Actualisation dans le cadre de la panthéonisation de Missak Manouchian et son épouse Mélinée, ce 21 février 2024.
C’est le général de Gaulle qui inaugure l’esplanade du Mont Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine) le 18 juin 1960 : Mémorial de la France combattante. Ce vaste espace, qui honore le souvenir des morts pour la France de 1939 à 1945, avec son architecture imposante composée de seize hauts-reliefs, devient officiellement le symbole consensuel de liberté et d’unification des mémoires. Si les hauts-reliefs traduisent un geste qui rappelle que le Mont Valérien a été le principal lieu d’exécution par l’armée Allemande en France, un seul raconte l’histoire des fusillés de la résistance. Pourtant, le chemin de ces 1008 hommes engagés pour la France est le plus troublant. Assassinés pour avoir résisté à l’occupant, parce qu’ils étaient prisonniers, communistes, juifs ou arméniens.
Ils ‘aimaient la vie à en mourir’
Ils étaient de dix-sept nationalités. Parmi eux, le groupe de l’Affiche rouge, des FTP-MOI, mené par Missak Manouchian, poète arménien qui sera célébré par Aragon et Ferré.
Depuis peu, avec un accompagnement pédagogique, il est possible d’emprunter leur chemin, ce ‘parcours du souvenir’, censé donner un sens à l’humanité : lieu de vie pour les arts, le souvenir, la pédagogie. Ces résistants étaient conduits par les Allemands, mais beaucoup d'entre eux avaient été arrêtés par la police française au Mont Valérien, parfois dans la chapelle où les graffitis intimes et militants demeurent intacts et jusqu’à la clairière des fusillés, avant que les corps ne soient dispersés dans les cimetières parisiens, notamment Ivry. Ce Parcours du souvenir contourne la clairière, peloton d’exécution, sans jamais la traverser et, mettre ses pas dans ceux de ces hommes morts pour nous, est éprouvant. Le plus insoutenable est l’effroyable silence qui s’en dégage, qui rend leur présence assourdissante. Ils étaient conduits sur leur lieu d’exécution par groupes de cinq. Certains attendaient dans la chapelle, lieu de transit. Ils pouvaient y demeurer une demi-journée. Le père Franz Stock, aumônier des prisons parisiennes, venait à leur rencontre, passeur clandestin de leurs derniers mots.
Cet abbé qui dirigea la Mission catholique allemande de Paris, de 1934 à 1939, tiendra des carnets de ces rencontres, tous exposés. Au sol, dans cette chapelle intime aux murs bleu-azur, stationnent les tombeaux qui déposeraient les dépouilles dans les cimetières. Les cinq poteaux d’exécution y sont aussi déposés. En face, un monument en bronze érige les noms de chaque fusillé, par ordre alphabétique et date d’exécution, année après année, jusqu’à la dernière mise à mort en 1944 : à égalité. Cependant, les femmes n’étaient pas exécutées au Mont Valérien ni sur le territoire français. Le Mont Valérien, juridiction militaire dirigée par les soldats de la Wehrmacht, appliquait le code militaire à des otages de la France. Au sein du groupe de l’Affiche Rouge, traqué par des brigades spéciales de la préfecture de police de Paris, à l’origine du plus grand nombre d’échanges armés en Île-de-France : une femme, jugée et guillotinée en Allemagne.
Le monument, inauguré en 2003 et conçu par Pascal Convert qui évoque une cloche. La plupart des noms inscrits sont français, 20 % ne proviennent pas de la métropole : la majorité est des Polonais, Espagnols, etc. Si le monument évoque la cloche, c’est pour souligner le rapport spirituel et le rassemblement. On sonne le glas, on donne l’alarme, on signe l’urgence. Ses courbes rondes rappellent qu'il n'y a ni début ni fin.
Si le 15 décembre 1941 marque la plus grande exécution d’otages juifs et étrangers choisis à Drancy notamment, 1942 est l’année la plus meurtrière : le code des otages est instauré. Pour un Allemand assassiné, autant d’otages fusillés que la police française va chercher dans les camps, les centres d’internement, les prisons et autres lieux de privation de liberté. Autant de lieux d’internements gérés par l’administration française. Ce qui explique ces ratios édifiants : 17 % de Juifs, 20 % d'étrangers, entre 60 et 70%de communistes, 40 % d'otages. Les exécutions concernent tous ceux qui sont désormais considérés comme des ennemis par engagement (communistes), action (résistants) ou idéologie (juifs).
Le ‘parcours du souvenir’ donne à lire les ultimes lettres de ces condamnés à mort. Bien sûr, je m’arrête sur celle que Missak Manouchian, écrite à son épouse Mélinée.
S’il existe un enjeu de mémoire au Mont Valérien, le groupe de l’Affiche Rouge l’incarne, sujet à propagande : rouge ‘de sang’ à l’origine de la réponse d’Aragon : ‘noir de Barbe’ (roman inachevé). Le 21 février 1944, un sous-officier allemand a pu prendre trois photographies des exécutions du groupe de l’Affiche Rouge, disposé sur la dalle de grès rose. Exécutés parce qu’ils étaient Arméniens, parce qu’ils défendaient la France, leur terre d’accueil après l’exil de leur terre natale, sans retour possible.
Pour en savoir davantage : www.mont-valerien.fr ou pedagogie@mont-valerien.fr
À retrouver dans Azad magazine n°160, décembre 2017