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Les impatientes, ce sont ces fleurs en forme de sabots, qui prennent leur temps pour pousser, à l’ombre, et qui résistent. Ce sont aussi ces femmes empêchées, à l’ombre, « au placard », qui s’adaptent à l’univers carcéral tout en essayant de préserver leur dignité, leur humanité, leurs droits fondamentaux. Il y a les plus fortes et les plus vulnérables. La solidarité n’est, la plupart du temps, qu’utopie. C’est à cet égard que la série de France 2, « Les impatientes » se présente comme une uchronie vertueuse. Si la série en trois épisodes fait preuve d’audace, en ouvrant les portes d’une prison de femmes en prime time, son écriture et sa réalisation, quoique réalistes, sont lissées, probablement pour ne pas heurter un public qui n’est pas préparé, un public qui n’a pas envie de parler de la prison, encore moins des femmes en prison. C’est tabou, ça choque, « on » évite. Au mieux, il n’est pas rare de lire ou d’entendre ce genre de commentaires, sur l’univers carcéral : « On parle bien de ces personnes qui ont violé, volé, tué, attaqué, menti, trahi, meurtri ? On s’en fout ! »

« On s’assoit » sur les clichés et les lieux communs. Pas France 2. Pourtant non, « on » ne s’en fout pas. « On » ne devrait pas. Car il s’agit de nos impôts et nous tous, citoyens, sommes par conséquent concernés.

 

Après « Borderline », France 2 accroche avec une nouvelle soirée thématique choc sur la justice, entièrement consacrée à la prison : fiction, documentaire, débat, prouvant ainsi le nécessaire rôle du service public, en dépit des attaques souvent injustifiées ou à l’emporte-pièce.

 

Autrefois, les faits de société qui conduisaient ces femmes en prison ou à l’échafaud, suscitaient l’engouement et étaient traduits au théâtre, où le succès était au rendez-vous. C’était Médée ou Antigone, elles en devenaient des figures mythiques. Aujourd’hui, ce ne sont plus que des femmes ordinaires que l’on oublie derrière les barreaux, les murs de béton armé, excentrées dans des lieux d’enfermement construits en périphérie, parfois jusqu’à ce que la mort advienne, quand tout espoir les a quittées. Peine de mort abolie sous Mitterrand ? Quartiers de Haute Sécurité remplacés par les Quartiers d’Isolements ? C’est cela la prison : ce lieu clos et reclus, où les sens s’atrophient insidieusement. Le lieu de toutes les privations. Le lieu d’une peine à purger, mais aussi un enfermement dont l’issue est bien souvent la mort, après l’agonie, lente et solitaire, quand les parloirs ont cessé, que le silence s’est imposé. Pour celles qui auront la chance de sortir, après le purgatoire, la réinsertion est une épreuve périlleuse, entre tentations et resocialisation. Nouveaux repères, quand la société a continué d’évoluer, sans elles. Reprendre confiance, ne plus se sentir jugée, humiliée, montrée du doigt. Ne plus négocier. Réapprendre à aimer. Ne plus tourner en rond.

 

La fiction

 

« Les impatientes », c’est le destin croisé de trois femmes que rien n’aurait réuni dans la « vraie vie » : Maud, Isabelle, Leïla. Maud, mère sans histoire, coiffeuse, qui va se révéler vindicative après la mort de sa fille. Une Noémie Lovsky habitée, quasi-mystique ! Isabelle, embastillée par excès de cupidité, en tant que chercheuse dans le corps médical. Leïla, délinquante qui n’a rien à faire en « taule », où elle se trouve après une série de mauvaises rencontres, et qui n’est « certainement pas une balance ». Naïve, comme c’est bien souvent le cas.

Ensembles, dans une cellule de 8 mètres carrés, en maison d’arrêt, elles sont en attente de leur procès. Légalement, elles devraient n’y rester qu’un an, ce sera peut-être davantage. Au bon vouloir des magistrats et de l’administration pénitentiaire, des avocats -qu’ils soient commis d’office ou émérites (selon les moyens de chaque détenue). Quelques affaires, maigres restes d’une vie sociale tantôt flamboyante, tantôt marginale. Des lits superposés. De petits trafics obligés pour se faire une place un peu plus « privilégiée » : cantiner. Un travail sans contrat, pour quelques centaines d’euros. S’acheter du PQ, du dentifrice, quelques produits alimentaires à des tarifs souvent prohibitifs ; payer la télévision ou le frigo. Rien n’est gratuit, pas plus incarcérée que dans la vie civile. Pour cela, il faut du « fric » et, celles qui en ont, font l’objet de racket dans la cour de promenade (formidable « baronne » que joue Catherine Jacob, froide et fragile). Une cour où elles n’ont rien d’autre à faire qu’à se provoquer, « tu cherches quoi ? », déposer leur colère, s’observer, se défier, se morguer. Trois femmes aux trajectoires inégales qui se retrouvent à partager et à composer, à égalité. Chacune va apprendre de l’autre. La prison va, dans cette fiction, jouer le rôle qu’elle devrait jouer : purger sa peine. Y réfléchir, lui donner un sens, révéler le meilleur de chacune, cette part qui n’a pas été exploitée jusqu’alors. Avant que tout bascule, délibérément ou comme dans un trou noir. L’administration va, dans cette fiction, assurer ses deux missions : veiller à l’exécution des peines ; favoriser et anticiper la réinsertion sociale.

 

La prison : une société dans la société, vers une lente désocialisation et déshumanisation.

Il s’y développe un langage particulier, agressif, un langage barbare, composé de conflits, d’agressions verbales et physiques, de tensions, de paranoïas, de doutes, de manipulations, de persécutions, d’humiliations. « Les Impatientes » cependant, démontrent que la tendresse et la bienveillance sont possibles, que l’empathie peut exister, que la compassion peut sauver de cet enfermement aux conditions tantôt justes, tantôt arbitraires. Chaque personnage y est d’ailleurs tantôt juste, tantôt arbitraire.

 

Le rôle du juge, interprété par l’excellent François Morel, décidément exemplaire, apporte un regard lucide et féroce. Il constitue la pierre angulaire de cette série. Il cherche à comprendre, il s’investit, il défie la police (rare, pour un magistrat). Il fait le job. En quête de justice. Soucieux, il doute avant toute certitude car « le doute est l’école de la vérité » (Francis Bacon). Le rôle du surveillant, peu probable est cependant attachant. Ce genre de surveillants que les femmes détenues aimeraient sans doute côtoyer : disponible, à l’écoute, attentif, qui ne perd rien des valeurs et des objectifs de son métier, qu’il a choisi. Pas neutre comme choix pour un « Chef » « Surveillant », parce qu’en prison, aucun détenu n’appelle le personnel pénitentiaire par un nom ou un prénom, la relation est dépersonnalisée et uniforme de même que les détenues deviennent d’abord des numéros d’écrou. Le rôle du médecin fait partie des « méchants », d’une autorité soumise qui a le pouvoir, en use et en abuse.

Comme dans tout scénario bien construit (auteurs : Fabienne Lesieur, Nicolas Jean, Anne-Elisabeth Le Gall), les personnages évoluent du début à la fin, et « Les Impatientes » ne trahit pas les codes de cette écriture scénaristique. La psychologie des personnages est travaillée, la vision de Maud, Isabelle, Leïla, la baronne, la directrice de la prison, le surveillant... s’adapte aux jours et événements qui vont ponctuer cet enfermement pernicieux qui dévoie, qui annihile, qui soustrait. Qui parfois, cependant, offre : quelques moments de tendresse et de gratitude, une chaleur désintéressée et surtout : du respect.

 

Le documentaire

 

Les prisons de femmes sont réputées être pires que celles des hommes : la solidarité y est encore moins prégnante entre femmes, la violence plus latente et exacerbée. Or, « Les Impatientes » tend vers un modèle plus nuancé. Il existe quelques prisons spécialement réservées aux femmes détenues en France, mais la plupart des femmes prisonnières le sont dans des quartiers réservés. Elles bénéficient d’une vigilance particulière. Elles sont plus de 3.000 en France, dispersées en maisons d’arrêt, en attente de jugement, ou en centre de détention (pénitentiaire), pour les peines de plus de cinq ans, également considérés comme des lieux de transition (de la maison d’arrêt au CD, du CD à la centrale...). Les centrales enfin : pour les lourdes et longues peines, les mandats d’arrêts criminels, les « perpete ».

 

France 2 adopte une démarche frontale : elle ose parler de la condition des femmes détenues, à la fois par le prisme de la fiction et du documentaire, à visage découvert. Marie Drucker est partie à la rencontre de plusieurs détenues, pour tenter de comprendre et brosser de ces femmes un portrait sans jugement ni parti-pris, sans complaisance certes, réaliste et sincère, qui cherche à éveiller les consciences, alors qu’un rapport alarmant de la contrôleuse générale des prisons parle de discrimination par rapport aux hommes.

 

Merci au service public, à France 2, et à ces « Impatientes » (3 épisode de 52 mn), que l’on a hâte de découvrir. C’est mercredi 26, à 21h. « Femmes en prison : la double peine ? »

Tag(s) : #EVENT, #Actualité, #fait de société, #prison, #justice, #administration pénitentiaire
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