« L’anatomie du Scénario, Comment devenir un scénariste hors pair » est un ouvrage didactique, une poétique pragmatique et exhaustive, qui agrège toutes les précédentes sur le sujet depuis Aristote et, contre attente, ça se lit non pas comme une méthode rose fanée, mais comme un thriller. L’un des « douze genres majeurs : action, comédie, suspense, policier, fantasy, épouvante, amour, « chef-d’œuvre » (qui, théoriquement parlant, n’est pas un véritable genre), mémoires / histoire, mythe, science-fiction et thriller ». Ça tombe bien car « C’est principalement la comédie d’ange voyageur, ainsi que le thriller et le film de gangsters, qui ont ouvert la voie du mouvement français vers la narration de genre » d’une part et, d’autre part, « le genre » cette « forme d’intrigue spécialisée » : « En plus d’être à la base de 99,9% des films, séries télé, romans et jeux vidéo du monde entier, [le genre] a plus d’impact que tout autre élément sur la façon dont vous racontez votre histoire ». En effet : « Le commerce de l’industrie du divertissement, c’est l’achat et la vente de genres » et « L’élément clef qui permet de raconter une histoire à l’attrait universel est le genre ». On s’éloigne donc du modèle du cinéma d’auteur et d’art et d’essai qui traduit l’idée « selon laquelle un film se construit avant tout sur le point de vue du réalisateur », « drames étranges, nombrilistes, qui n’intéressent personne d’autre que l’entourage du réalisateur ».
Or, c’est le public qu’il faut viser et la principale vertu de cet ouvrage est de rappeler les fondamentaux du métier de scénariste. Tout un art ! que John Truby nous explique étape par étape, d’un point de vue factuel et circonstancié, composé d'exercices pratiques à l’issue de chaque chapitre ; de scènes et des films cultes décortiqués ; d'extraits de scénarii détaillés séquence par séquence, scène par scène ; de séries de questions / réponses dont on comprend qu’elles ne sont pas la somme d’éléments de langage que l’auteur aurait écrits pour se complaire et se satisfaire, non : plutôt la somme d’échanges concrets qu’il a développés avec ses élèves ou d’autres scénaristes et cinéastes. Parmi les films majeurs qui feront toujours référence dans les écoles de formation aux métiers de l’audiovisuel et du cinéma, les formations d’écriture scénaristique ou même de jeux vidéo : « Casablanca » qui semble définitivement le point d’ancrage, signé des frères Epstein, co-auteurs. Un film récompensé par trois oscars ! Que John Truby décortique (l’univers, le thème, l’intrigue, la structure narrative en 22 étapes qui révèlent le potentiel dramatique, le rôle de chaque personnage et leurs interactions, le débat moral posé –qui n’est pas moralisateur, la backstory ou le spectre de chaque personnage, les rebondissements-révélations…) quand Antoine Sire, dans sa Bible de l’âge d’or du cinéma féminin Hollywoodien (Hollywood, la cité des femmes paru chez Actes Sud), l’analyse du point de vue de la charge émotionnelle et talentueuse de l’héroïne, l’actrice Ingrid Bergman : « Cette scène offre un nouvel exemple de son talent, de sa capacité à passer d’une émotion violente à une autre sans forcer sa nature réservée. Pendant le tournage, le réalisateur Michael Curtiz, lui conseille d’ailleurs de rester elle-même et d’éviter d’en rajouter dans la composition, ce que sa formation suédoise la pousserait à faire ». Le conseil qu’il lui émet à ce moment-là pourrait également convenir aux scénaristes auxquels s’adresse John Truby. Curtiz à Bergman donc : « Tu vas ruiner ta carrière à essayer de jouer des personnages différents (…). Il faut que tu travailles à développer uniquement ce qui plaît au public dans ton personnage » et tout se recoupe. Et Ingrid Bergman entre dans la légende. Et Curtiz réussit à « transcender le genre », l’un des chapitres essentiels de cette anatomie.
Quelques techniques : piéger le héros dans un système, avec un dilemme crucial à résoudre. La question que tout le monde se pose au quotidien est, au cinéma, L’enjeu : « Comment vivre sans se laisser asservir par un système ». Le héros devra « viser un objectif actif », prouvant qu’il est capable de conduire une intrigue captivante. Pour atteindre ce résultat : « Commencez par établir la communauté, et non le héros. Exposez en détail, mais rapidement, la situation délicate dans laquelle se trouvent la communauté et les personnes qui, en son sein, ont des faiblesses et des problèmes particuliers. Faites entrer l’ange voyageur, parfait dans une certaine mesure. L’ange doit toujours entrer dans une arène unique », et par ailleurs « L’ange doit user de ruse » (Ex : « Intouchables » écrit par Olivier Nakache et Eric Toledano).
Construction et sémantique scénaristique
« Sachez que le film américain moyen compte quarante à soixante-dix scènes. Les romans en ont généralement le double » : le tissage de scène (« action unique qui se déroule dans un lieu unique à un moment donné », « unité de base du déroulement de l’histoire ») est la clé de voûte du processus d’écriture, dont John Truby rappelle par la preuve, toujours, que « L’ordre des scènes doit être dicté par la structure, et non par la chronologie ». Une fois que toutes sont formalisées, l’auteur doit s’interroger sur la pertinence de chacune, son potentiel à faire avancer l’histoire et « ce qu’elles peuvent apporter au développement du héros », car dans un film, le héros doit évoluer et se transformer. Pour y parvenir, l’histoire dans laquelle il s’embarque, doit suivre sept étapes et dérouler avec soin les faiblesses et besoin du héros, son désir, l’adversaire auquel il devra se confronter, son plan d’attaque, la confrontation finale qui fera de lui le héros, sa prise de conscience et son nouvel équilibre. « Au début de l’histoire, votre héros ne doit pas savoir ce dont il a besoin (…). Dotez votre héros d’un besoin psychologique et d’un besoin moral » : il doit surmonter une faiblesse qui le heurte, lui et lui seul et apprendre à trouver sa place parmi les autres. Le besoin moral permet de ne pas définir le héros comme un être parfait ou une victime, ce n’est jamais aussi binaire. L’une des questions fondamentales que tout auteur doit se poser d’emblée : « Quelle est la chose la plus importante pour laquelle ils se battent ? ». Répondre à cette question revient à définir le héros et le réseau de personnages (allié, faux allié, adversaire) par défaut : ce qu’ils ne sont pas, en partant de l’extérieur pour revenir à l’intérieur ou encore, de la fin –la prise de conscience pour revenir au début. Le dynamisme narratif devient l’atout popularité de l’histoire : son sens du rythme et de la mesure, ses silences, ses variations, comme une partition musicale, outre ce principe définitif : « Il est impossible d’écrire une histoire populaire, et extrêmement difficile d’écrire une bonne histoire, avec un héros qui n’a pas d’objectif clair ». « Le désir fournit les fondations de l’intrigue » qui devient organique et qui « comporte un seul enchaînement de cause à effet ».
Une « poétique pratique », comme qualifie John Truby cette anatomie du scénario très accessible. Ce qui la rend si accessible précisément ? Le fait qu’elle exprime à quel point « L’art vient de la technique » et, plutôt que de considérer cette poétique comme un carcan, une contrainte, un cadre trop balisé, au contraire, il s’agit de délimiter pour mieux libérer son écriture, « au service des personnages » : « On obtient ainsi des fondations solides sur lesquelles on peut s’appuyer pour prendre des risques créatifs », mettre en place un réseau de symboles, élaborer des dialogues symphoniques. « Les bons dialogues sont toujours plus intelligents, plus spirituels, plus métaphoriques et mieux argumentés que les conversations de la vie », composés de mots-clés, ces hashtags planétaires qui définissent les histoires. Truby désinhibe tout à fait la notion de stratégie et de principe directeur : « Que se passerait-il si… » ! Eh bien, à vous de jouer et de trouver la solution, de développer l’histoire vitale qui va rejoindre toutes les autres et en particulier « celle de l’évolution des êtres humains ». Alors, à l’instar du héros dites-vous, avec détermination : « Si je veux donner un sens à ma vie, il faut que je me batte pour ce en quoi je crois. Et je vais le faire ici et maintenant », n’oubliez jamais que « le verbe intriguer : créer une machination ou un plan secret en vue d’atteindre un objectif ». Relisez Jorge Luis Borgès (l’apprentissage, la révélation) et Anton Tchekov (les quatre-vingt-dix dernières secondes) ; rappelez-vous que « Une grande histoire est immortelle », comme « tisser une tapisserie infinie » et surtout persuadez-vous que « Vous êtes l’histoire sans fin ».
John Truby : « L’anatomie du scénario ; Comment devenir un scénariste hors pair ». Nouvelle édition parue chez Michel Lafon. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Muriel Levet. Directeur d’ouvrage : Ollivier Pourriol. 574 pages, 24,95 euros.
l'Anatomie du scénario par John Truby
John Truby nous fait entrer dans les secrets de fabrication de ce qui constitue la condition première de la réussite d'un film : une bonne histoire.
https://www.youtube.com/watch?v=KNn8AsmNcdM&feature=youtu.be
L'Anatomie du Scénario de John Truby en vidéo, chez Michel Lafon, par Ollivier Pourriol