Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Lelouch (Claude) : Retenez bien ce nom...

Parmi les ouvrages sortis en marge du festival de Cannes 2019, l’un d’eux a attiré mon attention. La « Petite histoire d’une incompréhension critique » écrite par Bruno Lavillatte, ex-professeur de philosophie, spécialiste de la Renaissance, auteur. En quatrième de couverture, je lis que « Dans leur majeure partie, les intellectuels n’aiment pas Lelouch ! » en écho à cette formule si peu visionnaire d’un journaliste des Cahiers du cinéma : « Lelouch (Claude), retenez bien ce nom… vous n’en entendrez plus jamais parler. »

 

Mémoires d'un enfant du cinéma

Dans un autre livre paru à peu près en même temps, « Mémoires d’un enfant du cinéma », Marc Esposito revient sur ses années Première. Je me suis demandée, à sa lecture, si j’aimais le cinéma parce que j’étais encore tout imprégnée des Première de mon adolescence, des films, des acteurs et des réalisateurs cités par Esposito qui, comme par hasard, étaient aussi ceux que j’avais aimé, et si donc Esposito avait eu une influence indélébile sur mes choix, ou si mes coups de cœur cinématographiques avaient trouvé une résonance sous la plume de Marc Esposito, dont ensuite j’ai adoré les films, tout comme ceux de Lelouch, sans condition. Première versus Les cahiers du cinéma. Cinéma populaire versus cinéma élitiste.

Marc Esposito dit à propos de Lelouch, l’un de ses cinéastes préférés : « J’ai toujours aimé les films d’amour (…). Un homme et une femme a été pour moi le premier déclic, le premier film que j’ai aimé, pas seulement grâce à l’histoire qu’il racontait et aux acteurs qui l’interprétaient, mais aussi, mais surtout, grâce à la façon dont il était fait, grâce à sa mise en scène. Ce film ne ressemblait à aucun autre de ceux que j’avais vus avant, c’était du cinéma qui n’avait pas l’air d’être du cinéma, je trouvais que Lelouch avait su capter le frémissement de la vie, la vérité des sentiments, comme personne avant lui. »

 

Bruno Lavillatte

Pour en revenir à Bruno Lavillatte, je découvre qu’il est passionné d’arts plastiques, de poésie, de théâtre et de cinéma, il est aussi parolier, pianiste de bar. Intriguée, je me demande quel peut être son point de convergence avec Marc Esposito ? Quelle approche du cinéma de Lelouch restitue-t-il, face à une critique définitivement mordante ? Il développe l’une des idées majeures de Lelouch : « Le plus grand des scénaristes, c’est la vie elle-même », fondatrice d’une « sincérité cinématographique » et de la « force de l’évidence » nécessaires à la mise en images, en lumières, en sons d’une histoire. Chez Lelouch, Esposito, Lavillatte, le plus petit dénominateur commun, c’est l’émotion. Bruno Lavillatte l’exprime ainsi : « Le parti-pris philosophique de Lelouch tient en ce que le cinéma peut passer outre la rationalité pour user de l’émotion comme véritable élément direct de démonstration, celle du cœur qui bat plus vite que de coutume quand quelque chose touche à l’essence même de l’humanité. (…) C’est l’émotion qui résonne en lieu et place de la raison (…). Or, seule l’évidence qui touche le plus grand nombre, à la différence de la philosophie, infiniment plus restreinte sauf exception, possède le pouvoir de dire ce qui est, ou peut être, immédiatement la vérité. »

 

Illustration réalisée par le peintre Maurice Douard "Les plus belles années d'une vie"

Lelouch (Claude) : j’ai retenu son nom parce qu’il incarne un cinéma-vérité à travers « son intime conviction sur le monde. » Lelouch a essentialisé le cinéma grâce au « double mouvement du cœur, d’abord, de la raison, ensuite. » Il « montre que l’essentiel est plus important que l’esthétique. » C’est précisément pour ce cinéma-vérité, qu’il est esquinté par une certaine presse « car les films de Lelouch sont des films évidents et rien n’est plus insupportable que l’évidence. On ne peut plus rien y lire » et, poursuit Lavillatte « dire quelque chose à propos de rien relève d’un exploit que la critique s’est efforcée de relever avec des outils devenus, depuis les années Soixante, obsolètes et vieillots. En un mot, littéraires et infiniment trop rationnels ! »

 

Mais Claude Lelouch a le soutien du public et il sait que « Le meilleur des critiques, c’est le temps qui passe ! » alors il agit, filme et s’adapte à son époque et ses possibilités, créant ainsi « la rupture de continuité entre la littérature et le cinéma. » Ses histoires racontent toujours la même chose. C’est, selon Bruno Lavillatte « Ce que l’on pourrait appeler une dialectique à la fois historique et personnelle » car « Lelouch instaure un mouvement continu entre le général et le particulier, passant d’une histoire globale (…) à une histoire singulière. »

 

Illustration réalisée par le peintre Maurice Douard "Les Uns et les Autres"

Le cinéma de Lelouch est humaniste et généreux, « un cinéma d’enfant et un cinéma d’enfance. » Lui-même est resté cet enfant curieux, naïf et sincère. Ceci explique cela : l’homme affiche une silhouette et un sourire juvéniles, l’oreille en éveil et l’œil émerveillé. Lelouch raconte une histoire simple, toujours la même, celle de la vie et de l’amour, en adoptant un angle toujours nouveau. C’est toujours une première fois, avec Lelouch. Cette histoire, il la raconte avec la lumière et la caméra, il recadre ses acteurs pour capter l’attention du spectateur, il s’inspire, ose, teste, découvre, ressent, il recréé des instants de vraie vie « où hasard et coïncidence se joignent (…) pour donner sens à une existence qui ne voyait pas le bout d’elle-même. » Il y parvient en se détournant de la technique, « lui qui accorde à la technique et à la caméra un rôle capital dans la mise en scène. Lui qui fusionne art et technique. » 

 

***

 

« Alors la vie [devient] plus forte que le scénario » et Lelouch, en « un reporter de la vie », cherche à la restituer dans sa spontanéité, quelque chose d’originel et de candide. « Lelouch procède en véritable archéologue, repérant des traces et des vestiges de ce qui constituent l’homme et la femme dans leur dimension fondatrice et originelle. Avant le langage ! » Raison pour laquelle, j’ai choisi d’accompagner ce billet de blog avec la musique de Florent Nagel, compositeur contemporain, impressionniste et instinctif selon lequel "La vraie musique ne s'écrit pas." « La Source » : une mélodie simple et nécessaire, qui va droit au cœur. Aux Éditions Henry Lemoine.

 

Bruno Lavillatte : Lelouch (Claude)… Retenez bien ce nom… Petite histoire d'une incompréhension critique. 186 pages, 20 euros. Éditions Ocrée. Marc Esposito : Mémoires d’un enfant du cinéma. Les années Première. 535 pages, 22 euros. Éditions Robert Laffont.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :