Le 16 septembre 1977 Maria Callas était retrouvée morte dans son appartement feutré et sombre de l’avenue Georges Mandel. Quarante ans plus tard, elle vit pourtant et, pour la première exposition organisée à La Seine Musicale, sur l’emblématique île Seguin, elle nous adresse la parole, elle se meut, elle chante, elle murmure les trahisons et douleurs vécues, elle rappelle les vertus du professionnalisme et de l’exigence, qui conditionnent le talent même si des prédispositions évidentes l’auraient de toute manière conduite vers son destin. Celui d’être la cantatrice virtuose la plus acclamée au temps de sa superbe et la plus accablée au temps de son déclin. Comme si le public ne pouvait accepter que sa voix, qui couvrait 3 octaves, lui fasse défaut un jour, ce public qui avait tant pleuré d’extase en l’écoutant. Elle meurt, seule. La Soprano, la femme aux 4 prénoms (Maria Anna Sophia Cecilia) autrefois si entourée, qui avait connu tout des fastes et de la vie flamboyante. Tant d’honneurs avant un mépris inique. Elle avait tout sacrifié pour être la meilleure, cantatrice Diva s’il en est, jusqu’aux métamorphoses les plus folles par amour de la musique, par amour des hommes. Et cependant, l’un des plus émouvants documents sonores de l’exposition est celui-ci : une interview lors de laquelle elle loue la reconnaissance du public.
Après le récent Prix Nobel de Littérature, en hommage à sa poésie : Bob Dylan, qui a inauguré le nouvel espace dédié à toutes les musiques dans l’Ouest Parisien, la Seine Musicale s’offre La Callas. Aucune fausse note : la classe dans les Hauts-de-Seine. Étrange de songer que La Callas demeure adulée, quarante ans après sa mort, sur une île francilienne autrefois dévolue au travail. Elle qui disait : « Je suis juste une petite fille grecque née en Amérique, néanmoins je suis aussi une diva qui peut demander tout ce qu’elle veut ». La diva s’est offert La Seine Musicale. La petite fille grecque née en Amérique est revenue sur une île au passé besogneux et industriel.
Une première aussi pour le commissaire d’exposition, Tom Volf, à l’allure juvénile. Que peut-il bien connaître de La Callas ? Il faut remonter quatre ans auparavant : il ignorait tout de l’art lyrique et de La Callas. Il a suffit d’une écoute de Donizetti. Une seule et La Callas l’aurait comme « appelé ». Oui, quelque chose de cet ordre, mystérieux. Une affaire de destin. Tom Volf est sous le charme et se documente, il lit, dort, écoute La Callas. Il envisage dans un premier temps d’en réaliser un documentaire et prévoit d’y consacrer 3 mois. Il cherche des témoignages, des pièces inédites, jamais encore révélées. Sacré défi ! Le voilà pris, à son insu, dans un tourbillon auquel il va consacrer 4 ans de sa vie, menant une enquête fiévreuse. Il commence à New York, où il retrouve l’homme des premiers enregistrement pirates de Maria Callas. Lequel va le conduire vers le majordome et la femme de chambre de la diva, qui demeureront à ses côtés quoiqu’il advienne, puis Georges Prêtre, et l’attachée de presse de Pasolini ou Zefirelli. Une rencontre en provoque une autre, en Grande Bretagne, en Italie, en Grèce, au Brésil, en Australie et un puzzle se compose. Toutes ces rencontres se révèlent généreuses, offrant à Tom Volf leurs archives intimes. Tom Volf parle de transmission. C’est cela le dénominateur commun de ces rendez-vous qui s’enchaînent, aucunement liés au hasard : une certaine idée de la transmission, pour que La Callas vive encore et encore, continue de nous éblouir de sa voix et sa posture de tragédienne. Tom Volf se considère comme un messager. C’est réussi : Maria Callas parfois, semble s’extraire des photos ou des images exposées pour nous entraîner d’une pièce à l’autre. Mexico, ses métamorphoses, la sainte famille, Norma, La Traviata, Médée –son seul rôle au cinéma et pas des moindres, sa relation singulière avec Pasolini, Onassis bien entendu, Prêtre avec qui elle partageait probablement sa meilleure langue : musicale, les fêtes somptueuses, les rires, Maria au naturel, svelte en bikini sans maquillage, La Callas apprêtée, presque engoncée dans ses toges, les yeux charbonneux, aux côtés de Grace Kelly. Elle nous lit sa correspondance intime, dévoile tout.
Comment résister aux clameurs et aux applaudissements ? à son expression corporelle, aux déformations de son visage pour devenir ses héroïnes malmenées par les librettistes. Il est question de vengeances, d’amours et de trahisons. Est-ce l’Opéra qui a déteint sur la vie de Maria Kalogeropoulos ou l’inverse ? Un espace central, sorte d’îlot de recueillement opportunément situé, entre la gloire et la disgrâce, diffuse des extraits de ses concerts à Paris, Rome, Athènes ou Londres. Paris 1958 : Il Trovatore. « Console l’âme douloureuse du triste prisonnier » pleure-t-elle ; elle livre les « peines de mon cœur » à vif, comme un chagrin irrépressible. Rôle ou vérité ? Lucia Di Lamermoor, Athènes 1957. Norma, Rome 1957. Comment ne pas souffrir ? Tristan und Isolde, Athènes 1957. C’est cela, Maria by Callas, l’exposition qui donne envie de verser toutes les larmes d’extase, de joies et de douleurs contenues, jusqu’à ce que l’émotion nous submerge.
La Callas exigeait peut-être : aucun second rôle, nul pacte avec la médiocrité. Est-ce blâmable ? Tom Volf nous prouve qu’au contraire elle avait raison, quitte à en mourir. Les clichés exposés, les archives sonores ou visuelles laissent découvrir une femme, une cantatrice, une tragédienne hors norme, inclassable, vivante et joyeuse, heureuse de savourer chaque instant, du plus extravagant au plus cruel, également. Elle vivait tout uniment dédiée à son art, à l’amour et à la vie. Les dernières vidéos, exclusives, révèlent une ferveur fantastique lors de ses obsèques. Le public, les journalistes, les artistes : tout le monde est présent, sincèrement éprouvé, tanguant entre pardon et reconnaissance. Obsèques-Catharsis, obsèques-réconciliations. Une autre vidéo, les dernières images de Maria Callas avenue Georges Mandel en compagnie de ses chiens, la montre nous faisant un dernier signe de sa main si longue et si fine. Si élégante. Elle est partie.
Tout ce qui n’avait pas encore été dévoilé, dit, écrit sur Maria Callas l’est aujourd’hui grâce à Tom Volf et, à présent, je peux aussi dire que j’ai parlé avec Maria Callas et j’en ai frissonné de bonheur et d'émotion. L’exposition la plus vivante et généreuse qu’il m’ait été donné de visiter, dans cet espace spectral qu’est la Seine Musicale, cette bulle de verrières, épurée à l’extrême. Blanche fantomatique. Pourtant, Maria Callas était bien là et n’a rien d’une apparition chimérique.
Maria by Callas, Tom Volf. La Seine Musicale, île Seguin, jusqu’au 14 décembre ; mariabycallas.com et #callas2017 ; www.hauts-de-seine.fr
Légendes photos
Sur-le-tournage-du-film-Médée-de-Pasolini-avec-son-amie-Nadia-Stancioff©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
Sur-le-tournage-du-film-Médée-de-Pasolini-avec-son-amie-Nadia-Stancioff-et-le-producteur-Franco-Rosselini©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
Callas&Onassis-soirée-aux-20-ans-du-Lido-1966©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
Gala-de-la-légion-d-honneur-Paris-1958©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
En-vacances-avec-Pasolini©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
Grace-Kelly-Onassis-Callas©Fonds-de-Dotation-Maria-Callas
Callas Confidential, le livre
Tom Volf, tout à sa passion pour La Callas a non seulement tourné un film documentaire (diffusion prévue en décembre) et scénographié l’exposition #mariabycallas ; Il est aussi l’auteur d’un ouvrage-événement qui coïncide avec le 40ème anniversaire de la disparition de la star ! Un Beau Livre intime, qui dévoile la diva avec pudeur, admiration et reconnaissance. Tom Volf conforte son rôle de « messager ». Raconté par Maria Callas elle-même, ce livre-confidences se singularise et rend plus vivante que jamais la cantatrice : interviews inédites, scrapbooks, photographies personnelles, échanges épistolaires. Elle revient sur les scandales qui ont eu raison d’elle, sur ses amours, sur sa vie composée de solitude derrière l'apparente flamboyance. Maria Callas présente ses deux facettes sans rougir, sans larme, sans regret, sans rancoeur.
D’une part la soprano enfiévrée et ténébreuse, professionnelle obstinée, jamais tout à fait satisfaite, toujours en quête de perfection. Elle faisait davantage qu’incarner ses héroïnes meurtries, trompées et trahies : elle les vengeait, elle leur rendait justice. D’autre part la femme, fragile, animée par un amour inconditionnel qu’elle ne cessera de rechercher, outragée et blessée. Plus qu’un livre, un document sonore et animé, étrange et fantastique. C’était cela, La Callas, les deux faces d’une même monnaie qui continue de résonner.
Tom Volf est protéiforme : documentariste, metteur en scène et commissaire d’exposition, réalisateur, photographe. Il a longtemps géré la communication digitale et audiovisuelle du Théâtre du Châtelet, avant de découvrir par hasard Maria Callas, pour ne plus la quitter. Envoûté. Impossible d'y résister.
Callas confidential, aux éditions La Martinière, 240 pages, 45,50 euros, disponible courant octobre. www.editionsdelamartiniere.fr