L’Arménie et les Arméniens, de A à Z
Par Corinne et Richard Zarzavatdjian
Préface de Boris Cyrulnik
Éditions Gründ, 248 pages, 29,95€
Les Arméniens (10 millions, dans le monde) constituent un peuple aujourd’hui dispersé en diaspora de-par le monde : sur ses propres terres, en Arménie (3 millions), au Haut-Karabagh, un territoire difracté par la guerre récente avec l’Azerbaïdjian, en Russie, en Iran, aux États-Unis, en Syrie, au Liban, en Argentine, en Pologne, au Canada, en Espagne, en Grèce, en France (600.000), et ailleurs encore. Car les Arméniens ont su s’intégrer sur tous les continents, dans tous les pays du globe, sans rien trahir de leur culture, de leur patrimoine, de leur dignité, de leur humanité. Au contraire ils ont su fortifier leurs piliers fondateurs (la religion, la langue, l’alphabet, l’art culinaire, le savoir-faire artisanal) tout en assimilant les valeurs de leur pays d’accueil. Comme l’a expliqué le directeur de l’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch, en 2017, lors de l’exposition « Chrétiens d’Orient » à l’Institut du Monde Arabe : « Les diasporas ont besoin de s’affirmer par rapport à la politique de leur pays d’accueil, lesquels ont besoin des diasporas et de leur soutien ».
Ce patrimoine extraordinaire affirme l’unicité et la richesse du peuple arménien : premier royaume chrétien, un alphabet composé de 38 lettres, dont la paternité revient à Mesrop Machtots, symbole d’une civilisation et d’une langue parmi les plus anciennes. Selon la légende (les légendes : un autre pilier fondateur du peuple arménien) : les premiers mots formés grâce à cet alphabet signifient « faire connaître la sagesse, donner l’éducation et l’intelligence des sentences pleines de sens » (Verset 2 des Proverbes). Pour rendre hommage aux Arméniens, les auteurs, Richard (journaliste) et Corinne (comédienne) Zarzavadjian ont écrit ensemble ce beau-livre qui se lit comme un dictionnaire illustré. Cent entrées, de A à Z et 250 images qui font les Arméniens d'ici et de là-bas.
Comment choisir une lettre en particulier ?
Plutôt ouvriur au hasard, en picorant chaque jour, au gré de l'humeur, en cheminant.
Pour ma part, j’ai eu envie de distinguer ce qui, dans mes racines arméniennes a su se mêler à mes racines bretonnes, et composer mon identité singulière et créatrice. Pour commencer : le B de Bretagne, où les auteurs évoquent cet extraordinaire « retable des 10.000 martyrs », de l’église Saint-Pierre de Crozon. Comment cette sculpture composée de 27 panneaux s’est-elle retrouvée en Finistère Nord ? Mon père, Georges Kévorkian, en a retracé l’histoire dans un livre, découvrant ce « triptyque en bois polychrome du XVIe s. consacré aux martyrs du mont Ararat », lorsqu’il était président de l’association arméno-bretonne Menez-Ararat (mont Ararat).
Le M de Musa Dagh. Je poursuis dans ma lancée : ce que mon père devenu historien, à la retraite, a pu me transmettre de son arménité. Ou comment la flotte française venait au secours de plus de 4.000 arméniens, entre 1909 et 1915. Un ouvrage émouvant, et un sujet qui lui était naturel, lui qui avait effectué sa carrière d’ingénieur au Ministère de la Défense, à la Direction des Constructions Navales (DCN), devenant expert es sous-marins.
Le H de Hermine, prénom de ma grand-mère bretonne et de mon Chat-de-Van. L’ouvrage révèle à la fois que « Hermine » vient du latin Armenius mus (rat d’Arménie), et son origine sur le drapeau breton. Les blasons y ont d’abord figuré des boucliers, symbole de protection face à l’ennemi. À l’époque des croisades, les animaux ont remplacé les effigies guerrières, comme l’hermine et l’écureuil. On peut donc dire que le fondement de l’hermine, sur le drapeau breton, est arménienne. D’ailleurs en ancien français, ermin désignait aussi bien l’arménien que l’hermine.
Mais aussi le M de Manouchian, héros résistant, le K de Komitas, musicologue. Des années plus tôt, quand j’ai commencé le piano, la seule de la famille à devenir artiste musical, j’ai lu que Komitas était né de Kevork (signifie Georges, comme mon père, comme son père, arméniens, et comme le père de ma mère, breton) et de Takuhi (comme ma grand-mère arménienne), de la province de Kütahya dont sont originaires mes ancêtres arméniens. Cette coïncidence m’a plu, j’y ai lu un signe du destin. Mais encore le T de Tapis, puisque mes grands-parents, exilés sans retour possible à Cogolin, oeuvraient pour le rayonnement international de la France, grâce à leur savoir-faire dans le tissage et la coloration des tapis de la célèbre Manufacture de Cogolin. On leur doit les tapis qui allaient recouvrir les paquebots France et Normandie, ceux du Mobilier national, ceux de la Maison Blanche comme évoqué dans cet ouvrage, remarquable. Le V de Victor Hugo, bien sûr et, par exemple, l’histoire de la commode Gallé. Le F comme Femmes, parmi lesquelles la première Journaliste Reporter : Zabel Essayan. Les élus, les « people », les artistes. De l’insolite, de l’humour. De l’histoire, de la littérature. Du folklore. Des contes et des archives. Chanson et cinéma. De la coopération et de la diplomatie. L’architecture et l’Unesco. L’abricot et la Grenade. Rien ne manque ou si peu, et même Boris Cyrulnik qui rappelle la résilience. À chacun de trouver sa clé d'entrée, à la rencontre des Arméniens et de l'Arménie Historique et moderne.
Un parfait cadeau de Noël arménien un peu en avance.