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Living Autobiography, Deborah Levy

 

« Living Autobiography »

Deborah Levy

Ce que je ne veux pas savoir, Éd. du sous-sol, 135 pages, 16,50€, couverture bleue, premier volet

Le coût de la vie, Éd. du sous-sol, 158 pages, 16,50€, couverture jaune, deuxième volet

 

Prix Femina étranger 2020, les deux livres de Deborah Levy traduits récemment en français par Céline Leroy, aux éditions du sous-sol : « Ce que je ne veux pas savoir » (écrit en écho à « Why I write » de George Orwell) et « Le coût de la vie », constituent les deux premiers tomes d’une trilogie autobiographique dans laquelle l’auteur anglaise, dramaturge et poétesse, s’est plongée tout uniment, à corps perdu. Qu’elle offre en partage, comme une expérience, un témoignage.

« Crée une œuvre littéraire parce qu’elle est proche de ce que je suis, proche d’une voix que j’ai envie de faire entendre. »

Parce qu’un moment donné, on écrit pour cela. Librement et sans masque. De soi. De soi vers les autres. De l’intime vers l’universel.

« Mon but est que mon regard puisse croiser le vôtre. »

 

Bien sûr, il y est question d’intimité, mais surtout d’une vie à soi et de l’écriture au féminin. D’ailleurs l’auteure semble être convoquée pour écrire -plus qu’influencée, élu par Virginia Woolf et Marguerite Duras.

 

Dans le premier tome, à la couverture bleue comme le ciel de Majorque bien qu’il y neige, où l’auteure s’est réfugiée sans manteau, s’isolant d’un divorce qui l'ébranle, et entrant en écriture, il est en réalité question de son enfance en Afrique du Sud et du divorce de ses parents, après le retour d’un père militant à l’ANC (African National Congress), trop longtemps emprisonné pour avoir tenté de combattre l’apartheid, luttant pour la liberté des droits. C’est le tome que je préfère, lent et indolent, d’une voix douce et insouciante, enfantine quoique déjà déterminée et engagée, mûre, nuancée de bon sens et de sagesse. Une voix empreinte de justice et d’équité, de loyauté et de dévouement. Une voix qui observe, à la recherche de l’équilibre. Il y est question des événements fondateurs qui vont faire de l’auteure une écrivaine à la plume aiguisée et une femme appliquée. Deborah Levy part à la recherche de cet espace vital, à soi (à soi, donc aux autres). C’est d’ailleurs la quête d’une vie : enfant déjà, puis adolescente. Épouse ensuite, dans un espace domestique qu’elle qualifie de généreux puisque, de son point de vue, d’épouse mère et femme, il est bâti pour le bonheur des autres : d’une famille. À Majorque, l’auteure essaie de se familiariser avec un nouvel espace, dévolu à l’écriture, peut-être un peu moins zélé. Austère et spartiate, mais à soi (un soi pour soi). Elle digère, laisse s’échapper des valeurs auxquelles elle persistait à croire même quand tout se délitait, s’ouvre à d’autres que soi et les siens. Une réflexion ardente sur la féminité, la famille, l’écriture et la littérature.

 

Le deuxième volet, à la couverture jaune qui semble équilibrer sa nouvelle existence, seule avec ses filles, au cœur du brumeux Londres. Autre ambiance, plus opaque : en apparence seulement. Autre territoire à conquérir, la cinquantaine venue. L’auteure n’a pas sombré. C’était limite, mais elle semble au contraire, s’être délestée ; légère, elle traverse son écriture et sa nouvelle existence à vélo, un vélo électrique, qu’il pleuve vente neige, jusqu’au sommet de cette rue pentue, qui la conduit à cet immeuble, délétère mais où il est, néanmoins, possible de s’inventer une autre vie à soi, l’enjeu ultime, une vie ludique, harmonieuse et heureuse, entre femmes, mère et filles. Deborah Levy est devenue libre, fertile et féconde, créative comme le soleil jaune et lumineux. Pour ma part, j’ai peut-être moins accroché avec ce deuxième volet, que je trouve plus combatif et engagé, et moins linéaire. Il y est moins question d’évocations, de méandres, de réflexions et autres contemplations que de militantisme, de réalisme et de lucidité, « dans un espace liminal » où l’auteure a appris le coût de la vie. Un tome prosaïque quand le premier était poétique. 

 

N’empêche. On lit Deborah Levy comme si on partait en voyage. Sur la route, sans destination, au gré du vent. À la manière d’un hobo. On vagabonde. On lit ses livres comme on médite, comme on avance dans l’existence. On n’a plus aucune idée préconçue, on ne juge personne, on erre, ouvert à soi et aux autres, prêts à cueillir et se laisser accueillir. Ça forme une toile, qu’on tisse, pas à pas. Ses livres sont aussi construits (errer n’est qu’une illusion, en vérité) comme les circonvolutions d’un cerveau, au gré des souvenirs personnels qui font étrangement écho à nos propres réminiscences, ou de réflexions philosophiques, en particulier sur la féminité, l’écriture, la condition féminine, d’épouse et de mère, d’écrivaine. Deborah devient, au gré des lignes et des pages, comme une amie, on serait là toutes les deux, autour d’un verre, à se raconter nos déboires et nos espoirs, ce qui nous émeut ce qui nous emporte ce qui nous fragilise, ce qui bous révulse, jusqu’au bout de la nuit. Parfois, on irait sur le balcon, sous les étoiles, fumer une cigarette, faire une pause, dans le silence de la nuit, observer les présences nocturnes. Parfois on ne résisterait pas à l’envie de s'assoupir, juste un instant, on essaierait de maintenir les paupières ouvertes, en vain. Le bruissement des mots et des ponctuations gagnerait.

C’est révolté, réfléchi, résolu, rêveur et réjouissant. C’est tout de la vie, son coût, ce qu’on ne veut pas savoir, ce qu’on ne peut nier pour avancer et s’affranchir. Ça se lit comme ça s’écoute et d’ailleurs, Deborah Levy explique : « Parler haut, ce n’est pas parler plus fort, c’est se sentir autorisé à énoncer un désir. On hésite toujours, quand on désire quelque chose. (…) Mais quand vous êtes prêts à vous saisir de ce désir et à mettre des mots dessus, alors même un murmure, les spectateurs l’entendront. » Enfant déjà, elle avait compris que ne pas se taire était nécessaire : « Les filles doivent parler haut puisque personne ne les écoute de toute façon. »

Est-ce cela qui fait l’écrivain : dire et écrire la vie à haute voix ?

 

« Living Autobiography » de Deborah Levy est une tentative, d’écrire au JE, au jeu, elle est réussie, quoique énergivore : « C’est déjà assez dur d’apprendre à devenir écrivain, mais apprendre à devenir un sujet, c’est épuisant. »

Tag(s) : #Actualité, #litterature, #autobiohraphie, #deborah levy, #living autobiography, #Le coût de la vie, #Ce que je ne veux pas savoir
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