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Les Éditions de Paris / Max Chaleil ont récemment publié l’anthologie établie et présentée par François Kasbi de « Matulu », ce journal aussi rebelle qu’éphémère, émergé de sous les pavés. Fondé par Michel Mourlet, d’abord cinéphile (mac-mahonien) et critique cinéma (rédacteur en chef de « Présence du cinéma »), comme si la culture cinématographique, dont l’écriture est clinique, entraînait toutes les autres formes d’expression dans son sillage et leur offrait des perspectives insoupçonnables. Précisément parce que l’écriture la plus basique et neutre donne accès au champ de tous les possibles et libère les imaginaires, les intentions, les inhibitions. « Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. » Les lecteurs lisent pourtant tous la même chose, sauf que chacun en signera une approche intime et personnelle, unique et singulière. Mourlet s’adresse donc à ceux-là, désireux de quitter le troupeau : « les pessimistes invétérés, les vaincus d’avance, qui ne tentent rien par principe et cueillent immanquablement les fruits amers de leur inertie. » Il fonde Matulu, « L’Éléphant dans la porcelaine », une alternative aux penseurs qui faisaient la culture engagée d’avant-garde : Barthes, Deleuze, Guattari, Derrida. Matulu c’est davantage : « un combat contre la ‘pollution culturelle’ » et Mourlet s’entoure des autres justement, ceux qui ont fait de la langue française leur patrie, ceux qui désenclavent et affranchissent. « Il s’agit d’ouvrir –GRAND : lire d’abord, tenter de comprendre après. Juger ? Si vous avez du temps à perdre. » Les autres ? Goursat, Marmin, Martinet, Eibel, Amette, Sollers, Lourcelles, Duval, Ferrari avec et sans pseudonymes (Olivier Darban, le Capitaine Bracquemont…) : une bande d’amis avant tout, de droite, une « droite aventurière, [qui] se méfie des ‘idées’, a du mal avec l’embrigadement, chérit la polémique et la provocation. »

 

Si le cinéma accède à une place de choix dans Matulu, le mensuel explore toutes les cultures dans le but de « maintenir. Il y a une tradition. Il s’agit de la relever. De la garantir. Tradition ne signifie pas clôture. » La Littérature pour commencer –l’accroche de Kasbi qui dédie son anthologie, travail remarquable, à la mémoire de son père, « lecteur impeccable ». Sobre et éloquent. La littérature donc, qui place à égalité Rebatet et Dutourd, sans que cela ne fasse polémique. Ce qui intéresse, c’est l’écriture, le soin porté à l’écriture. Écrire : un métier. Dossiers, entretiens, extraits, chroniques, projets, notes, remarques. Mais aussi la poésie, la télévision, le théâtre, le jazz, la musique, l’art lyrique, la peinture, la SF, la BD, la francophonie et les régions déjà.

 

L’humour n’est pas en reste, lorsque le journal répond à ses lecteurs. Savoureux échange entre un nouvel abonné d’Ostende et Michel Mourlet :

« J’ai lu [Matulu] puisqu’on avait écrit partout dedans. Je me rappelle de rien. Je sais que ça a servi à emballer des chaussures à ressemeler, à éplucher des patates, mais pas à m’essuyer l’anus, j’ai de quoi me payer ce qu’il faut. (…)

- Nous sommes étonnés, cher lecteur et nouvel abonné, que vous ayez découvert aussi peu d’utilisations pratiques de notre journal. Nous vous signalons entre autres qu’une feuille coupée en deux dans son axe horizontal fait un excellent cornet à frites. Une double feuille, un dossier littéraire par exemple, garnit parfaitement une poubelle ménagère de taille standard. N’importe quel article de fond signé de notre rédacteur en chef est plus efficace, et moins nocif, que le meilleur des somnifères prescrits par le corps médical. »

 

Matulu : une revue qui a fait de l’esprit et de la curiosité sa ligne éditoriale. Une revue de droite, en marge, contre l’air du temps : Qui l’eut cru ? Or : « c’est dans les marges précaires, clandestinement d’abord, que l’on invente, que l’on bricole les révolutions, que l’on fomente les coups d’État amoureux. Matulu est une marge, une niche, mais aussi un nid. » Revenir sur cet éclairage de l’époque post-soixante-huitarde est extraordinairement moderne et révolutionnaire : trente numéros d’une féroce actualité, visionnaire, au cynisme élégant et à la plume raffinée. Ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui. Choisir un extrait d’un numéro n’aurait aucun sens, tout est à (re)lire.

 

Matulu, Journal rebelle (1971-1974). Anthologie établie et présentée par François Kasbi. Collection « Littérature », Les Éditions de Paris / Max Chaleil. 480 pages, 20 euros, broché sous couverture.

Tag(s) : #Litterature, #Cinema, #Théâtre, #Musique, #culture, #Expositions, #arts, #média, #journal rebelle
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