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Ogijima
Ogijima

26 octobre 2010

Megijima et Ogijima (2)

 

Ogijima
Ogijima

Ogijima est plus grande en apparence. Jess H. nuance : en réalité l’île présente une superficie de moins de deux kilomètres carrés pour le même nombre d’habitants. L’île est tout en pente, et tout se concentre sur les hauteurs, les sculptures à découvrir sont parsemées jusqu’aux cieux, vous verrez, c’est mystique.

Nous arrivons pour déjeuner. Jess H. nous conduit jusqu'à la maison d’une insulaire qui s’est transformée en cuisinière pour le festival. Elle échange quelques mots en japonais avec cette vieille, frêle et néanmoins robuste femme, qui nous installe à une table. On ne discute pas. Elle va très vite, active et remuante, elle flotte sur le sol, en nous ramène le plat du jour. Udon. Une table en plein vent, sur le port, trois copines, et le parfum des Udon. Les nouilles sont trempées dans une sauce savoureuse. La petite bonne femme énergique revient avec un thé croustillant, tout aussi parfumé.

Ogijima, phare du bout du monde
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Ogijima, phare du bout du monde
Ogijima, phare du bout du monde
Ogijima, phare du bout du monde

Ogijima, phare du bout du monde

Repues, nous partons à la conquête de l’île. Miss Nuku propose d’errer, de se laisser aller et on se détourne du parcours balisé du festival. On emprunte au hasard un sentier, dont je me dis qu’il va naturellement nous guider vers l’une des installations du Art Setouchi car l’île ne forme jamais qu’un minuscule rocher et au bout du compte, il est impossible de se perdre n’est-ce pas, on ne peut que tourner en rond, même si c’est en colimaçon. Mais plus on progresse, sans un mot, plus j’éprouve cette impression étrange de m’éloigner de toute civilisation. Suis-je la seule ? À gauche la mer, à droite la végétation. Seuls nos souffles et nos pas cadencent cette insolite progression. J'entends les battements de coeur, comme à Teshima, tantôt insistants, tantôt assourdis. La route monte et descend, forme des lacets et voilà des escaliers. On traverse des rizières et des potagers, des champs de plantations de fruits et de légumes, des étendues de tournesols. Bientôt ça s’assombrit, la mer devient grise et moutonneuse, le vent prend de l’envergure mais le soleil persiste, comme dans un bras de fer. On s’enfonce toujours plus loin, plus cernées par le silence. Il va forcément se rompre un moment donné, quelque chose va surgir. Quelqu’un. Le chemin se rétrécit encore. On traverse de petits hameaux qui semblent inhabités, sauf par les chats, des maisons en bois avec leurs toits bleu-ardoise aux angles recourbés qui se raccrochent au ciel, comme des marionnettes. Les maisons sont construites les unes sur les autres, au-dessus des autres, ou accolées, concentrées sur une parcelle avant de nouveaux espaces cultivés, d’autres potagers, d’autres rizières, d’autres serres. Certains chats, moins farouches peut-être, viennent nous sentir et quémander une caresse. D’autres ne se déparent pas de leur posture de sphinx, souveraine et aristocratique, qui tranche avec l’environnement pastoral. Ils régissent du regard, immobiles, leur espace.

Une heure et demi plus tard, nous sommes parvenues à un cul de sac. Une bande de sable qui pourrait ressembler à une langue de plage oubliée. Miss Nuku propose qu’on s’installe sur le sable rempli d’algues sèches. Le temps de reprendre souffle et couleurs. Depuis cette parcelle, je contemple la mer bleue grise verte, sous ce soleil blanc et nuages gris. On est perdues, c’est sûr, je dis, en faisant exploser les petites bulles des algues séchées et croquantes avec la pulpe de mes doigts. Mais non, rit Jess H. Qui se lève. On repart sans but. Pour apercevoir les chats partout, leurs petites têtes sortent des bosquets de fougères, d’ajoncs, de roseaux et d’herbes folles. Une multitude de paires d’yeux en amande nous accompagnent. Tu vois, dit Jess H., avec enthousiasme : Ils nous guident ! Tant qu’y a des chats, y’a la vie et l'espoir, tu sais. 

Ogijima, terres et chats du bout du monde
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Ogijima, terres et chats du bout du monde

Au bout de la digue de sable une route se reforme, un sentier abrupt. L’extrémité de l’île. Le phare. On entre au musée de la Marine par la maison reconstituée du gardien. Il n’y a personne. Comme si le musée était resté ouvert pour nous accueillir et nous délivrer un message. Costumes, instruments de sous-marins, accessoires de pêche, cartes, compas, radio maritime. Vous voyez, même au bout du monde, tout est à notre disposition pour se repérer, on n’a rien à craindre, insiste Jess H. Le phare est minuscule, bleu et blanc, presque factice, comme en carton-pâte, nouveau décor de ciné-club cette fois. Quelques goélands rôdent. La nature est sauvage, ample, la liberté que je ressens ici est infinie. Miss Nuku s’attable et saisit le poste de radio. Elle décroche le combiné et fait mine de lancer un SOS en morse et un message de détresse, dans le micro, on dirait qu’elle en a l’habitude.

On s’aventure maintenant au cœur d’une végétation plus dense et touffue, on traverse des bambouseraies d’où émergent des cris bestiaux et gutturaux et juste après, ce sont des terres en jachère, dont on croirait que les chats les ensemencent. On halète un peu, les pentes sont parfois sévères et il fait très chaud, malgré le ciel sombre. Au cœur de cette verdure exotique, d’énormes et insolents moustiques nous morguent et nous épient. C’est alors, au détour d’un arbre multiséculaire et majestueux, que nous découvrons des installations hétéroclites dans les arbres : casseroles peintes, objets indéfinis se mêlant aux narcisses. Un mur est tagué au milieu de la jungle insulaire. Waouh ! s’exclame Miss Nuku, le art setouchi-art !

Ogijima, art, mémoires et miroirs
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Ogijima, art, mémoires et miroirs

Organ de Tomoko Tanigichi. Le long d’une allée, l’artiste a relié pipes, télescopes et périscopes. Y passer permet d’écouter de nouveaux sons, des bruits, des notes d’harmonica et de chants du vent et d’animaux. La voix des mandolines a remplacé les cris effrayants des bêtes sauvages. J'ai l’impression d’être revenue à la civilisation, d’un coup de baguette magique. Des venelles étroites se croisent et s’entrecroisent, en espaliers, jusqu’au Dream café. Comme un nuage, descendu du ciel pour se poser à nos pieds, et saupoudrer d’art ce bar éphémère. Dans la cour, une voiture d’enfants est garée sous une colonne tressée dressée, patchwork qui fait office d’arbre ou de phare. A Shelter for Drops of Memory de Takeshi Kawashima and Dream Friends. Composition originale de papiers recyclés, vieux journaux, magazines, lettres, flyers, journaux intimes, confessions. Tous les habitants de l’île y ont participé. Pendant que nous nous asseyons autour d’un thé vert fumant, Miss Nuku nous lit que c’est la pièce emblématique d’Ogijima, qui traduit ce qui reste et ne s’efface pas, la mémoire, symbolisée par ces journaux. Les visiteurs sont invités à s’y associer et à rajouter un morceau de souvenir et de mémoire, un bout d’eux-mêmes. Work in progress. Bien entendu, nous nous prêtons au jeu, avant de partir. Vous pensez qu’on s’écrira, nous trois ? demande Jess H.

En quittant le Dream Café, on se fige devant un énorme miroir rond, sorte de rétroviseur d’angle : Sound Scenes in Ogijima de Akinori Matsumoto. Plus la fin de mon séjour se précise, plus les miroirs me font face. Comme s'ils attendaient que je la prenne, cette foutue décision que j'ignore moi-même. Un jardin japonais composé de quotidiens jaunis parmi lesquels l’artiste a glissé des objets qui produisent des moments sonores inattendus, réalisés avec du bambou collecté sur l’île. Ces émetteurs sont sensés nous renvoyer dans le passé et d’ailleurs, la petite maison qu’il a choisie est une bicoque abandonnée, vestige d’une autre époque, qui remplit de nostalgie. Passé, personnes et miroirs.

Quoi que l’on décide ici, quelle que soit l’île, tout est fait pour nous ramener en enfance, à l’essentiel. Aux origines. Avant les morts et les déflagrations, avant les choix. Je repense aux mots de mon infirmière, à l’hôpital. Avait-elle cette prescience-là, je veux dire, pour ce voyage, ces îles du bout du monde, ce pèlerinage ? Boltanski explique que ce qu'il aimerait à présent que son Musée des Coeurs existe, c'est que ceux qui viennent écouter leur battements de coeur, ou plus exactement des battements de coeur, ceux qui viennent au hasard, sans même rien connaître de ces archives particulières, à Teshima, ignorant tout de leur auteur contemporain et de ses expositions mémorielles lourdes et enténébrées, viennent dans la mer intérieure de Séto et en repartent changés, riants, transfigurés, des survivants, des gens de l'Après, qui visitent ces endroits et les interprètent et les modifient. Rejouer sa vie. Il prolonge son propos en espérant que son Après soit comique. Et tout à coup, en compagnie de Jess H. et de Miss Nuku, à Megijima et à Ogijima, après avoir recollé tous mes morceaux à Teshima dont je pensais que cette île était le but de mon voyage, je m'aperçois que je me suis trompée. Le but, c'était ces îles légendaires d'Ogijima et de Megijima, démoniaques et fantastiques, cet opéra comique à ciel ouvert, où j'ai appris à rire avec des copines, à prendre le temps de rire avec des copines, d'être simplement heureuse et souriante, incarnée ici et maintenant, sans autre préoccupation.

C’est là, que je décide de cesser de regarder dans le rétro. C’est ici, au Dream Café que je dépose mon baluchon du passé, de mes émois de l'Avant, je me déleste ici, dans ce lieu propice et onirique. J'abandonne mes morts ici : allez en paix, maintenant. À la place, je repartirai du Japon avec mes battements de cœur artistique, des rires et le souvenir ému des chats.

Un autre mur de maison d’angle, nous cueille sans prévenir. Repeint de tons lumineux, roses, jaunes et verts, lattis de couleurs joyeux. En face de Rikuji Makabe, Kyôto Taniyama a installé et décomposé une douche à ciel ouvert. Wall Paintings in Lane : Wallalley. Plus loin, une série d’installations murales de toutes les couleurs, créées à partir de bois flottant, de filets de pêches, de lignes ou de casiers, de cabanes à oiseaux en bois. Canevas singulier, comme de petites réductions d’habitations. Pour les oiseaux, les chats errants, les âmes perdues ? Au fond, si l’art s’adresse à tout le monde, il se destine tout de même davantage aux enfants et aux animaux, sujets non dévoyés. L’art, c’est l’innocence, c'est un conte.

Nous voilà revenues sur le port, sans y avoir prêté attention. Devant une sculpture arachnéenne de Takashi Imura, en cuivre et en bronze, qui ressemble à un poisson géant. Elle donne la réplique à une structure semi-transparente à l’apparence d’un vaisseau spatial, de Jaume Plensa. Le travail ciselé est remarquable. Une coupole de dentelle de lettres de tous les pays, entrelacées. L’hébreu succède à l’arabe, au chinois, au japonais, à l’arménien. Cette capsule est d’apparence fragile, aussi sensible que le dialogue entre les peuples du monde. Moins sincère que celui de l’amitié.

Quand je me retourne, le bateau est amarré. Je quitte à regret cette fable dont j'étais devenue l'un des personnages animés, au même titre que mes amies et que tous ces autres, joyeux. Le bateau longe de nouveau Megijima. Jess H., malicieuse, nous invite à saluer le fils de pêcheur-démon de granit, gardien de l’île de Megijima que l'on contourne avant de se poser à Takamatsu. J’ai bien l’impression qu’il nous répond. Ce voyage dans le voyage, et mon voyage, s’achèvent, je le sais.

 

À suivre...

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