C’est romantique. Ça commence par un rouleau qui se lit comme un voyage, d’Ouest en Est, traversant l’Atlantique jusqu’à Paris, au Beat Hôtel. Une urgence de vivre et de créer, d’inventer, de défricher. Ce sont quelques figures mythiques, à commencer par Neal Cassady, autour duquel vont graviter Allen Ginsberg, William Burroughs, Jack Kerouac, Bob Dylan. C’est une révolte, un vol psychédélique au-dessus d’un nid de coucou, grâce à la culture. C’est l’avènement de la contre-culture contemporaine. C’est un collectif au service d’expérimentations dans l’image, dans le son, dans l’écrit –toutes formes confondues. C’est empirique, l’alliance de hasard et de combinaisons. Du spontané et de l’aléatoire. C’est une nouvelle forme de dialogue entre les expressions artistiques, les rapports humains, les considérations politiques et environnementales. L’oralité devient la pierre angulaire du mouvement, lire ou scander la poésie, en intégrant la notion de spatialité. C’est un nouvel alphabet, qui remodèle les sens. Des choses, de la vie, des mots.
L’exposition
L’hypothèse de l’exposition est la suivante : la Beat Generation est la première à s’approprier tous les moyens de reproductibilité (journaux, téléphonie, photographie, livres, disques, graphisme…), pour réaliser des parallèles, des analogies, des transferts d’un medium à l’autre, des essais, transformer l’écrit, le son ou l’image. S’emparer des technologies existantes, les médias à disposition pour élargir les horizons, développer d’autres techniques. L’exposition reproduit ce voyage initiatique, cette bonne parole prêchée parcourant les Etats-Unis, jusqu’à Paris et même Brest, où Kerouac ira chercher les origines de son nom. Sa route à lui est infinie, incessante, ininterrompue. L’exposition est immersive, les lumières, les musiques, les clameurs, les machines à écrire, les sonneries du téléphone (Dial on a poem), les cliquetis des appareils photographiques percutent. Il y a le vent aussi, l’espace, et cette route, longue, itinéraire parsemé de notes manuscrites, de dessins, de croquis, et d’images de films des années 1940. C’est à toute allure, jamais rien ne ralentit. De tous côtés, c’est foisonnant, une idée chasse l’autre ou l’amplifie. Tout se répond, se fait écho : New York et la Californie, le Mexique et Tanger, City Lights et les Mushrooms, Paris et la Dreamachine. Il est impossible en une seule fois de tout retenir, les Unes des journaux, les empiècements, les cut off cut up cut in et autres collages, Non au nucléaire et à la guerre du Vietnam, Oui aux drogues, l’émergence des mouvements hippies et punk, les reproductions, les cliquetis, les transistors, le mouvement est perpétuel. La première fois néanmoins, ce qui frappe évidemment est le rouleau original sur papier calque (1951), épine dorsale de l’exposition et de la pensée de la Beat Generation. Ce sont les notes de Kerouac sur son carnet. C’est le tapuscrit raturé de Howl dans son intégralité, dont on se souvient que la poésie jugée obscène a été interdite par son éditeur. Paradoxalement, c’est ce qui assurera la reconnaissance du mouvement et le caractère sacré des éléments, de leurs combats et de leurs mots. Plus de 500 œuvres sont réunies, qui témoignent du côté intemporel du mouvement culturel qui naît dans les années 1940, pour des effets hallucinatoires non négociables.
Everyting belongs to me because I’m poor !
Here Down on Dark Earth
Before we all go to Heaven
VISIONS OF AMERICA
All that hitchhiking
All that railroadin
All that comin back
To America
Via Mexican & Canadian borders…
Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy ! Holy !
The world is holy ! The soul is holy ! The skin is holy ! Evreything is holy ! Holy the supernatural extra brillant intelligent kindness of the soul !
Et le jazz, en fond sonore, musique d’improvisations par excellence.
Patti Smith n’est pas mentionnée. Elle se rapprochera du mouvement beatnik (beat signifie cassé, pauvre, sans domicile) une fois la génération (a priori) perdue. Pour autant, impossible de ne pas terminer avec cette extraordinaire icône, récitant Howl accompagnée au piano par Philip Glass. La Beat Generation, c’est une nouvelle poétique, un art de vivre libertaire, qui par-delà la suspicion initiale, continue d’influencer et d’illuminer les créateurs, les libres penseurs, les écrivains, les photographes, les poètes, les artistes et les intellectuels.
Beat Generation, au Centre Pompidou jusqu’au 3 octobre. www.centrepompidou.fr
Howl ; Patti Smith récite Allen Ginsberg accompagnée au piano par Philip Glass
Bob Dylan