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« Les seules personnes qui existent pour moi, ce sont les déments, ceux qui ont la démence de vivre, de discourir, d’être sauvés, de jouir de tout en un seul instant » : ceux qui ne filent pas. Les étoiles restantes. Un film réjouissant de Loïc Paillard, passé confidentiel par erreur, qui entame néanmoins sa 8ème semaine sur grand-écran.

 

Il y est question de poésie et d’étoiles, de clochards célestes et d’une rare humanité. Il y est question de routes qui s’entrecroisent et se mêlent avec pudeur, de routes sur lesquelles il n’y a « rien derrière et tout devant, comme toujours. »

Il y est question d’amour et de belles phrases, des dialogues à la fois surannés et actuels, intergénérationnels, qui sonnent extraordinairement justes : 

« À douze pas, on s’est retournés car l’amour est un duel (…), on s’est regardés pour la dernière fois. »

 

Il y est question de dernières fois et de leur corollaire, les premières. Parmi les dernières, métaphoriques ou véristes, il y a celles-ci notées au gré des moments tendres, complices ou nostalgiques, sur une plage de Bretagne ou dans le bureau parisien d’un DRH.

« Ça s’est fini comment ?

- Ben, comme tout le monde je crois. C’était comme un voilier, un beau voilier qui cherchait un ponton pour amarrer et moi je cherchais un bateau pour ne pas me noyer ; ça tombait bien ! Puis il a mis les voiles et il est reparti sans regarder en arrière. Il faut avoir été sacrément malheureux pour apprendre à ce que personne ne nous manque. »

(…)

« Y’a juste une chose que je comprends pas : entre la fin de vos études et maintenant, y’a un trou de deux ans sur votre CV ; vous avez fait quoi pendant tout ce temps ?

- Vous savez, les histoires d’amour, ça compte pas dans l’expérience alors que c’est un travail à plein temps…

- Et… pourquoi vous cherchez du travail, je comprends pas ?

- Eh bien disons que c’est parce que je me suis fait virer ?!

- Pour quel motif ?

- Euh… quand elle a eu fini ses études, elle a eu besoin de se retrouver…

- Et si je vous engage, qu’est-ce qui me dit que ça ne va pas se reproduire, que vous tombiez amoureux, parce que fatalement, ça va se reproduire ! »

Quelques aphorismes à méditer.

 

D’autres pensées sur la société et les rapports humains, le monde du travail ou les détails du quotidien.

« Le problème avec les escaliers, c’est que ça monte. »

(…)

« Une entreprise, c’est comme une famille, des frères, des sœurs, et des règles aussi ; on ne quitte pas sa famille. C’est important une famille, même si des fois, le lundi matin quand on arrive au boulot, on n’a qu’une seule idée : c’est qu’un avion s’écrase dans l’immeuble parce qu’on ne peut plus les sacquer.

… Je plaisante… »

(…)

« En 33 ans de carrière, je suis devenu tellement stable que plus rien ne bouge dans ma vie. »

(…)

« J’aime pas les gens qui marchent dans la rue, ils te regardent avec leurs yeux. Des fois, je me mets à la fenêtre, c’est déjà pas mal ! »

 

Il y est question de subtiles références au cinéma en filigrane, et à la littérature. De prénoms empruntés avec élégance, aux autres courants d’expressions artistiques : Dorian ou Loris ; de métiers oniriques comme vendeuse de nuages ; « de poésie dans ces yeux-là » et de « cheveux qui sentent comme un arc-en-ciel. »

 

Il y est question de mort. De dignité face à la mort et sa conséquence impulsive, la provocation gratuite :

« J’utilise mon corps pour faire du bien à mes patients, c’est pas du sexe qu’ils viennent chercher, c’est du réconfort. Les hommes sont beaucoup plus bavards avec une femme nue.

- En fait, ils se vident la tête quand ils vont voir les putes ? »

 

Il y est question de relations père-fils qui se soudent miraculeusement, pour faire face au cancer insidieux. Quand le temps manque soudain et se rétrécit trop vite, avant l'asphyxie  on se parle davantage, tellement mieux :

« C’est pas d’un boulot dont tu as besoin, c’est d’un billet d’avion ! (…) Trouve-toi un truc qui te plaise vraiment au lieu d’attendre une fiche de paie qui va te dire combien d’heures t’as passées à gâcher ta vie ! »

(…)

« Comment t’as su ce qu’il fallait faire ?

- J’ai fait, c’est tout.

- Et… c’est tout ?

- Ben oui c’est tout ! j’ai fait ce que j’ai pu en essayant de ne pas avoir de regrets parce que tu sais fiston, une vie c’est long. On dit souvent le contraire mais c’est des conneries. Avec de belles rencontres et pas mal de chagrin, ben ça passe vite. (…) Les femmes, c’est un peu comme des cours de rattrapage, enfin pas toutes non plus, celles qui t’aiment ! (…) C’est bien pour ça qu’on s’engueulait tout le temps avec ta mère, pour nous rassurer. Quand tu prends la peine de t’engueuler avec quelqu’un, c’est qu’il y a de l’amour quelque part. »

(…)

« Qu’est-ce qu’on risque dans la vie ? d’être déçus. C’est ça le problème avec les gens. On les rencontre, on s’attache à eux et un jour, ils nous déçoivent. C’est pas de leur faute, ils demandent rien, eux. »

 

« Les étoiles restantes » est ce genre de film d’auteur atypique, émouvant et fort bien dosé, qui ne répond pas aux codes habituels et formatés du cinéma. Il n’y a ni sexe, ni sang, ni sueur. Simplement les sentiments et les émotions. Le scénariste-réalisateur évoque ses influenceurs : Klapisch, Desplechin, Honoré, Lelouch. Des thèmes semblables : les uns et les autres qui se font et se défont, dans des lieux-personnages à part entière. Je rajouterais Sautet et les choses de la vie, aussi. Une clé nous est donnée pour ne pas passer à côté de toutes ces choses-là : « La vie se vit », parce-ce que « le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre » et Victor Hugo aura toujours le dernier mot.

 

« Les étoiles restantes » (1h20), une comédie dramatique ou plutôt : un film d’amour sur le métier de vivre. De Loïc Paillard, avec Benoît Chauvin aux faux airs de Pierre Richard, attachant ; Camille Claris, sa jeunesse et sa fraîcheur ; Jean Fornerod, le père blessé, pressé, tout en décence.

 

Tag(s) : #Cinema
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