J’ai tenu à rencontrer Yoyo Maeght pour le positionnement clair et définitif qu’elle a développé sur les réseaux sociaux : chaque jour elle poste, à intervalles réguliers, une somme de courts billets qui composent l’histoire de l’art. Toutes formes d’expressions artistiques. Une image, une légende, un souvenir, une figure iconique. Pas davantage. Suffisant pour donner envie de découvrir, d’explorer, se documenter. Elle initie en partageant ce qu’elle-même a eu la chance de côtoyer dès la naissance. Un parti-pris généreux, comme une main tendue. Elle qui a vécu son enfance au milieu d’un aréopage d’artistes illustres, elle poursuit ainsi, à sa manière, l’œuvre de son grand-père Aimé le bien nommé, mécène et marchand d’art. Dans la lignée d’un Paul Durand-Ruel, Aimé Maeght s’est vite révélé ardent défenseur des artistes, plus que les œuvres qu’il exposait dans sa galerie mais surtout, et en cela il a fait preuve d’une grande originalité, hors les murs. Yoyo concède que le modèle des galeristes est devenu obsolète, elle n’y adhère pas et trouve même « scandaleux de réduire une œuvre à une esthétique ». Elle entend, à son tour, proposer une autre manière de révéler l’art, de le rendre accessible au public le plus large, sans frontière, à travers des événements notamment, dans des endroits inattendus.
Enfance libre
Nul doute que cela lui vient de cette enfance dissolue, passée moins sur les bancs de l’école et auprès de parents peu soucieux d’une éducation formelle, qu’aux côtés de son grand-père adoré et de son épouse Marguerite (Guiguite) qui embarquaient Yoyo, ses sœurs et son frère au cœur, dans des soirées raffinées qu’ils organisaient à Paris ou à Saint-Paul de Vence, endroit de villégiature emblématique de la Fondation Maeght : « L’Olympe de la famille ». C’est ainsi qu’elle a appris, Yoyo : en discutant avec Malraux, Pompidou, Prévert, Miro, Picasso, Braque, Giacometti dès l’âge de quatre ou cinq ans. En observant Matisse peignant sa grand-mère. En écoutant Chagall l’éveiller : « S’affirmer dans une religion, c’est opposer son droit à la critiquer : se construire, c’est d’abord protester, contester, savoir dire non, c’est cela qui apporte une structure ! ». Elle en a conservé « la mémoire des œuvres, un impact visuel et physique » qu’elle ponctue avec des images de lieux, de vraies photographies. Elle en conservé une effervescence : « Il fallait que je sois partout, j’adorais ça, les dîners, les mondanités, me faufiler ; c’était insouciant, il n’y avait aucune obligation ». Elle continue de tirer le fil tissé à l’origine par Aimé et Marguerite Maeght, indissociables l’un de l’autre, et de l’art –leur passion commune, un choix de vie. Yoyo n’a pas spécialement étudié, elle n’a aucun diplôme. Elle a pris sa revanche sur le tard en devenant Magistrat : « Mon challenge personnel, ma petite fierté sur cette enfance diffractée entre Deauville, Saint-Tropez, Megève, Saint-Paul-de-Vence ; entre mes grands-parents maternels en Auvergne, où l’école était à 2 kilomètres à pieds et mes grands-parents paternels dans le sud auprès des artistes ». Cela rappelle à quel point le midi, celui de Poupe, ses infrastructures, la méditerranée et sa lumière auront influencé le rayonnement de la France : port militaire de Toulon au service de la défense du pays, lieu d’arrivée d’une vague immigration arménienne et italienne notamment, région devenue la résidence de tous ces artistes installés là, au gré des circonstances et des mouvements de l’Histoire. Yoyo a gardé de son enfance ce brassage, l’envie d’ouvrir à son tour les portes d’une culture multiple. Eh aussi un souvenir du « beau Marcello Mastrioanni [qui] y meurt au volant de la voiture de mon papa. Eh oui, il s’agit de la Grande Bouffe ! ». Un père davantage préoccupé par l’automobile, des parents fantasques et baroques.
L'art et la générosité en héritage
Yoyo n’entend pas proposer une approche universitaire ou académique : elle préfère susciter la curiosité, favoriser une errance intellectuelle. Elle est aujourd’hui commissaire d’expositions, elle foule le monde pour organiser des événements à la hauteur des artistes qui continuent de l’émerveiller, comme Aki Kuroda, l’un de ses plus chers amis. D’ailleurs sa maison est remplie de lapins, de monochromes, de séries de numéros, de fleurs ardentes du peintre. Son rapport à l’Asie est ténu, elle a organisé de nombreuses expositions sur ce continent, en Chine, au Japon mais aussi en Turquie et en Arménie dont elle garde un souvenir ému : « J’ai de nombreux amis arméniens, ce sont des gens sincères, d’une amitié totale, ouverts et généreux, travailleurs, que j’estime beaucoup, des battants, tenaces ! ». Sa passion pour l’Asie ? Une anecdote suffira à la résumer, à souligner cette vie tout entière dédiée à l’art. Ses grands-parents partent pour le continent à la conquête d’artistes émergents : « De retour d’un voyage au Japon avec Miro, nous reçûmes plusieurs containers de cadeaux, souvenirs, porcelaines, poupées et kimonos traditionnels. Mon attirance pour l’archipel est sans doute née de ce déferlement d’objets sublimement graphiques ».
Aujourd’hui Yoyo se concentre sur deux projets majeurs : la communication d’Aki Kuroda qui vient « d’interpréter » Hamlet de Shakespeare, dans le cadre des 400 ans de la mort de l’auteur, aux éditions Gallimard. Elle n’est pas peu fière de cette collaboration atypique : NRF-Hamlet-Shakespeare-Kuroda et Maeght montre-t-elle émue et virevoltante. Un livre-œuvre-d-art. Après un « happening » au très branché restaurant Yeeels à Paris, elle se prépare à partir à Courchevel dans un hôtel arty qui développe une série d’événements dès Noël. « Quelle ironie : la famille de ma mère est de Courchevel, je retourne aux sources en m’adressant à des collectionneurs et à une presse artistique internationale pour cet accrochage inédit, suscité par une question : To be or not to be ». Enfin, une dédicace du livre et de lithographies uniques de l'artiste est prévue le 3 décembre à l'Alcazar à Paris. Par ailleurs, elle envisage de produire huit architectes designers chinois. Une édition particulière de lithographies qui résume leurs projets sur 13 années. Son idée consiste à « fabriquer la matérialité des architectes ». Un nouveau défi pour cette passionnée en général, de lithographies en particulier : « Bien plus éloquentes de la personnalité d’un artiste, et à moindre coût ! ». Toujours ce souci de partager son enthousiasme artistique le plus largement, Yoyo œcuménique.
Pour en savoir plus : « La saga Maeght » par Yoyo Maeght, chez Robert Laffont, 330 pages, 21,50 euros.
Yoyo Maeght : www.yoyomaeght.com et sur Facebook ou ici ou là