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Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu

24 octobre 2010

Takamatsu

 

Je me lève plus tard, je n’ai aucun rendez-vous aujourd’hui.

Hier, je n’ai pas réussi à lire, trop agitée.

Après le petit-déjeuner, je décide de consacrer mon temps au Ritsurin Garden, que les guides présentent comme Le Jardin Japonais.

Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
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Ritsorin Garden, Takamatsu
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Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
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Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu

Ritsorin Garden, Takamatsu

Le Ritsurin Garden se situe à l’extrémité de la ville, à l’opposé des embarcadères, en direction de l’aéroport de Takamatsu. Je pourrais sans doute m’y rendre à pied, l’équivalent d’une vingtaine de blocs, mais j’opte pour le bus impérial, touristique. Il opère un nombre de tours et de détours incalculables avant de s’arrêter à destination. Ce qui m’offre un aperçu de la topographie de Takamatsu, de plus en plus familière. Viscéralement familière, depuis l’étage du car. Prendre de la hauteur renforce mes intuitions, la plupart du temps.

Le parc est immense et merveilleux. Les paysages m’offrent l’harmonie que mon corps et mon esprit réclament aujourd’hui. Aujourd’hui ? Probablement depuis des lustres. Le parc est agencé à la manière originelle des jardins de l’ère Edo. La variété d’arbres, de plantes et de fleurs me surprend. Des pins en majorité. J’imagine les cerisiers et les camélias en fleurs cet hiver. Iris, lotus. Je traverse les ponts en bois peints en rouge, qui surplombent les étangs remplis de carpes. Dépasse le musée, et la hutte d’objets et de métiers traditionnels et populaires. Elle date de 1750. Onze Lords se sont succédé pour restaurer et agrandir ce parc du nord au sud, depuis deux-cent-vingt-huit années, l’ère Meiji. Soixante-quinze hectares de buissons, érables, bosquets, lotus et azalées. Aux abords d’un étang, je commande le plat préparé par la cantinière, dans sa gargote. Japonaise plus frétillante qu’une anguille, aux cheveux grisonnants. Elle m’intime l'ordre de m’asseoir sur l’une des tables en bois. Quelques instants plus tard elle me ramène un plateau découpé en parcelles. Bol de soupe, assiette de Udon et thé noir. Udon épicées, à la fois salées et sucrées, délicieuses. Ces nouilles japonaises que j’avais découvertes rue Saint-Anne à Paris, sont originaires de Takamatsu.

Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu
Ritsorin Garden, Takamatsu

Ritsorin Garden, Takamatsu

Je me laisse bercer par les mouvements du polder qui se meut au dandinement lymphatique des carpes, énormes et presque fluorescentes. La petite dame de la buvette revient et me tend un sachet de restes de nourriture et de morceaux de pain rassis. Elle en prend une poignée qu’elle jette dans la mare : à vous maintenant, semble-t-elle conclure. Je m’approche du bassin et donne à manger aux carpes, accroupie sur une pierre, au soleil et en silence. Face à moi, sur l'autre rive, j'admire les bosquets taillés au cordeau, aux formes géométriques ou plus imaginatives. On n’entend que les bruits de la nature et des animaux, et je sais que cet écho authentique avec lequel je suis en parfait accord, sera rompu par un événement décisif et un son inattendu. Les carpes japonaises s’approchent pour grignoter dans la paume de ma main. En caressant leurs écailles, je glisse sur une arête soyeuse. Un type se rapproche de moi, grand, jean délavé et chemise rose. Ses semelles crissent sur les herbes et le sol caillouteux et sableux. Bel homme, allure fringante. Il essaie d’entamer la discussion mais il ne parle que japonais. Nous nous contentons de nourrir les poissons ensemble. Je lui adresse un sourire sympathique, qu’il me répond. Puis je me lève, prête à poursuivre ma promenade. Il se lève à son tour pour me saluer. Alors que je poursuis mon chemin erratique, je le sens derrière moi, hésitant quoique bien présent. Je me retourne et l’invite à me rejoindre. Nous cheminons en silence. Arrivés devant le Higurashi-tea, nous nous aventurons sur le chemin, bondissant d’une dalle à l’autre, flottant sur la rivière, comme dans un dessin animé. Un panneau à l’entrée indique qu’il s’agit d’une Souan de 1898, avec deux jardins (Roji), l’un à l’Est et l’autre à l’Ouest. Nous entrons et nous déchaussons. Chaussettes roses assorties à sa chemise, ça me fait sourire. Nous déposons nos affaires sur une étagère à l’entrée. L’hôtesse nous dirige vers un tatami disposé face aux jardins et un petit étang, frétillant à peine. Elle revient avec une soucoupe très fine, en faïence, sur laquelle est déposé un gâteau sec de couleur verte, vert-matcha, aux découpages raffinés. Très sucré et onctueux comme une pâte d'amande. Puis le thé Koicha, âpre, boisé et viril qui rassérène. Parfait équilibre de saveurs. Je m'adapte à un cérémonial rôdé et minutieux, auquel Chemise rose m'apparaît familier. Mais assise à genoux, comme les autres, je suis mal à l'aise, sur le tatami. J'ose changer de position : en tailleur, le dos droit, étirée, je me sens mieux, même si je dénote.

Chemise-rose et moi, on s’observe. Il affiche un sourire éclatant. Je le trouve beaucoup plus grand que les Japonais que j’ai croisés jusqu’à présent. Une allure irrésistible, dans sa chemise rose et son 501 bleu ciel. Il émane de lui quelque chose, une mise, qui me rappelle Pierre Marsac incarné par Jean Marais. Avant que je n’entreprenne ce voyage, maman m’a dit : Si tu peux, va à Nagasaki. Nagasaki pour moi, c’est un film inoubliable, et une ville spéciale. J’aurais tant aimé aller au Japon.

Typhon sur Nagasaki.

Est-ce parce que mon père était lui-même ingénieur français en exercice sur un chantier naval, et que la romance entre eux a capoté à cause d’une intruse revenue d’une époque oubliée, telle Luce Fabre, flamboyante et magistrale Danielle Darrieux dans le film, avant que mon père décide de revenir vers ma mère pour l’épouser 

Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
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Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
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Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé
Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé

Ritsorin Garden, Takamatsu, cérémonie du thé

En quittant ce havre de poésie et de plénitude, il me semble passer du jour à la nuit, en un éclair. Le silence de la nature versus le bruissement de la ville m’enserre, même si Takamatsu n’est pas une ville spécialement trépidante. Le type propose de m’accompagner et j’accepte, je me sens bien en sa compagnie mutique mais chaleureuse. Quel genre d’homme est-il ? J’avoue que je ne suis pas insensible à son charme, est-ce que ce critère suffit. On se balade, on se frôle, nos mains se touchent, chaudes et douces. Les échoppes ouvertes se succèdent, les voix résonnent sous le centre couvert, shopping-mall plus étendu qu’a priori. On s’enfonce dans le dédale qui compose Tamachi, puis Minamishinmachi et Tokiwagai, Lion-dori, Marugame-dori. On flâne, on hume, on vadrouille, on baguenaude, moi, dans une sorte de vague à l’âme qui me fait divaguer. L’ambiance est joyeuse. Ici, un concert vient de débuter, avec une star japonaise du moment, qui défraie la chronique. Une foule, venue en masse, hurle et danse, frénétique. Ils sont tous vêtus comme des personnages de mangas, pop-culture exacerbée. J’entrevois la chanteuse sur la scène, entourée de néons de couleurs fluorescents, avec ses couettes, sa micro-jupe, son maquillage presque outrancier et ses bottes à plateforme. Elle pousse des hurlements, se trémousse, saute, retombe des airs. Comment fait-elle pour ne pas se briser les chevilles ? Elle ressemble à une poupée parfaite. La Candy de mon enfance, avec ses grands yeux, en plus délurée. Le public est en transe. Le type et moi, on s’encanaille avec la foule, on danse, on s’élance dans les airs, il me rattrape par la taille. Le visage de Patrick Swayze vient se superposer au sien. Je sais bientôt le refrain, que j’entonne phonétiquement. Qui, pour soupçonner que je n’y comprends rien ?

Quand soudain apparaît la fille du Nuku café. Elle me reconnaît et s’arrête à ma hauteur. Je lui présente Chemise-rose. Nous nous embrassons comme si nous venions de nous retrouver, la bande du dimanche, dans le mall. Miss Nuku propose que nous l’accompagnions. La chanteuse donne un concert privé ce soir, elle a des invitations et doit y retrouver ses amis. J’accepte et Chemise-rose acquiesce. On flâne jusqu’au lieu du concert, une cave underground dont j’ignorais qu’à Takamatsu ce genre d’endroits, une sorte de caveau de la Huchette, ou plutôt, du Chat Noir bohème, eut pu exister. Takamatsu qui badine, ça vaut le détour. Miss Nuku frétille plus qu’elle ne marche, visiblement réjouie que j’aie accepté de suivre sa bande, avec mon ami. Son regard passe de lui à moi et de moi à lui, j’ai l’impression qu’elle se demande pourquoi je ne lui en ai pas parlé hier. 

À l’entrée du caveau, on prend part à une séance de shooting pour une publicité. Deux jeunes acteurs, deux de plus comme sortis d’un manga, répètent. Le dispositif, filmé, est installé devant un rideau de fer tagué de graffitis street-art. Iconographie japonaise acidulée. La fille est habillée comme Desmodène, en rouge et noir, collants punks troués, rouge à lèvres vermillon, jupe plissée avec épingles à nourrice qui me fait davantage l’effet d’un ceinturon qu’une jupette, et Doc Martens. La séance est sponsorisée par une galerie de peinture démoniaques et sataniques. Esthétique, dans le genre.

Takamatsu, mall (séance photo)
Takamatsu, mall (séance photo)

Soudain, j’avise Jess H., Satomi M. et Masuda K. Intriguée je leur demande ce qu’elles font là, surprise à l’idée qu’il n’y ait plus personne au press office du festival. C’est dimanche, me répond Jess, le dernier dimanche du festival, on a fermé. Ça me fait plaisir de te voir Elsa, s’exclame-t-elle.

Je leur présente Chemise-rose. Miss Nuku insiste pour que Jess H. et ses amies se joignent à nous. Elle nous fait tous entrer dans le caveau. Le barman, l’un de ses amis de toute évidence, nous installe dans le carré VIP, derrière des cordons rouges officiels. Pendant qu’on nous sert du champagne, Miss Nuku me demande qui est mon copain. Elle esquisse un point d’interrogation dans l’air en le reluquant, avec un sourire fureteur. Il répond qu’il s’appelle Djan. Tout le monde se présente. Jess H. explique le festival. Miss Nuku en a entendu parler bien sûr, elle regrette de ce connaître que vaguement, le festival et les îles. Dès demain, elle jure de combler cette ignorance. Djan habite Hiroshima, il est scénariste. Justement, dit-il, je viens de recevoir une commande pour scénariser des images du festival, pour un docu. Jess H. et son équipe se révèlent curieuses. De qui provient cette commande, un journaliste, un partenaire, un particulier ? Djan l’ignore, c’est récent, il ne s’en est pas encore préoccupé. Jess H. propose de nous organiser une journée sur les îles du festival, à Miss Nuku, Djan et moi, avant que je reparte en France, ça vous dit ?

Adjugé.

Quand ? Après-demain, le temps pour Miss Nuku de s’organiser, à la boutique et au bar. D’ailleurs le soir, propose-t-elle, quand on rentrera, ce sera ta dernière soirée à Takamatsu, Elsa, rendez-vous au Nuku Café. Miss Nuku se lève pour accueillir un groupe de ses amis qui vient d’arriver, ils s’installent avec nous, on se salue, on s’épie, on se sourit, sous les stroboscopes effervescents, d’un vert incandescent. Miss Nuku ce soir, me fait penser à une figure imposante des nuits de Takamatsu. On dirait bien qu’elle règne. Le caveau lui appartient-il, comme le Name Shop Nuku café ?

 

Takamatsu, mall (concert)
Takamatsu, mall (concert)

Entre deux morceaux hurlants et hard core, Djan m’invite à danser un slow parce que oui, cela existe encore, ici. L’ambiance oscille des eighties aux nineties maintenant. Quand le disc-jockey décide de passer 2Pac, All Eyez On Me, je ne peux résister à l’idée de monopoliser la piste de danse, seule, seule avec un sourire extatique et mes mouvements languides, les paupières closes, la tête souple et ondulante, les bras ouverts.

En apesanteur.

 

Sans s'en apercevoir, on se retrouve tous chez Chemise-rose, à Hiroshima. Mon rythme de battements de cœur est si extraordinairement régulier. J’ai tellement rajeuni en une soirée, je suis redevenue la jeune fille curieuse et insouciante de jadis, avant les responsabilités et les choix, avant les peurs, les doutes et les jugements, avant l’art et la culture, avant l’émancipation, avant Paris et ce tourbillon excessif et brutal, avant les mondanités, avant les tentations, avant l’affreuse cacophonie des pigeons caracouleurs. Avant le pire et le meilleur de la vie qui passe.

La route n’est jamais qu’un long rouleau d’un seul tenant, un long rouleau de pas de côté, de chemins de traverses, d’échecs et d’atermoiements, de prises de conscience et de pardons, d’engagement, d'ouvertures, d'ouvertures aux gens et aux événements, à déployer sous ses pas. Ce soir, pour la deuxième fois, j'abandonne Jack Kerouac, pour tracer ma route.

 

À suivre...

Ritsorin Garden, Takamatsu
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