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Poupe François Cérésa, c’est l’homme pressé, l’homme en colère et surtout un homme en colère. Cette colère, c’est celle d’un fils qui ne se résout pas à accepter la mort de son père, Poupe : « Il est entré à l’hôpital debout, il en sorti les pieds devant ». Le « il » devient « tu » dès la deuxième phrase : « il », c’est Poupe, c’est toi, papa. François Cérésa à la mort de son père explique les choses simplement : « Je meurs d’enfance ». Parce que, précise-t-il : « Il existe plusieurs vies. La première, c’est l’enfance. On ne s’en remet jamais ». Louis Nucéra l’avait déjà exprimé : « On se s’arrache pas de l’enfance ». Une citation que j’avais reprise pour l’un de mes romans, au moment où mon enfance s’était achevée. Parce qu’il y avait eu mort. C’est toujours la mort qui ramène à l’enfance, à ce à quoi il est encore possible de se raccrocher, malgré la douleur. Comme s’il était possible de faire marche arrière ; avant ; l’enfance ; même si on en ignore tout. Mais voilà : la douleur est plus sournoise et plus accablante, alors il faut déballer à toute vitesse, comme ça, torrentiel, ce qui surgit, et l’enfance ne revient jamais.

 

Très vite, François Cérésa décide de partager : « Je m’attarde. Cette famille vaut le coup », et nous, lecteurs, on s’en prend plein la figure à cent à l’heure et ça fait même un peu mal ce chagrin d’italien orgueilleux. Surtout quand on connaît François Cérésa pour de vrai, dans la vie. Il cite Roger Ikor : « L’essentiel est que l’homme se tienne droit et regarde droit : droit devant lui, droit en lui ». Il est comme ça, François Cérésa, en général. Sauf que sans Poupe, il s’écroule et ça, c’est inattendu. François Cérésa on le connaît râleur, bagarreur, fier, loyal, sincère, brut, cash, pas de concession, généreux, tempétueux. D’ailleurs il ne nie pas : « A peine là, il a fallu que j’emmerde le monde. J’ai eu du mal à être expulsé, ce qui fait que j’ai été écrabouillé et que ma cloison nasale en a pris un coup derrière les sinus (…). Ma mauvaise humeur vient de là. C’est mon baromètre. –Tu es né en colère, me disait Louis Nucéra » et Louis Nucéra avait raison. Mais, tout à coup, Fançois Cérésa vacille : « Si j’avouais ça à mes amis, ils seraient atterrés. –Toi, François ?... Toi si fort ?... Ils ne savent rien. Moi si faible ». François est humain et friable. Comme nous.

 

Il n’aime pas les photos, Cérésa : « Les photos sont là. Même si je déteste ces bromures qui immortalisent ce qui ne peut l’être, tu dois avoir douze, treize ans ». Avant, on s’en fiche des photos. On rit, on s’engueule, on boit, on mange : On vit ! Après : ça devient comme une drogue. Besoin de scruter. François, tu le dis très justement : « Qui se souvient de son enfance ? (…) Pour essayer de me remémorer certains événements, je consulte les photos ». Pour se rappeler Poupe, François déroule sa propre vie, depuis son enfance, photo après cliché. Brignogan, Antibes, Juan les Pins, Nice, Cannes, Mailly, rue de Grenelle. A l’extrême sud, à l’extrême ouest et au centre, histoire d’équilibrer. Rectiligne. Il se remémore d’abord les lieux. Les lieux c’est précieux, ça personnifie une vie, ça la démarque. Ensuite viennent les amis. Louis Nucéra, Bernard Morlino, Jean Daniel, Edgar Morin. Et la famille, par-dessus tout : Ariane, l’épouse, Frédéric, Gabriel et Alexandre, les trois fils. Sans oublier les animaux, parce que sous ses airs bourrus, François se laisse « animal-humaniser », le cœur tendre : « Qui prétend que les animaux n’ont pas d’âme » ? Rousseau jugeait la valeur des hommes à l’aune de leur rapport aux animaux, je crois que François Cérésa en racontant cet épisode, celui de son amour pour une poule, prouve sa valeur.

 

François Cérésa est le prolongement de son père et aussi sa face contradictoire. Comme les deux côtés d’une même monnaie. Il prend d’autres fils à partie : « Je me demande si un fils qui a raté l’amour de son père et qui en est malheureux est aussi malheureux que moi », précisant la signification de deux adjectifs qu’il se prend à détester : irrévocable et irréversible. C’est fini, en effet, François. Il est probable que d’autres fils soient aussi malheureux, des filles également François : les filles aussi ratent l’amour de leur père parfois, le sais-tu ? Demande mieux à ta sœur Sophie. Il se pourrait même que ces filles-là en aient une conscience aigüe. De ce tu décris si bien si vite si fort. Ce cri de douleur, que même Munch à côté, il prête à rire. Tu t’en veux : « Je m’en veux. J’aurais dû voler jusqu’à toi. Etre présent comme tu l’as toujours été avec nous. Toi le cœur sur la main. Toi le donneur de sang. » Tu dévoiles : « Dans la famille Cérésa, on a mauvaise langue. Cette particularité du lac de Côme vient de l’extrême sud. Grecs, Arabes, Espagnols. » Tu oublies les arméniens dépossédés, François, de tout sauf du mieux : « Ce sont les meilleurs, ce sont les plus beaux, mais chut ! il ne faut pas le dire ». Ah non, tu n’oublies pas. Tu vois, nous sommes tous à égalité.

Tu continues : « Je ne dis pas –mon papa-, je dis –mon père. Je pense à la gloire de mon père, pas à la gloire de mon papa ». Maudite pudeur. Maudit orgueil. Marcel Pagnol, décidément, imprègne les gens du sud : « Louis Nucéra (encore lui, François, n’est-ce pas), qui répétait les propos de Jean Cocteau, Auguste Renoir et Romain Gary, me disait que la beauté est née dans le midi ». Ce n’est certainement pas moi qui te contredirai ! Née à Toulon et conçue à Brignogan ou à Brest, avant d’habiter Cannes et Nice, avant la frénésie parisienne. En y réfléchissant, j'aurais pu être du nord, ç'aurait été pareil.

Tu poursuis : « Rien n’a été simple. Mon père m’a empoisonné l’existence jusqu’à mes seize ans. J’ai souhaité sa mort » et, plus loin : « Même si l’on a été d’accord une fois avec Dostoïevski en souhaitant la mort de son père, toutes les autres fois on a été d’accord avec le Nouveau Testament pour aimer et honorer celui qui nous a aimés et honorés. J’ai cette chance ».

Tu t’entêtes : « Tu ne dévoilais pas le fond de tes pensées. Ne pas avoir d’état d’âme ne veut pas dire ne pas avoir d’âme », pourtant tu rappelles que « Ses formules étaient lapidaires : Je t’embrasse mon grand », quand il t’écrivait. Il disait « se tremper » pour se baigner. Tu nous fais le coup de kilo de plumes et du kilo de plomb, de celui qui joue pour jouer et celui qui joue pour gagner, au tennis ; du ventre de ton père qui se noue quand il vient te soutenir pour un événement quelconque. Tu nous fais le coup des coups de gueule et des rires sonores, des bringues qui succèdent aux engueulades, de la main leste. Tu nous fais le coup des torgnoles et des remords. Tu nous fais le coup de ta scolarité ratée -rétif à l’autorité, du goût de l’effort, de « bosser », de l’action plus forte que la réflexion, des westerns avec son père. Tu nous fais le coup de briller dans les yeux de ton père, économe de paroles et de gestes tendres. Tu écornes même Roland Barthes, qui ne valait pas ton père. Tu nous fais tous les coups, François, tous, les 400, tu n’as rien oublié de ton enfance, tout compte fait, ni de ton adolescence, ni plus tard, jusqu’au dernier souffle de Poupe. Non, tu n’as rien oublié du tout, aucune anecdote, parce qu’on n’oublie rien de ses parents, en vérité, ni de son enfance.

Moi, j’ai envie de terminer par cet aphorisme : « Mon père ne cherchait pas à se différencier, il était différent. Il n’intellectualisait pas, il humanisait »  et je me demande : faut-il attendre que son père meure pour révéler toutes ces choses à côté desquelles on passe parce que tout semble immortel, que demain il s’éveillera comme d’habitude, rugueux, aimant ou les deux ? « Aimer quelqu’un, dis-tu, c’est croire qu’il ne mourra jamais. Tout se paiera »

 

Véronique Sanson sort un nouvel album et son premier titre : « Je l’appelle encore » est dédié à sa mère, qu’elle appelait toujours, pour un oui ou un non, une décision qu’elle avait prise, n’importe quoi. Sa mère qu’elle continue d’appeler. Comme toi : tu continues de parler à ton père. Comme Céline Dion. Comme Daniel Guichard. Comme Serge Reggiani quand il s'adresse à son petit Simon, avec son humanité toute italienne, chantante. Comme chacun d’entre nous, en vérité, qui avons la chance de connaître le pire et le meilleur, en étant l’enfant de notre père et de notre mère. Nous qui avons cette chance inouïe de connaître notre Poupe et notre Doune. Tu vois, nous ne sommes même pas capables de les appeler papa, maman ou par leur prénom, il nous faut leur inventer un surnom que les autres n’auront pas, parce qu’ils sont uniques à nos yeux, « Poupe le donneur d’âme ». Celui qui aimait aimer. Et toi François, celui qui sait si bien te rappeler et nous rappeler d'en profiter.

 

C’est sincère, à vif et brûlant, comme sorti du four, rempli d’affection et d’attention. Les mots se succèdent, fusent, comme les paysages depuis une fenêtre de TGV, on passe de l’Argoät à l’Armor sans transition, de la mer à la cité, du bleu au gris, c’est toi c’est lui, François Poupe. C’est émouvant. Toi aussi tu mérites le prix Renaudot, d’après une vraie histoire vraie, parce que si je m’identifie à ce que tu écris, tout le monde sera touché. Tu parles de lui, tu parles de nous. Nous tous, les enfants de nos parents.

 

Poupe de François Cérésa, aux éditions du Rocher, 275 pages, 18,90 euros.

Tag(s) : #Litterature, #EVENT
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