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I, Daniel BlakeI, Daniel Blake

 

« Je suis citoyen, rien de moins qu’un citoyen ». Daniel Blake ne demande pas grand-chose : l’essentiel. Le respect. L’humanité. La dignité. Ça commence fort et vif, presque drôle. Daniel Blake est convoqué à un entretien pour évaluer son état. Suite à une crise cardiaque, ses médecins ne l’évaluent pas apte à reprendre son métier de menuisier. Sauf que : pendant l’entretien, pour toucher sa pension d’invalidité, il échoue. Il répond trop sincèrement, trop lui-même, trop vite, trop à côté des cases, trop de commentaires, trop envahissant, aux questions stéréotypées de la personne qui l’auditionne, programmée comme un robot. Il perd patience, râle, il est recalé. L’alternative ? Pôle emploi. Or, pour toucher les indemnités chômages, il doit travailler. Ah oui : il n’est pas apte. L’absurdité d’un système bureaucratique qui enferme au lieu de réinsérer, qui broie plutôt que de donner une chance. Qui procède par élimination. Ça tourne en rond à l’excès. Son chemin croise celui d’une jeune mère de famille, relogée dans une maison insalubre, qui se noie dans une vie tout aussi incongrue. Ils vont s’entraider. Pas une fois, Ken Loach ne tombe dans les larmes faciles, les clichés ou le jugement. C’est factuel et ordinaire, pétri de bon sens. La plupart d’entre nous passons à côté de ces situations, la majorité aussi : ceux qui sont censés nous gouverner, se préoccuper des citoyens. L'Etat : qui a abdiqué. Ken Loach, lui, résiste et y consacre un film. Cependant, on en ressort choqué : en quoi le cinéma de Ken Loach, social et sociétal, va-t-il faire avancer le schmilblick ? quelle solidarité va pouvoir émerger et quand ? quelles solutions pérennes pour sortir d l'impasse, et par qui ? Il est évident que nous ne sommes pas égaux, certains nés pour diriger, d’autres pour exécuter, d’autres pour créer. Certains pour agir, d’autres pour subir. A quel moment la rencontre opère ? Un film direct et vertueux, en principe. Il dresse un état des lieux effroyable. La palme d'or suffira-t-elle à déclencher un sursaut ? 

I, Daniel Blake de Ken Loach (1h41). Drame avec Dave Johns, Hayley Squires, Dylan McKirnan

 

Réparer les vivantsRéparer les vivants

Je n’ai pas lu le roman de Maylis de Kerangal, mais avant elle j’étais déjà donneuse d’organes. Si ma mort peut prolonger une vie, alors c’est d’accord. Ça en vaut la peine. J’anticipe parce que si cela survenait, qui serait capable de prendre la décision ? dans quelles circonstances ? comment se situer ? quelle posture adopter ? posture est-il un terme adapté ? ça fait « corporate », discours d’entreprise, alors qu’il est question d’humain.

Simon est jeune, il surfe, il aime, il fait du skate, du vélo, il rejoint sa fiancée la nuit en cachette, il fait le mur, il aime les vagues. Et puis il meurt. De l’autre côté, cette mère de deux enfants, dont le cœur s’essouffle. Bientôt il ne supportera plus aucun de ses gestes. Elle est plus âgée que Simon. Ses fils ont l’âge de Simon. Et la rencontre chirurgicale se produit. Miracle insensé : un mort en échange d'une vie. Simon est jeune et sain. En état de mort cérébrale, ses organes n’en sont pas moins vigoureux. Ils peuvent poursuivre, dans une autre enveloppe corporelle, leur fonction. J’ignore comment l’écrivain a abordé son sujet, Katell Quillevéré a, quant à elle, une fois encore frappé juste. Elle filme à un rythme incroyable avec une précision chirurgicale, trois mots, une paupière qui se ferme, un cœur qui ralentit, marcher qui épuise, un baiser qui vaut tous les dialogues. C’est violent, apaisé et frontal. Elle filme toujours comme cela : des accélérations, une musique énergique avant le silence et l’effroi. Ça repart. Comme un électrocardiogramme. Un ECG. C’est clinique. Ça n’en est pas moins tendre et affectueux. Un réel souci d’autrui, des vivants comme des morts. Personne ne perd, personne ne gagne. Ou l’inverse, me direz-vous. C’est affaire de destins, personne n’y peut rien. En revanche ce que tout le monde peut réaliser, c’est à quel point le don d’organes est vital, au sens littéral. Il sert à réparer les vivants. Le jeune médecin en charge d’expliquer cela, Tahar Rahim, est transfiguré dans ce film. Il paraît timide naïf, débutant, col bleu. Il est là, presque indolent, à écouter son oiseau préféré entre deux opérations ; il sait pourtant rassurer ceux qui doivent l’être et expliquer l’indicible. « Pas les yeux » : les parents de Simon acceptent finalement, à cette condition. D’accord, pas les yeux. Tout sera fait selon vos souhaits. Et cela sauvera cette femme, une mère. Il y a toujours un moyen de prouver sa générosité. Quand tout est épuisé, dans la vie, il reste les organes et bien davantage que cinq ans à vivre. « Five Years » achève le film. David Bowie. Un très beau film.

Réparer les vivants, d'après le roman de Maylis de Kerangal (Verticales). Drame (1h44), de Katell Quillevéré, avec Emmanuelle Seigner, Kool Shen, Anne Dorval, Tahar Rahim

 

Tag(s) : #Cinema
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