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L'homme qui tremble, Lionel Duroy
L'homme qui tremble, Lionel Duroy

 

Ce livre que je lis pour le comité de lecture de la Bibliothèque Pour Tous du Conquet, et que j’étais avide de découvrir, me laisse perplexe. L’homme qui tremble s’adresse-t-il à des lecteurs de bibliothèque, à une audience la plus large et variée, ou aux lecteurs de Lionel Duroy et, plus circonscrit encore, à ceux qu’il n’a pas perdus en route, comme le souligne Curtis, son fidèle éditeur : « Colères vous a fait perdre les quatre cinquièmes des lecteurs qui avaient aimé Le Chagrin. » Pourtant : « L’éditeur est séduit par votre texte », et moi aussi. Oui, je suis séduite par les textes de Lionel Duroy, et par leur auteur, je ne cesse de l’être, même quand il me fait sortir de mes gonds. Avec ce texte-là en particulier : Colères, et cet autre : L’absente. Deux de ses romans qui ont exercé un tel écho en moi, à l’auteur en moi, mais aussi à la femme et à l’enfant, que je n’ai pas pu faire autrement qu’y répondre, par le biais du roman, par souci d’égalité. Droit de réponse romanesque, un exercice auquel je me suis prêtée bien malgré moi, auquel je n’ai pas su ni pu résister. Une expérience littéraire que seul Lionel Duroy m’a permis de réaliser, pour partir au tréfonds de moi-même, en savoir davantage, m’y perdre peut-être, provoquer pour mieux avancer.

Les avaient-ils écrits pour moi, ces romans-là ? Moi, séduite par tous les autres, et par celui-ci, le dernier : L’homme qui tremble. D’abord parce qu’il est plaisant et reposant d’aimer les gens qui tremblent, qui doutent et ceux qui hurlent en silence. On tremble, on doute, on hurle en silence avec eux et alors, on se sent moins seul, compris, reconnus. On n’est plus si différents, tout à coup. Il s’agit souvent d’écrivains, toujours d’artistes, tourmentés, qui cherchent, passent leur existence à chercher, à traquer les détails, enquêteurs minutieux, pour atteindre la connaissance de soi (tenter de). Marguerite Duras, Lionel Duroy, Anne Sylvestre, Maria Callas. Loyaux et sincères.

Cette question que je me pose, je ne sais pas y répondre à mi-chronique. Ce que je crois, c’est qu’il faut proposer Lionel Duroy, donner le choix aux lecteurs. Ce que je crois aussi : c’est que Duroy ne s’adresse qu’à moi. Ce texte : L’homme qui tremble constitue, je le crains, un nouvel appel impérieux et irrésistible à écrire. 

Roman ?

L’homme qui tremble se présente comme une nouvelle plongée dans l’intime, pas exactement un récit pourtant. Il s’agit d’un autoportrait qui s’ouvre, à l’invitation d’un autre auteur : Nathalie Léger. Elle consacre l’une de ses œuvres à l’actrice Barbara Loden, qui écrit et réalise, son unique film de long-métrage : Wanda. Pour « Réparer les douleurs, traiter l’humiliation, traiter la peur. Tout ce que je fais, c’est moi. »

Lionel Duroy revisite sa vie non pas à hauteur d’enfant, comme dans Le Chagrin, qui l’a révélé en tant qu’auteur romanesque émouvant, pas davantage en tant que père, frère, amant ou voisin, non ce n’est pas le sujet. Cette fois, il se consacre un autoportrait. Il livre (si je puis m’exprimer), les coulisses de sa vie d'homme, d’auteur et de journaliste, et il dit la vérité. Ce faisant, paradoxalement, j’ai eu l’impression de lire un roman, quand auparavant, je n’avais lu de lui, que des confessions impudiques, toujours touchantes, jamais gênantes.

 

Mais alors, qu’est-ce qui fait la différence ?

L’autoportrait, à différencier de l’autobiographie, est davantage un essai, un récit méditatif, une lecture contemplative, d’un seul tenant, au gré de la ressouvenance et des méandres de la mémoire. Toutes proportions gardées, c’est comme lire la Bible (ou, plus contemporain et digital, découvrir un site internet) : un épisode en appelle un autre (une page en renvoie à une autre). C’est cela : tisser sa toile. Parmi ceux qui s’y sont prêtés : Montaigne, Leiris, Malraux, Barthes. Lionel Duroy invite le lecteur à se promener avec lui. Une longue et unique ballade, que quelques notes d’un prélude de Frédéric Chopin pourraient ponctuer, passant d’un thème à l’autre, sans chronologie, sans notion de temps, ni unité de lieu (même si la maison du mont Ventoux figure la pierre angulaire de cette histoire). Il n’est nullement question d’une existence déroulée comme autrefois, mais de quelques instantanés qui expliquent l’état d’esprit de l’auteur et l’état d’âme de l’homme, au moment de ces quarantièmes rugissants. Lionel Duroy, pour la première fois, se laisse aller, il lâche prise, il n’est plus question de lui, de son égo, de son mental. Il rejoint Saint Augustin qui s’oublie pareillement et qui, à travers ses Confessions, cherchait Dieu pour l’apaiser. Lionel Duroy lui, cherche les lecteurs, pour l’adouber, les femmes, pour le consoler et ses enfants, pour le conforter.

Alors forcément, moi qui ai lu Saint Augustin, avant d’écrire l’un de mes autoportraits, d’autres Confessions, rugueuses, cherchant à fouiller ma mémoire (ou disons, la laissant me guider), je suis sûre que L’homme qui tremble m’est adressé, à moi, l’élue. Sauf que justement, parce qu’il s’adresse à une personne, il s’adresse à toutes. L’intime de Lionel Duroy est, plus que jamais, universel. Son précédent ouvrage visait la réconciliation avec sa famille, cette fois il se réconcilie avec nous, tous, tous les lecteurs, dans sa quête de dignité.

Parvenant à la fin de cette chronique de blog, je peux répondre à la question initiale. L’homme qui tremble est un livre qui a toute sa place en bibliothèque, pour expliquer l’écriture et la littérature, les traces qu’on laisse.

Wanda, Barbara Loden
Wanda, Barbara Loden

La démarche est-elle consciente ? En connaissance de cause, sans doute, et empreinte de spiritualité certainement. D’ailleurs il croise par hasard, sur une étagère, Supplément à la vie de Barbara Loden, de Nathalie Léger. Il se met à le lire animé par cette nécessité propre aux auteurs, quand écrire devient un enjeu vital, et il sait : « Voilà, nous y sommes, c’est bien la question de l’autoportrait qui intéresse Barbara Loden lorsqu’elle écrit, puis tourne, Wanda, elle qui a ‘traversé la vie comme une autiste, incapable de savoir qui elle était, allant de-ci de-là, sans dignité’. »

Est-ce vraiment le hasard, cher Lionel Duroy, si les tremblements ont cessé ?

 

Éditions Mialet-Barrault, 381 pages, 21€

Tag(s) : #roman, #autoportrait, #lionel duroy, #l'homme qui tremble, #mialet-barrrault
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