompagnés par Vincent Gille, maison de Victor Hugo, Paris-Guernesey.
La culture en prison
Parce que « La culture doit entrer en prison comme une évidence », explique le directeur du Centre Pénitentiaire Sud-Francilien de Réau. Est-il besoin de justifier ? Ne s’agit-il pas de l’une des missions de l’Administration Pénitentiaire, de se préoccuper de la réinsertion des « publics empêchés » ? De toute évidence l’explication s’impose, comme le précisent les détenus : « Il est important d’arrêter avec les clichés et lieux communs sur les détenus. En prison, nous purgeons une peine, pour autant notre quotidien ne se résume pas à regarder des programmes désolants de télévision, ou de faire du sport. Nous nous cultivons, aussi. Nous apprenons ».
La culture prend une place de plus en plus significative pour répondre à cette question centrale : Qu’est-ce que la réinsertion ? Comment s’appréhende-t-elle, s’anticipe-t-elle ? Comment prouver sa capacité à se réinsérer ?
La culture constitue l’un des vecteurs possibles. Au CPSFR (Centre Pénitentiaire Sud Francilien de Réau), certains, parmi les 650 détenus, s’impliquent dans ce champ-là. Il y a trois ans déjà, une exposition avait été organisée « Le Voyage » avec le Grand Palais Rmn. Des pièces de théâtre sont mises en scène. Un prix littéraire a vu le jour, composé d’un jury d’hommes et de femmes prisonniers. « La mixité est un enjeu, la culture peut la rendre possible », poursuit le directeur qui encadre 90 femmes et 560 hommes, « la culture en prison, source d’ouverture, de considération et de fierté. Les détenus sont privés de liberté, cela ne les empêche pas de se tourner vers l’extérieur. L’occasion de se recentrer, de réfléchir au sens de leurs actes, et de se projeter. Les actions culturelles offrent des clés de compréhension de la société, du rapport à soi et aux autres, permettent des parallèles et des mises en abîme. Y contribuer renforce ce sentiment de pouvoir s’exprimer, de trouver sa place, même ceux qui au début ne s’estimaient pas capables de prendre part à de tels projets, sur la durée, hommes et femmes mêlés qui confrontent leurs points de vue, leurs approches, leurs sensibilités ; Ces actions aident à se construire, se reconstruire, à partir à la reconquête de sa dignité. Le fait qu’elles soient relayées par les médias, les familles, les personnels de l’Administration Pénitentiaire accompagne ce travail sur l’image de soi ».
Les Misérables, Victor Hugo
Œuvre imposée : il est question de rédemption, et de se confronter à son destin, auquel on n’échappe pas. Tout commence en février 2015 : le roman est distribué aux détenus, qui se l’approprient, le relisent : « Nous l’avons lu à l’école pour la plupart, mais sans en extraire le sens, ce qu’il révèle. Aujourd’hui dans ces conditions, Les Misérables apporte une autre lecture de la société ». Victor Hugo écrivait pour dénoncer. Auteur et homme politique engagé, en quête de justice, d’équité, de protection des enfants, contre la peine de mort, préoccupé par les condamnés et les conditions d’emprisonnement, les sujets dont il s’est emparé demeurent dramatiquement actuels, et offrent une caisse de résonance aux prisonniers. Vincent Gille a coordonné des séances de lecture à voix haute, et les tomes du roman ont été découpés, pour orchestrer cette exposition, point d’orgue d’un travail exigeant, d’un an. Puis est venu le temps de la mise en scène de l’exposition par les détenus-commissaires : les citations en exergue de chaque partie, le choix des photos, peintures ou œuvres d’arts plastiques qui faisaient écho à leur démarche intellectuelle et leur cheminement. Les visions se superposent ou s’opposent : l’œil féminin ne perçoit pas la valeur d’une pièce artistique de la même manière que l’œil masculin. Il y a échange.
Cinq thèmes ont été définis, mis en espaces selon un parcours astucieux, qui mêle l’œuvre de Victor Hugo et des formes d’expressions artistiques contemporaines qui se répondent. Les détenus-commissaires à tour de rôle expliquent le parcours de l’exposition, et à l’issue de chaque axe, un temps de parole libre est possible. Tout est millimétré, au cordeau, répété. On revisite Victor Hugo, en photos, dessins, facsimilé de la préface des Misérables, illustrations, peintures, extraits de films adaptés de son roman, cinéma muet ou parlant, comédie musicale, traductions, adaptation en BD. Son bureau. Sa plume. Sa main. Un texte de loi. Quelques pages romanesques manuscrites, sans rature. Des sculptures. Ces photos de réfugiés syriens, les yeux de cet enfant du Bengladesh, des représentations de chutes. On croise des noms connus et réputés pour leur engagement sociétal à travers leur art, d’autres plus confidentiels qui nous enrichissent. Lix. Devambez. Brion. Bacot. Bayard. Moreau-Vauthier. Pompon. Marville. Skarbakka. Ernest Pignon-Ernest bien sûr. Clichés AFP. Les parallèles oppressent, et force est de constater que le discours de Victor Hugo, au 19ème siècle est transposé avec aisance. Le travail est redoutable, le constat accablant. L’approche proposée dépasse les frontières de notre société, s’étend comme la gangrène. Une partie des œuvres sont exposées pour la première fois, y compris des costumes d’époque de l’Opéra national de Pologne, prêtés par la ville de Montfermeil.
L’exposition en verbatims
Cinq thèmes, et quelques verbatims implaccables. « Les Misérables ». Contexte. « La charge émotionnelle que véhicule l’écriture manuscrite de Victor Hugo » ; « Le film muet de Capellini nous a interpellé ». « Les personnages ». Monsieur Madeleine. Javert. Jean Valjean, qui ne cesse de chuter et de se relever. « Sortir du purgatoire est possible. Pour autant la libération n’est pas délivrance ». « L’enfance et la misère ». Cosette. Gavroche « Un battant : le récit du salut d’une âme ». « Les amours ». toutes acceptions confondues. « Victor Hugo a beaucoup emprunté à sa vie personnelle, pour comprendre les amours, même impossibles ». « Paris ». Un Paris insouciant à l’Ouest, amoureux dans les jardins, qui retrace les routes de l’exil, au Sud, flâneur dans les rues du quartier latin. De Toulon à Brest, en passant par la capitale « Paris est un personnage à part entière, une ville qui a ses humeurs, ses états d’âmes, et y déambuler grâce au roman nous le fait connaître ».
Mais aussi … « L’insurrection » et le « ras-le-bol » populaire. « On a découvert les subtilités de Victor Hugo, son écriture incisive à travers le rôle des révoltés, qui ont fait bouger les lignes. Il est dommage de devoir en arriver à une insurrection cependant pour se faire entendre, parce que l’issue est sanglante ; Nous sommes en démocratie, et l’un de nos droits est de pouvoir voter. Il est important de l’utiliser, c’est le pouvoir qui nous est accordé pour exister ». « Aujourd’hui ». L’exposition s’achève par les apatrides, les exilés, d’autres misérables dressés les uns contre les autres. La pièce d’Abakanowicz « La Foule V » clôt le parcours. Une foule d’hommes en résine, vêtus de toile de jute sans tête. « La misère n’a pas de visage ». Tout est dit, l’exposition est poignante.
Réalisée avec le concours de Paris Musées (Carnavalet, Musée d'Art Moderne notamment), des prêts de la maison Victor Hugo, et permise grâce à une convergence de bonnes volontés de toutes les parties prenantes.
En guide de conclusion, « Victor Hugo demeure un grand penseur actuel, qui a permis de donner un sens à la peine des détenus » ; « Il est question d’un travail de transmission de connaissances, et de donner accès à un public empêché, à des œuvres emblématiques et signifiantes ».
L'exposition, in situ -Centre Pénitentiaire Sud Francilien de Réau : "Les Misérables", Victor Hugo
@parismusees
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