Les oiseaux se cachent peut-être pour mourir, mais pas les inspecteurs. Carmine Delmonico par exemple, qui a cessé d’exister quand son auteur a cessé de vivre, continue de s’exposer, une dernière fois pour rappeler sa valeur. Le dernier tome des aventures de Delmonico, imaginées par la célèbre auteur Colleen McCullough –décédée en 2015, est publié ce mois-ci aux éditions de l’Archipel. « Péché de chair » : une intrigue compliquée pendant deux cents pages, obscure, qui mêle deux affaires, suffisamment pour que l’on veuille comprendre et, pendant les deux pages suivantes, on avale ce qui se passe pour savoir qui est le meurtrier pourquoi comment, quel lien est susceptible de relier les deux affaires et comment est-ce possible, quel est le trait d’union ?
Août 1969 dans le Connecticut, la canicule s’abat et foudroie comme cela a pu arriver parfois cet été en France. A Holloman, on retrouve un homme mutilé et mort de faim : « Pauvre eunuque, roucoula-t-elle ». Un indice pour le lecteur qui semble avoir un temps d’avance d’emblée : il s’agit d’une femme, une meurtrière. Une femme peut-elle se révéler aussi démoniaque ? En réalité le lecteur n’a aucun avantage et Colleen McCullough rappelle l’art de construire une histoire qu’il est impossible de lâcher jusqu’à ce qu’on en connaisse les tenants et les aboutissants.
Carmine Delmonico va mener l’affaire des « Doe », ainsi nommés car cet homme émasculé ne semble pas être le premier qui date de 1966. Ces hommes sans testicules seront les « Doe ». Il va s’adjoindre les compétences du sergent Delia Castairs. Elle-même, Dell, est affectée à l’autre affaire non classée, de meurtres en séries de jeunes filles : « Les Ombres ». A priori aucun lien entre « Les Ombres » et « Les Doe », et pourtant…
Parmi les énigmes qu’ils vont devoir résoudre : qui sont « In Connu » et « Per Sonne » ? Je-Walter et Walter Jenkins qui sort tout droit d’un Frankeinstein qui rappelle davantage Gene Wilder, dans un hôpital burlesque et néanmoins effrayant. Et cette amie, Jess, qui se prétend dans le camp des anges, quel rôle joue-t-elle ?
Une écriture simple et visuelle, des phrases courtes, une facture classique, des détails morbides et fourbes, qui se nichent ici et là, perdent l’attention, altèrent le fil conducteur, infimes au point de brouiller les deux collègues. Dommage : ils racontent tout. Fausses pistes, descriptions à n’en plus finir comme pour détourner et appâter le lecteur, décors d’outre-tombe labyrinthiques sanguinolents qui contrastent avec le luxe et la flamboyance de la propriété d’Ivy, Rha et Rufus, le Busquash Manor, expériences hors du commun menées par une psychiatre mégalo, le docteur Wainflet, amis dont il faudrait se méfier et ennemis dont il est difficile de soupçonner la complicité. Des personnages hauts en couleur, redoutables, des psychologies fouillées au scalpel, pas mieux qu’un légiste, des cadavres qui ne dévoilent rien, des ossements disparus, des corps sans tête, des lobotomisations insupportables qui n’ont aucune ambition médicale, rien ne correspond, rien ne s’emboîte. A priori.
Les deux font la paire, Delmonico et Destairs, patients et intelligents. Bien entendu le lecteur est intégré, il décline « Moi non plus. Franchement, de mon point de vue, c’est plus une cause perdue qu’une contribution à notre enquête et je n’ai pas la moindre intention d’y consacrer du temps » : erreur ! Aux côtés de Delmonico et Castairs, revisitez la nouvelle Electre à la sauce Colleen McCullough, ça donne un péché de chair machiavélique en cette fin d’été caniculaire sixties.
Entre thriller et polar, cette enquête arrive fort à propos, qui fait frissonner. Péché de Chair, Collen McCollough, aux Editions de l’Archipel, 408 pages, 22 euros.