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Kill Jean ou Comment ils ont tué Jean Seberg

 

J’ai rencontré ces deux auteurs à Cannes, Alain Mamou-Mani et Antoine Lassaigne, où nous étions invités pour présenter un scénario cette année, qui avait été sélectionné par la Maison des Scénaristes et la plateforme We Film Good, de mise en relation des auteurs avec des réalisateurs et des producteurs. Une de ces rencontres inattendues, a priori éphémère et qui pourtant, se révèlera durable. Nous étions hébergés dans un appartement non loin du Village International et du Palais des festivals. Les auteurs s’y succédaient, restaient un, deux, trois jours. On se croisait, comme dans un hall de gare. Eux sont arrivés après moi et un matin aux aurores, alors que je dormais encore, j’ai entendu leurs voix viriles dans mon sommeil, qu’ils s’évertuaient à interrompre sans ménagement. L’un frappait à une porte, celle qui donnait accès à la salle de bains. Il frappait et l'autre commentait, riant. Ils se croyaient seuls au monde. La porte demeurait fermée, quelqu’un dormait dans cette pièce, de passage. C’était pas commode. Ça semblait s’éterniser et je me suis levée, agitée :

« -Vous comprenez bien que quelqu’un dort là ! Alors rentrez directement, allez vous doucher et ça ira, je pense !

-Mais, comme ça ?

-Non : mettez-y un peu de poésie ! »

 

Bam. Je suis repartie au lit. Ce mot « poésie » a résonné, incongruité risible. Ce « truc » entre nous, était né. Ils affichaient un certain panache, une allure théâtrale à la Romain Gary, ils étaient drôles, élégants et fringants. Ça m’amusait. On s’est racontés brièvement nos scénarios, notre écriture, qui nous réunissait ici et de toute évidence, ils enjolivaient tout. On s’est échangés nos « Facebook » et on ne s’est plus croisés que virtuellement. Plus tard, sur le réseau social, ils annonçaient une dédicace programmée le jour de la mort de Jean Seberg, en d’autres termes aujourd’hui 29 août, par ailleurs jour de lancement de leur roman : Kill Jean dans lequel ils prétendaient révéler Comment ils avaient tué Jean Seberg « Il y a 40 ans, à l’âge de 40 ans » m’a expliqué Alain. Première coïncidence qui les a intrigués. Puis, a poursuivi Alain : « On a rencontré son premier mari qui nous a dit : 'Ils ont assassiné ma femme." Or la thèse du suicide avait déjà été avalisée ! » Il n’en fallait pas davantage à ce duo pour enquêter. C’est moins l’enquête, dans leur livre, qui est intéressante dans la mesure où les pièces à conviction existent et ont été révélées : « Tous les intervenants, tous les acteurs sont morts à présent, l’enjeu était ailleurs. » Où ? Eh bien la valeur ajoutée de ce roman réside dans son écriture originale, à quatre mains qui semblent n’en former que deux ; son sens des coïncidences, des signes et forcément des rencontres ; son sens aigu des dialogues malins et des formules habiles ; son modelage des personnages, dont on se dit qu’il s’agit de Roman Gary et de Jean Seberg mais comment est-ce possible ? Ils qualifient leur ouvrage de « roman vrai » mais qu’est-ce que cela signifie ? Et puis, ces prénoms, Chris Ewing et Sue, ça me rappelle cette série des années 90, « Dallas », tout en rebondissements et intrigues improbables, sur fond de verres de whisky.

 

S’agissant de leur écriture, ils avouent n’avoir rien construit. Ils ont créé le personnage de Chris, qui devait concentrer l’enquête, la vie de Romain Gary aux côtés d’une épouse dépressive, recluse, qui errait d’asile en asile, et celle de cette actrice autrefois iconique devenue militante dans une Amérique qui persécutait au nom de la loi, traquait, employant des méthodes peu orthodoxes et officieuses, portant atteinte à la vie et à la santé mentale. Alain rappelle que « Le F.B.I. a avoué les persécutions, après l'Hoover-dose ! » Chris seul, aux commandes de ce livre singulier, ce n’était pas suffisant. Et puis, ils avaient fait de lui un auteur en panne, dans l’industrie érotique. Il lui fallait quelqu’un qui « réamorce sa pompe » et Sue s’est naturellement imposée, fan et miroir d’une Jean Seberg engagée pour les droits civiques. Seberg et Gary étaient toux deux de grands utopistes, idéalistes, dénonçant une réalité insatisfaisante, l’un par le roman, l’autre par ses luttes. Deux êtres humanistes et prédateurs, exaltés, dramatisant ou romançant leur existence et leur oeuvre au gré des événements et des humeurs. C’est cela qui a fait d’eux des personnages au fort pouvoir d’attraction, qui fascinent toujours. Alain et Antoine ont écrit un roman hyper-réjouissant, auquel Gary aurait sans doute été sensible : rien n’est tout à fait inventé, tout semble crédible et vraisemblable et nous, lecteurs, nous sommes à cette exacte frontière entre réalité et affabulation romanesque, pas tellement en avance sur les personnages ni sur l'Histoire dont on ignore tous repères.

 

Leur parti pris d’écriture ? « Fuck la banalité, le cliché, le truisme » plaident-ils, justifiant un show littéraire. Ce livre leur a tout de même demandé quatre années de travail. Cela ne devait pas être si facile puisque toute la matière existait, les documents avaient été rendus publics, les personnalités avaient parlé et que, par ailleurs, ils ignoraient ce que leurs personnages allaient mettre en œuvre pour créer un suspense haletant et résoudre l'énigme de la mort de Seberg. À cet égard, penser à revisionner le jubilatoire « Incroyable Destin de Harold Crick » avec la formidable Emma Thompson, réalisé par Marc Forster. Car ce livre est une extraordinaire mise en abîme du travail d’écrivain et de scénariste, de l’écriture de l’histoire de l’histoire, le scénario du roman vrai. « La promesse d’une nouvelle aube » toujours renouvelée, quelle que soit la forme créatrice adoptée. C’est la plus belle et divertissante surprise romanesque et littéraire de cet été qui s’achève, le roman le plus déjanté et abouti, qui rend paranoïaque : « À force de fixer la moquette de mon bureau, j’avais l’impression que ses poils poussaient. » « Si on était dans un film, je te dirais que seul le temps permet aux choses de n’arriver qu’une fois… »

 

Un roman aux allures d’une escapade, l’escapade d’une groupie, où la fiction et la réalité sont des non-sujets, Romain Gary et Jean Seberg des alibis, Chris et Sue des imposteurs. Mais alors, que reste-t-il ?

 

Une fois le point final déposé, les auteurs ont envoyé leur tapuscrit aux maisons d’édition de la place de Paris. Le destin s'en mêle et poursuit son œuvre… Alain et Antoine décident de ne pas apparaître, ils s’inventent un rôle : les traducteurs français de Chris Ewing, qui aurait été l’auteur. Ils invitent donc les éditeurs à contacter les traducteurs, pour toute éventuelle publication, et laissent leurs coordonnées sur un bout de papier joint au tapuscrit. Lequel bout de papier se perd inévitablement. Ils ne sont jamais rappelés. Par hasard, Balzac Éditeur leur propose de publier cette histoire. Un éditeur né pour ce roman, installé en Catalogne. Plus tard, Alain et Antoine apprendront que deux éditeurs parisiens étaient prêts à les publier… Trop tard. Quand on sait que Gary s’inspirait de l’allure de Balzac enfant, qu’ils sont désormais à égalité dans la collection Pléïade, que Diego, le fils qu’il a eu avec Jean Seberg est né en Catalogne. Quand on découvre enfin que la librairie qui accueille leur première dédicace (L’Écume des Pages, 174 boulevard Saint Germain, Paris, à partir de 19 heures) présente en décoration, dans sa vitrine, le portrait de Jean Seberg, une huile sur toile réalisée par François Moreuil en 1958 à New-York… c’est sans ambiguïté : Jean, Romain, Diego, Alain et Antoine, le pacte était scellé. 

 

Kill Jean, Comment ils ont tué Jean Seberg. Antoine Lassaigne, Alain Mamou-Mani. Balzac Éditeur. 184 pages, 20 euros.

 

 

Tag(s) : #Actualité, #littérature, #roman, #kill jean
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