« Monsieur le premier ministre » ...
Un cycle de 18 représentations a débuté mardi 2 mai au Théâtre de l’Atelier pour un mois : « Remettre la parole de l’homme dans la société, ses interrogations, ses préoccupations ; Rappeler que la politique et le théâtre sont nés ensemble et sont indissociables », présente Didier Long, directeur, dont la programmation de plus en plus exigeante et originale, renvoie plus que jamais à l’ambition de Charles Dullin, avec une alternance d’auteurs classiques ou contemporains, fins observateurs de la société, et de lectures de textes de grands hommes. Ce mois-ci, entre autres : Camus, Zola, Hugo.
Cette série nous invite à réfléchir sur le sens de la démocratie, dans un contexte politique confus, qui la fragilise, cette démocratie, qui exacerbe les passions au détriment de la raison.
Mise en scène sobre
Ça commence hors caméras. Replongeons-nous dans le contexte, ce sont peut-être les réclames à la télévision, avant le jingle présidentiel de l’époque. Aujourd’hui ce serait davantage un hashtag… Chirac est droit mais tendu, une clope à la main. L’époque où la cigarette est permise sur un plateau télé. L’époque où le cynisme et les petites citations nerveuses commencent à ponctuer les échanges. L’époque où, cependant, dignité et respect demeurent. Michèle Cotta enclenche le chronomètre, redoutable machine à vérifier l’égalité des temps de parole. Une Michèle Cotta presque timide et effacée, sans charisme, presque soumise, bien moins éloquente que ne l’était la célèbre journaliste politique qui présidera le CSA. Une telle personnalité est probablement difficile à refléter ?
Le débat, sur le fond
D’emblée Chirac évoque le général De Gaulle, sa figure tutélaire, fil d’Ariane de son discours, son point d’ancrage, quel que soit le thème qui va être abordé. L’insécurité, l’injustice sociale, la misère, la pauvreté, pour commencer, dont Jacques Chirac rappelle que, sous le « quinquennat actif » (1981-1985) de François Mitterrand, les chiffres (à l’appui) n’ont cessé de s’accroître. Comme ceux de l’immigration, en particulier clandestine, qui fait le terreau du Front National que les deux hommes, déjà, appellent à combattre en lui donnant pourtant une importance démesurée. Sans doute leur seul terrain d’entente. Jacques Chirac donne le ton : « Il s’agit de réaliser des économies, autrement que sur le dos des chômeurs ». S’agissant de l’Etat impartial, cher à Raymond Barre, poursuit Michèle Cotta ? Se pose alors la question de la liberté d’expression des médias, des censures et de la vague de nomination à la tête des grands médias nationaux, imposée par le gouvernement Mitterrand dès son accession au pouvoir. Jacques Chirac fait référence au congrès de Valence (1981 « Pour le socialisme », il était question de « réussir le changement », une idée portée par Lionel Jospin, alors premier secrétaire du parti, un slogan dont on connaît la suite) tout en se tournant vers une journaliste concernée : Michèle Cotta. Ça se tend. Michèle Cotta entend le demeurer : impartiale. « Oui, continue Chirac, je m’inscrirai dans l’esprit de la Ve République, qui vise à rassembler et à réunir ». Il n’envisage pas de dissoudre l’Assemblée nationale, plutôt de respecter la tradition républicaine, si le cas se présente. Le résultat des urnes, au soir du 7 mai, sera déterminant.
Puis il est question de la Nouvelle Calédonie, un sujet porté par un Chirac aiguisé, qui rappelle s’être rendu à onze reprises dans l’Archipel. Le sujet du terrorisme oppose les deux candidats. L’Europe enfin. Une Europe des Nations défendue par Chirac sur la base de quelques arguments clés : le « quinquennat actif » qui a fait progresser le terrorisme, la régularisation des immigrés clandestins, les nationalisations, la bureaucratie et le contrôle.
« Vous n’avez pas le monopole du cœur des chiens et des chats » répond avec dédain François Mitterrand à Jacques Chirac qui entend supprimer la taxe sur les produits alimentaires destinés aux chiens et aux chats, avant d’aborder la question de l’IGF. Puis les thèmes sont traités de manière expéditive (l’emploi, l’immigration), voire oubliés : la cause animale, l’égalité femmes-hommes, le terrorisme (même si Chirac rappelle la loi du 9 septembre 1986 portant sur la lutte contre le terrorisme) et la culture.
Le débat, sur la forme
Jacques Chirac se révèle factuel et concret, avec des éléments de langage étayés de chiffres, exprimant la vérité des faits, face à François Mitterrand rempli de morgue et d’arrogance, bien moins précis. L’âge en a décidé ainsi, le candidat Chirac conclut : « Nous sommes tous au service de l’homme ».
Jusqu’au 7 mai, Jacques Weber incarne François Mitterrand et François Morel Jacques Chirac, pour un débat un peu long et cependant, ce temps-là, essentiel, permet de prendre du recul et d’interpréter, peut-être, la situation inédite que nous vivons aujourd’hui en France, 30 ans plus tard. Un cycle vertueux au théâtre de l’Atelier, à ne pas rater.
1988, le débat, Mitterrand - Chirac