Anaïs a 22 ans, elle a une tête de poupée, fraîche, aux traits purs, les cheveux couleur des blés, toute menue. On la croirait fragile, a priori, ingénue. Elle est tout le contraire. Rebelle, robuste, résistante, jeune révolutionnaire de notre époque. Car avant tout, Anaïs est une terrienne : ce qu’elle aime par-dessus tout, ce sont les odeurs. Une fille des champs, et certainement pas des villes. Elle vit dans une caravane qu’elle déplace pour un lopin de terre et une ferme. "Ses" terres, qu’elle cultive et bientôt, installe sa serre. Elle se roule ses cigarettes. Elle se lave au puits. Elle désherbe pour se détendre. L’essentiel l’habille : jean, débardeurs et gros pulls, bottes en caoutchouc. Seule face aux éléments, en compagnie des animaux et de la nature. Seule avec sa brouette, un revenu de 350 € pour 80h de travail par semaine. Seule et libre. Cette liberté, qu’elle revendique sauvagement, elle ne la troquerait pour rien au monde et surtout pas pour de l’argent, elle ne vendra pas son âme à la société de consommation, Anaïs, déjà si mûre et résolue. Elle s’est créée la vie qui lui convient, organiquement, la vie qui rejoint ses valeurs et ses idéaux. Au prix de colères et de doutes, certes : colères contre l’administration française principalement, qui ne facilite pas l’entrepreneuriat. Colères contre les démarches en général, décourageantes. Pourtant Anaïs se bat pour rester marginale, droite dans ses bottes, passionnée et guidée par ses convictions, ses choix définitifs et courageux, extraordinairement lucide. Pas de loisirs, aucune plainte : des constats et du travail.
Le documentaire de Marion Gervais raconte l’itinéraire de cette jeune femme, angélique aux ongles noirs et aux mains calleuses, une jeune femme qui tisse son propre chemin, contre vents et marées, qui poursuit même quand elle a envie de tout arrêter. Un chemin qui va s’illuminer au gré des rencontres, autant d'opportunités qu'Anaïs saura saisir. Un professeur, d’abord, véritable pivot qui la convainc de revenir à ce pour quoi elle est née : « nez ». Les plantes, plutôt que le maraîchage. « Les plantes, dit-il : tes futures collègues de travail, tes copines, il ne faut pas perdre ça ! » Roellinger, l’homme aux épices qui passe en revue ses plantations : marjolaine, anis, origan, coriandre, thym citron, fenouil, pavot de Californie, serpolet, camomille romaine « celle-là qui fait les petits bonbons blancs ! » Roellinger, qui va faire progresser la terrienne possédée par les odeurs, l’ouvrir aux autres et la révéler : « être suffit » car il ne s’agit pas non plus de faire d’Anaïs un produit formaté.
Un agriculteur malicieux et rassurant, auprès de qui elle comprend qu’elle a toute sa place dans ce monde masculin et misogyne des champs : « Maintenant, je leur sers la main », quand elle évoque les vieux agriculteurs, « Ça aide, ça crédibilise ! »
Les Parisiens, face auxquels elle ne démonte pas, même quand on lui parle de « slide project » et de site internet, quand on l’invite à rester « borderline », quand on loue « son côté punk », quand on lui parle de ses tisanes et un savoir-être et un savoir-faire « un peu fou fou, extrêmement chic, ultra-chic, le luxe absolu, que ce soit coupé à la main ! » Plus à l'aise néanmoins face à Roellinger, qui l’invite à éviter de céder aux sirènes de la mode et à celles du plus grand nombre. Pas de risque. Anaïs est une authentique bretonne pur beurre, la tête dure comme le granit, provocatrice quand il s’agit de se rassurer, qui aime les défis et pour les réussir « je mets tout mon amour. »
Bien sûr, il y a un peu plus que de l'amour.
Une chenille qui devient papillon : un superbe portrait, lumineux. Success story ? Pour ma part, je lui souhaite, à Anaïs, tout en restant elle-même, et je la remercie de me ramener à la source des choses de la vie.
France 2 diffusera le documentaire « Anaïs s'en va-t-en guerre », dans la case 25 Nuances de Doc, le mardi 11 juin 2019 à 23.50. Celui marquera la fin de cette saison. Réalisé par Marion Gervais. Produit par Quark Productions - Juliette Guigon