Le nouveau président de la Société des Gens De Lettres, Mathieu Simonet a initié un nouveau moment d’échange informel et chaleureux, entre gens de lettres : L’impromptu littéraire. Le premier lundi de chaque mois désormais, entre 18h et 20h, les auteurs se retrouvent autour d’un cocktail et, impromptu dans l’impromptu, à 19h précises, une surprise ponctue l’événement. La première surprise de 19h, du premier impromptu organisé, lundi 7 octobre, en simultané par skype entre Paris et Le Conquet au bout du monde, mettait en lumière un duo de musiciennes à l’Hôtel de Massa, siège de la SGDL, au service de la défense du droit des auteurs, et un poète et citoyen du monde : Nicolas Kurtovitch, à la bibliothèque pour tous - ludothèque du Conquet.
L’occasion de découvrir cet auteur, que je ne connaissais pas. Une erreur aujourd’hui réparée. Moitié Bosniaque (son père) et moitié Calédonien (sa mère), Nicolas Kurtovitch est mu par la liberté, fil conducteur de toute son œuvre. S’il est né à Nouvelle-Calédonie, il a grandi en France jusqu’à l’âge de 5 ans. Un jour comme tous les autres, il s’amuse, au jardin d’enfant. Après le jeu, c’est la sieste. À midi, on le réveille : « Nicolas, ta maman est là ! » Surprise. Sa maman est déjà mère de 3 enfants de 5, 6 et 7 ans et, ce jour de 1960, elle a tout juste 40 ans. Nicolas est encore ensommeillé quand il passe de son lit du jardin d’enfant, à l’aéroport, puis dans un avion direction Nouméa. Il ne reviendra pas. Sa mère venait de fuir le domicile conjugal et le père de Nicolas, après 8 ans de mariage. C'est ainsi qu'il rejoint sa famille qui a fait l’histoire de Nouvelle-Calédonie, où elle est installée depuis 1843. Son grand-père était tellement connu qu’il n’était pas utile de connaître son nom et son adresse pour lui écrire. Son surnom « Tiby », accompagné de la mention « Mer du Sud » suffisait. La descendance est romanesque, à commencer par Jean Taragnat, l’Auvergnat, son ancêtre, l’un des premiers français à avoir posé le pied en « Terra incognita ». Nicolas est d’ici et d’ailleurs, du continent et des îles.
Il grandit et étudie. Se tourne naturellement vers la géographie, à la recherche de la poésie des lieux, en symbiose avec la nature. Pas l’histoire, où « ça se passe toujours quelque part » : il refuse toute forme d’enfermement. Et il écrit. Parmi ses sujets récurrents, la conception du monde et, en particulier cette question, qui le taraude en boucle : les enfants sont-ils responsables des actions des pères. Un fils peut-il être jugé pour ce que son père a fait ? Ce sujet sera le prétexte de l’une de ses pièces de théâtre : « Le Sentier Kaawenya » ; il fait écho aux guerres, aux conflits, aux événements politiques (indépendance de la Nouvelle-Calédonie, conflit armé entre milices serbes-croates-bosniaques, conflit israelo-palestinien).
Nicolas Kurtovitch ne sait pas l’expliquer, c’est organique : certains sujets se prêtent à la forme théâtrale, d’autres ne peuvent être traités que sous une forme romanesque, d’autres encore en poésie. La poésie est plus évidente à aborder, sa forme d’expression la plus naturelle, parce qu’elle n’a pas pour corollaire les enjeux commerciaux ou de lectorat inhérents aux autres productions littéraires. « C’est moi-même, le seul lectorat », explique Nicolas, « chaque texte me révèle. » Quand il écrit, il ne se dit pas : cette fois, j’écris un roman, aujourd’hui une poésie ou un récit, un essai. Il écrit. D’abord un mot, puis une phrase. Un agencement qui s’impose à lui. Il poursuit : « Je me force à trouver une suite, vérifier la portée de ces mots. Jamais je ne doute. Je vois. Quand j’ai écrit « La Commande », j’ai vu la potière sur scène, j’ai écrit pour le théâtre. » C’est alors que la forme se précise. Par exemple, il a écrit « Les Invisibles », un recueil de poésies, lors d’un séjour aux États-Unis. Un voyage banal, a priori : arrivée à San Francisco, puis New-York, Chicago, et plus il découvrait, plus il s’apercevait que les indiens n’étaient nulle part. Il s’est produit cette interaction intime entre le lieu et l’instant, les invisibles et lui-même. Les premiers vers lui sont apparus : La terre est le lieu / la terre est le sol / lieu sans surface / poussière aux lèvres / le sol porte les hommes d’ici / en grains parmi la multitude / roulés au cœur de la dune de sable / une vague irrésistible poursuit sa course / j’entends à peine leurs voix / seuls leurs souffles sur mon visage / disent une présence…
La variété des récits de Nicolas Kurtovitch relève de la cosmogonie, sa cosmogonie, son explication de la formation du monde. Et son œuvre est prolifique, géo-poétique, semblable et renouvelée en fonction de son lieu de résidence. La Nouvelle-Calédonie bien sûr, mais aussi les pays, les villes, les îles qui l’ont accueilli : Shangaï, La Nouvelle-Zélande, Villeneuve-Les-Avignon, Ouessant.
Ouessant, où il réside pour quelques mois, au sémaphore du Créac’h, en démarche d’écriture, accompagné par l’association Cali. Une résidence d’écriture, en quoi est-ce nécessaire ? « Une résidence offre les conditions matérielles et le temps pour se préoccuper de l’écriture, et seulement de l’écriture. Je ne cherchais pas l’inspiration, j’avais déjà travaillé mon sujet, depuis plus de 4 mois. Ce que je cherchais, c’est la disponibilité totale, le silence, des images et un lieu susceptible de dynamiser mon écriture, un lieu qui s’invite dans ma démarche de création, qui la renforce. Ma femme et mes enfants ont, à cet égard, été formidables, me poussant à m’y rendre. Ici, j’ai deux projets distincts. Une déambulation sur la Nouvelle-Calédonie que je dois transcrire. Je suis venu avec mes cartes, je n'avais pas besoin d'être sur place, au contraire. Une autre déambulation, à Ouessant. Autre lieu, autre déambulation, autre impact sur ma personne. Autre poésie. » Nicolas Kurtovitch compose en prose et en vers, à la manière d’un Haibun japonais : « La prose, c’est pour le lieu. La poésie, c’est cette part d’émotion, cette intériorité qui va servir le propos. Les lieux parlent aux hommes, ils me parlent. Ils ont un impact physique et émotionnel très intense. J’en retire l’essentiel, de ma relation au monde et aux hommes. La poésie, c’est comme un do. Un do, une voie, ou do, la première note de musique. La poésie, c’est ça, un commencement, un chemin, un état d’être. À la différence de la prose, qui relate une histoire : il se passe quelque chose, avec un début, un milieu et une fin. La poésie est faite d’ellipses, comme la vie. En poésie, on fait davantage confiance au lecteur, qui créé son univers en lisant, qui opère la fusion, entre la vision de l’auteur et la sienne, il injecte sa propre intimité. » Et la boucle est bouclée : la liberté l’emportera toujours.
Merci Nicolas Kurtovitch , d'île en île ; Françoise Cazoulat, Bibliothèque du Conquet ; Mathieu Simonet et ses équipes, SGDL ; Isabelle Le Bal, Cali.
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"Rachel, quand du Seigneur... Dieu m'éclaire", Jacques Fromental Halévy, La Juive (Création 23/02/1835 Paris). Eléazar: José Carreras Rachel: Julia Varady La Princesse Eudoxie: June Anderson L...
Mon impromptu musical, pour tenter de répondre à Nicolas Kurtovitch