Interview avec Danièle Meyrieux, metteur en scène de "Perceptions", de l'auteur francophone Aiat Fayez (ed. de l'Arche)
Comment met-on en scène un tel sujet de société, aujourd’hui ?
Le théâtre est le lieu du questionnement, il permet de voir et mettre à distance la réalité sans complaisance, à laquelle nous sommes confrontés plus ou moins tôt. Dans cette pièce, l’auteur ouvre ses pages à la violence quotidienne, que subit celui qui doit quitter son pays en quête d’une terre d’accueil. Ce qui m’a intéressé en tout premier lieu c’est de situer le questionnement dans l’imaginaire d’une mère plurielle, à la fois mère protectrice et féroce, et femme : humaine. Elle traduit toutes les facettes d’une mère qui craint le pire et aspire au meilleur. Pour mettre en scène cette pièce sur un sujet d’actualité et, hélas, intemporel : l’étranger et l’exil, j’ai pris le parti de confronter mental et réalité, dans une partition à 7 temps.
Pourquoi 7 temps, que symbolisent-t-ils ?
Il s’agit des étapes pour franchir une frontière : la traversée, l’arrivée, la découverte, le chemin, l’étranger, le prix à payer (littéral et symbolique), la libération. Je me suis nourrie d’allégories, de références à la fois empruntes aux légendes (Eros et Thanatos) mais aussi à l’actualité.
Le 7 est porteur de nombreuses significations emblématiques : les 7 continents qui rayonnent depuis la couronne de la statue de la Liberté, par exemple. Chacun interprètera, et adoptera le sens qui lui correspond. Quoiqu’il en soit, le 7 représente l’esprit, l’absolu, la connaissance, la recherche, l’intime, mais aussi la solitude, le renoncement, ce qu’impliquent les nécessaires choix de vie. Il est sensé porter chance…
Est-ce pour cela que les comédiennes jouent en burqa ? un choix audacieux !
Les comédiennes se nomment A, A’, A’’ et B, évoquant la neutralité ou l’universalité. Toutes les femmes, toutes les mères. Chacune exprime une intention particulière, que la burqa va révéler au fil des mots et des circonvolutions mentales de cette mère plurielle. Il n’y a aucune ambiguïté ni provocation dans la mise en scène en burqa. C’est très simple, et il serait dommage de dévoyer cette évidence : la burqa figurent l’énigme, le sens caché du voyage, les atermoiements d’une mère mais aussi d’un fils, ce à quoi il va être exposé en s’exilant. Nous ignorons tous les pièges de la vie qu’il nous faudra éviter, les rencontres remplies d’humanité qui nous consoliderons : ce fils et cette mère l'expriment. C’est cela, la burqa. J’ai fait appel à une plasticienne et costumière : SATO, qui a crée des costumes à la fois proches des figures de l’antiquité et de la science fiction, pour évoquer le passé et le futur d’une part. Nous avons aussi joué sur un autre niveau de représentation : l’acteur regardant et regardé, car il était important d’inclure les spectateurs dans cette mise en scène. Qu’ils deviennent acteurs eux aussi, qu’ils puissent se transposer à la place de cette mère mais aussi de ce fils, qui bientôt sera remis aux mains d’un passeur. Contre toute attente, la burqa permet ce lien.
À partir d’un cas particulier, vous mettez en scène l’itinéraire universel d’un exilé : comment vous êtes vous documentée ?
La pièce oscille entre fiction et réalité. Le point de vue est l’esprit de cette mère, elle imagine la traversée de son fils jusqu’à une terre promise. Je me suis préoccupée de cet imaginaire, le ressenti singulier de cette mère, ses propres perceptions, qui en deviennent universelles naturellement. Ses doutes et ses espoirs, ses craintes et ses encouragements, sont ceux d’une mère, d’une femme qui laisse partir la personne qui lui est chère (chair), sur des chemins dont elle pressent qu’ils seront tortueux, mais dont elle ignore tout. J’ai aussi lu des livres sur la figure de la femme et de la mère, comme « Ô solitude » de Catherine Millot, « Une chambre à soi » de Virginia Woolf ; Visionné des films : « La source des femmes », « Singué Sabour » (Pierre de patience) et, bien sûr, j’ai lu l’intégrale de l’œuvre d’Aiat Fayez, ses romans et ses pièces de théâtre. Il ne cesse d’écrire autour de l’exode, de l’étranger, de l’exil, du rapport entre les êtres. Une écriture percutante, qui mêle réalisme et onirisme, soi et autrui, avec poésie et humour. C’est cela qui fait sa force : des mots précis, qui traduisent dans le même temps toute la beauté et toute la cruauté du monde. Il convoque toute la palette de nos émotions, poète de la vie et ses dégradés.
En fait, j’ai surtout essayé de m’attacher à la grandeur vitale de A A’ A’’et B pour laisser entendre la voix de l’exilé, qu’elle résonne en chacun de nous.
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Bande-annonce "Perceptions" de Aiat Fayez, mise en scène Danièle Meyrieux