C’est au bout du bout du monde. Bien après Brest. Près du kilomètre Zéro pour les quelque 400.000 pèlerins qui se rendent à Compostelle chaque année. Ou pour ceux qui, à l’instar de « Ti Jean » Kerouac, viennent enquêter sur leurs origines bretonnes et réaliser leur satori. Sur la route. Non loin du sémaphore, du cénotaphe, du Mémorial National des Marins morts et sa stèle emblématique, du phare, de l’abbaye en ruines, ses fantômes et ses légendes. Sur la route. Entre la plage familiale et infinie du Trez-Hir Plougonvelin, le fort de Bertheaume construit par Vauban, le port de pêche du Conquet. Sur cette route qui longe l’Atlantique. Entre les tas de pois et les îles de la mer d’Iroise. Sur la route. Au son du vent, des moutons et des chevaux, des mouettes et des sternes, des morses et des dauphins. Au cœur d’un terrain militaire de 17 hectares, parsemé d’anciens blockhaus et autres bunkers. L’une des parcelles vient d’être aménagée par les frères Coquil, passionnés d’Histoire. Pointe Saint Mathieu : c'est là, exactement. Ils ont grandi sur ces terres patrimoniales et mémorielles, écoutant les souvenirs de guerre dans les bourgs et les communes, et auprès de leurs ancêtres. « L’approche de l’Histoire par les petites histoires » révèle Aurélien, le cadet. C’est cette dimension qu’ils ont souhaité donner au tout nouveau Musée des Mémoires 39-45. Une visite étroite et serpentine, ça monte et ça descend au moyen d’escaliers tortueux, sur cinq étages, sous terre et jusqu’aux cieux, qui donnent accès à des espaces confinés et saisissants.
La visite
Si la visite est organisée en trois temps, le visiteur est libre de s’égarer, revenir sur ses pas, (re)lire un témoignage, vérifier un détail, scruter une photographie où il reconnaîtra peut-être un aïeul, s’approcher des armes grenades uniformes médailles cartes affiches, fouiller ses souvenirs pour une mise en abime, dépassionner ce qu’il a pu entendre dans son enfance lire ou visionner au cinéma, compléter un pan particulier grâce à une archive désormais exposée après avoir été longtemps classée « confidentiel-défense ».
La première étape permet de découvrir un casernement reconstitué, derrière la porte blindée étanche : la vie quotidienne des soldats du mur de l’Atlantique. Les corvées, l’entraînement, les jeux pour passer le temps, l’harmonica pour évacuer le gaz moutarde. Ensuite, le visiteur est guidé par les témoignages de ceux qui ont vécu la guerre en Bretagne. Pendant vingt ans, les frères Coquil ont rencontré et écouté des sapeurs pompiers brestois, des officiers plougonvelinois, des élèves officiers de Lesneven, des marins pêcheurs de Saint Guénolé, des cultivateurs de Plounéour Trez ou de Roscoff… Ces histoires individuelles viennent ponctuer l’Histoire, agencée de manière chronologique et étayée de documents authentiques, preuves incontestables. Place aux civils et aux militaires, de la mobilisation à défaite, sous l’occupation, le rationnement, la défense passive in situ. Les vitrines sont fournies de pièces extraordinairement conservées. Aménagées de telle sorte que l’on se trouve immergé dans cette époque nébuleuse. Faire confiance, à qui ? Survivre, comment ? S’entraider, de quelle manière ? Davantage qu’un musée, une expérience inédite qui ne nécessite ni 3D, ni casque de réalité virtuelle. Rien de spectaculaire : du vernaculaire. Le visiteur plonge dans le passé, il partage l’effroi et, paradoxalement, constate l’humanité et le réconfort dans le même espace-temps. C’est frontal, brutal, réaliste, émouvant sans pathos ni effets dramatiques. Cette étrange impression : les mannequins vont s’avancer, briser les vitres et nous prendre dans leurs bras. Ça y est, la guerre est terminée. C’est fini !
Non. Soudain le visiteur avise l’abri anti bombardements. Il frôle la douille de 280 provenant de la batterie Graf Spee au Conquet, un filet anti grenades en cas d’attaques terrestres. Il pénètre à tâtons, les bombes vrillent ses tympans. Une lueur faiblit et rejaillit comme un cœur trop sollicité. Une jeune fille, coupe soignée et robe impeccable, accueille le groupe venu se protéger. C’est spartiate mais chaleureux : une lampe, une table, des bancs, quelques couvertures et victuailles. La peur au ventre et l’habitude mêlées révèlent des personnalités courageuses et résistantes. Lorsque les avions cessent leur mitraillage, le visiteur ressort et se demande ce qu’il restera de son appartement, de l’immeuble dans lequel il réside, de la maison de son voisin ou de ses parents. Cette fois-ci, tout va bien, mais Brest sera rasée, entièrement. La fin de la visite s’achève de manière panoramique, sur le dernier palier du blockhaus : les kiosques offrent une vision à 360 degrés. L’entrée de la rade de Brest, la presqu’île de Crozon, l’île d’Ouessant. Les distances sont indiquées au millimètre, la vue est éblouissante et porteuse d’espoir. L’horizon de tous les possibles par-delà les terres et l’Océan. Brest sera reconstruite, entièrement.
Le visiteur ne trouvera aucune objectivité dans ce musée, ni jugement. Les frères Coquil ont opté pour un parti pris définitif : « Nous voulons éveiller, questionner, susciter la curiosité et l’envie d’en savoir davantage » conclue Clément, l’aîné. Un musée d’un genre nouveau, qui sera inauguré le 30 juin prochain en présence d’officiels et de particuliers, pour ne pas oublier, comprendre ce que l’on ignore de la vie pendant la guerre, des jours sous les pilonnages, de l’aménagement et du rôle d’un blockhaus, ce qu’ont vécu nos parents ou grands-parents. Parfois, ça tangue et ça bouleverse. La plupart du temps, ça remplit de fierté. Les frères Coquil, au service des patrimoines et des mémoires.
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Crédit photographies : Ouest-Images à Plougonvelin.
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