C’est fini. Nenesse n’aura pas survécu à la bien-pensance parisienne, au conformisme, à la soumission médiatique, aux critiques des médias qui lui ont préféré des spectacles plus consensuels et des acteurs plus lisses. Nenesse n’était pas assez « measntream », le texte dénonçait trop de travers sociétaux et ça, le public, nous, vous, la presse et la France ne voulons pas l’entendre. Cette France qui a signé un blanc-seing à un président sans programme et qui, peu à peu, voit ses libertés et ses droits, chèrement acquis, diminuer ; cette France qui, peu à peu, l’air de rien n’est plus libre de s’exprimer ; cette France désormais gérée par une bobosphère réactionnaire.
Certes il est possible de parler des « niakoués » ou des « négros ». Surtout Nenesse. D’autant qu’il est islamophobe, antisémite, raciste. Mais aussi homophobe, lui qui, manque de bol, a un fils qui s’est amouraché d’un « pédaillon ». Mais aussi sexiste, grossier avec sa « grosse vache » qui lui demeure attachée après des années de vie commune. Une existence de couple qui traverse une crise très contemporaine : le chômage. Nenesse est au RSA, il emploie les derniers deniers du couple pour aller aux putes quand sa femme –attachante Christine Citti, fait des ménages ; il s’enfile des bières et du gros rouge qui tache tout en dégueulant sa morgue de la société avec une grossièreté sans ménagement ; enfin, il loue 550 euros une pièce-garage-container à deux SDF sans–papiers : un russe (Geoffroy Thiebaut) et un musulman (Hammou Graïa). Nenesse cumule toutes les médiocrités d’une société qui perd son humanité, il agrège toute la nausée dans laquelle la France s’est vautrée. Néanmoins il se revendique anti front-national, faudrait pas exagérer non plus.
Et c’est là le véritable problème. Nenesse est tellement bien incarné par Olivier Marchal, un Marchal au sommet de son jeu, une performance pour ce rôle avachi et cru, de salaud immonde en surface, qu’il est impossible, au sortir de la pièce, de croire qu’Olivier Marchal puisse être Nenesse dans la vraie vie. Un personnage romanesque tellement odieux qu’il est impossible de ne pas rire pendant près de deux heures. Car le texte d’Aziz Chouaki est vif, incandescent, violent, bouillonnant, couillu et sans concession.
Sacha Guitry, Jean Vilar, Charles Dullin n’en reviendraient pas de cette censure hallucinante ! Celle « Du masque et de la Plume », celle des « Inrocks », celles de la presse des milliardaires, ceux qui ont racheté tous les théâtres parisiens indépendants et les médias au détriment du fond, des valeurs et de l’âme, pour privilégier une culture unique et sans perspective. C’est symbolique : Dejazet, haut-lieu de la scène punk des années 80 et 90, cette époque débridée où Coluche faisait rire en dénonçant, à l’instar des Nuls ou des Inconnus ; cette époque où des films comme « Les Valseuses » ou, plus récemment « La Haine », cartonnaient quand aucun producteur ne voudrait plus les financer aujourd’hui, eh bien c’est au théâtre Dejazet que Nenesse a été programmé.
Ce n’est pas la première fois que les mises en scène de Jean-Louis Martinelli ne parviennent à convaincre jusqu’au bout. Après « Anna Christie » d’Eugène O’Neill à l’Atelier, un autre théâtre qui défend la voix de la cité, la pièce mise en scène avec sobriété, brio et audace par l’inénarrable Martinelli s’arrête quinze jours avant la date de fin initialement prévue. Un miroir de la société trop dérangeant ? Mais alors, Mesdames et Messieurs les journalistes et directeurs de théâtres, et vous Cher Public : où est donc passé votre sens critique objectif, votre recul, votre distance face à ce qui n’est rien d’autre qu’une bouffonnerie, une comédie, un drame, une tragédie, une pantalonnade, une farce ? Quel que soit le synonyme adopté, Nenesse demeure un spectacle ! politique, social et sociétal, certes mais avant tout : un spectacle. Trop anthropologique ? Vous renvoyant à ce point à vos propres aversions, vos propres peurs ? À méditer avec cette parole du petit-fils de Gandhi : « Le moyen le plus facile de contrôler les gens, c’est de leur faire peur ».