18 octobre 2010
Le Japon (2)
Je dois éteindre mon téléphone à présent, songeant que les meilleurs augures m’accompagnent. L’avion se prépare au décollage. Le tableau de bord s’affiche sur le siège qui me fait face. Il fait onze degrés. Dans une seconde l’avion s’envolera, pendant que les consignes de sécurité nous serons présentées. Vol de nuit. Je plaque mon visage contre le hublot. Paris illuminé scintille. Le Boeing prend de l’altitude. Soudain, nous sommes plongés dans le noir, à 8.200 pieds. L’hôtesse m’apporte des chaussons, une nouvelle coupe de champagne, des serviettes chaudes. Je suis saoule de bulles et ivre de bonheur. Nous traversons les Pays-Bas, l’Allemagne, Groningen, Hambourg. Elle revient, munie d’un plateau plus grand. Premier dîner. Bento bœuf, légumes, saumon fumé, salade, gâteau au citron. Je me régale et ça me cale. Nous survolons à présent la mer baltique. Stockholm, Helsinki. La Tour Eiffel a disparu.
Quand je me réveille, l’avion approche de Pékin. J’ai dormi comme un loir, sombré sans résister. Je me sens en forme. Je consulte le tableau et les informations. Takamatsu : Main city of Kagawa, prefecture, situated northeast of Shikoku. Very side city and geotropically, it boarders the Sanuki mountain range that divides the region from east to west with the Kurungji and the Sanuki plains to the north. 14,9 ° C. About 350.000 people. The Risurinkoen os a former summer home of the Ikomas, the lands of Dakamatsu. It was transformed into a park ever a period of 100 years. There are 6 ponds and 13 artificials moutains inside. There is a teahouse called Gikugesutei and the view from a semi-circular Engesukyo hanging over a pond is very good. Yashima is a plateau to the northeast of Dakamatsu that just out towards Setonaikai. There are many tourists along the road in the south. The surrounding coast and islands can be seen from the observatory. The Shikokumura is an outdoor museum that replicates the traditional houses of Shikoku. Traditional homes and living ustensiles moved from various part of Shikoku and restored are gattered here. Je me demande ce que je retiendrai de cette description en anglais, s’il convient de noter ou d’errer, une fois sur place, au gré du vent qui me poussera. Déambuler tel un hobo.
Je me lève pour me dégourdir les jambes. Dans mes bas de contention, je ne suis pas glamour. Ce n’est pas ainsi que je vais rencontrer le prince susceptible de se cacher dans la Pumpkin de Yayoi Kusama. Mais je me sens légère, nullement ankylosée. Je vais retrouver l’hôtesse, lui demande un verre d’eau, avant de me rafraîchir le visage aux toilettes exigües. Toilette de chat, qui désaltère. Puis je rôde quelques minutes dans les allées endormies. Certains passagers lisent, une veilleuse discrète au-dessus de leur tête. Tout est calme.
De retour à ma place, je poursuis la lecture. Osaka où la température est de quinze degrés, une ville de presque neuf millions d’habitants dont j’apprends qu’au début de l’automne, c’est la saison des typhons. La description s’étend à Kyôto et Nara, sanctuaire des animaux en liberté en particulier les faons. Je regrette de n’avoir pas le temps de visiter Nara. Le symbole d’Osaka est la tour Sutnekaku, à mi-chemin entre l’Arc-de-Triomphe et la Tour Eiffel, qui héberge un dieu porte-bonheur. Divinité des choses telles qu’elles doivent être. En vérité, il s’agirait davantage d’un démon que d’un dieu. Il reste un peu moins de trois heures de vol avant la halte en Corée. Ma montre affiche douze heures au-dessus d’Ulan-Ude. En France, il est sept heures du matin. Cinq heures de décalage. Qu’importe, désormais. Cet espacement n’a plus aucun sens, à vrai dire, ici, maintenant.
Je me rendors.
À quelques minutes de l’atterrissage, à l’aéroport d’Incheon en Corée, l’écran diffuse une série de conseils virtuels, précis et bienvenus. Massages de l’intérieur des yeux, au-dessus des omoplates, circulaires, dans le dos, extérieurs, des jambes depuis le genou jusqu’au milieu du mollet, tempes contre le mal de crâne. Puis un film d’animation rappelle les consignes de sécurité à respecter. L’hôtesse me sert un jus d’orange frais et un plat écœurant de prime abord. J’ai plutôt envie d’un croissant ou d’une baguette beurrée. La faim l’emporte et je me laisse convaincre par ces crevettes épicées et poivrons, baignées dans du riz, la salade de crevettes. Savoureux.
L’avion descend. Sur la gauche, la mer jaune. Shanghai, Pékin plus haut. Sur la droite, la mer de l’Est. Osaka. Entre Chine et Japon. Traverser le globe, je ne l’ai pas senti passer. Bientôt quinze heures. Un paysage d’îles brumeuses se rapproche, tellement vite.
L’aéroport est gigantesque, lumineux avec d’immenses baies vitrées, des verrières ; extraordinairement propre et calme en dépit de la foule trépidante. Marmoréen.
J’ai faim (j'ai toujours faim quand je voyage) et je me sens fatiguée.
J’attends mon prochain vol pour le Japon.
Les minutes et les heures filent sans que cela ne soit perceptible. Pourvu que je ne rate pas sottement l’avion, comme Kerouac, à cause d’une irrépressible envie d’aller aux toilettes au moment précis où, après des heures de retard, l’embarquement s’organise.
J’achète une bouteille d’eau, un bagel, et me pose sur un siège confortable. Rallume mon portable et laisse défiler mes courriels. Monsieur I. a répondu. Il me communique son numéro de téléphone et me prévient qu’il a tout organisé. Le vingt-deux, Tomoko I. de Benesse House m’accueillera sur l’île de Naoshima, elle me fera visiter la résidence ainsi que le musée, et l’île. Je devrai prendre le ferry de huit heures douze en direction du port de Miyanoura depuis celui de Takamatsu. Il a tout organisé pour une journée privilégiée sur l’île de Naoshima, auprès de monsieur Soichiro Fututake, président de Naoshima Art Fundation et de Benesse, le mécène dont tout le monde parle, autant pour ce festival d’art contemporain, Art Setouchi Festival, le premier du genre et le premier dans cet archipel japonais, que pour sa discrétion. Peu le connaissent. Un homme de l’ombre, un résistant. Monsieur I. me souhaite un bon voyage, me rappellera et me fournira davantage de précisions lorsque j’arriverai à Takamatsu. Même dans la nuit, à n’importe quelle heure, précise-t-il, je devrai me rendre au bureau presse du festival et demander Jess H. Le centre d’organisation et presse est hébergé dans un bâtiment que je repèrerai avec aise, la Port Building, à la sortie de la gare, au Sunport Hall, où sont concentrées les tours symboliques de Takamatsu.
Mon autre vol est annoncé. Celui-ci est très rapide, dans un avion plus petit. On nous sert un plateau-repas de dégustation japonaise avec du thé vert Sencha exquis. Je suis assise à côté d’une Japonaise frappée par ma dextérité, avec les baguettes. Prétexte pour entamer la conversation. Elle revient de Corée, rentre de son séjour mensuel où elle s’est rendue pour diverses emplettes et effectuer la tournée des bars et restaurants avec ses copines. Elle est volubile et extravagante. Ce plateau m’a rassérénée, je me sens en verve. Nous discutons avec beaucoup de fantaisie. Essentiellement elle d’ailleurs, qui prend plaisir à me décrire ses achats, beaucoup de belles marques, surtout Vuitton, ce qu’elle a mangé en Corée, a-ma-zing. Avant d’atterrir, elle me griffonne son numéro de téléphone, si jamais j’ai besoin de quoi que ce soit, my Dear. Enjoy.
Nous parvenons à Osaka. Tout devient effervescent d’un seul coup. Je n’avais pas anticipé un tel changement de rythme. Les gens filent, passent et repassent à toute vitesse, grouillent de partout. Le ballet de cette fourmilière n’est ni bruyant ni oppressant. Plutôt élégant et rôdé. La douane. Récupérer ma valise. Le service de l’immigration. Le comptoir JR. Mes billets de train en échange du voucher. Je suis en bottes, en pull, je porte mon manteau mais ici, il fait vingt-quatre degrés et c’est la nuit. Je me mets à transpirer au milieu des Japonais en tongs et en short.
Mon JR pass indique Kansaï Osaka direction Kyôto ce jour par le JR Haruka, puis Shin-Osaka direction Osaka Kansaï le vingt-neuf, il n’est pas valable sur les lignes du JR les autres jours. C’est conforme aux notes de monsieur J. que j’ai sorties de mon sac. Il a surligné et noté en gras de demander des réservations de siège dans les trains JR Haruka et Hikari, à la gare d’Osaka dès mon arrivée, et surtout de récupérer mon pass le vingt. À partir du vingt-et-un octobre, il ne sera plus valable. Le temps m’est compté à la fraction de seconde mais comme il me l’a spécifié, au Japon tout est fiable, à la fraction de seconde.
Personne ne parle réellement anglais, ni moi japonais, cependant nous nous comprenons aussitôt, peut-être grâce aux signes et aux sourires. Politesse exquise de toutes parts, au cœur du maelström. Les Japonais s’adressent de légères révérences, un port de tête aimable qui s’incline ; ils s’excusent de se faire patienter, n’élèvent jamais la voix. Comme dans Les Uns et Les Autres, de Claude Lelouch. Liens superposés, vies entrecroisées, générations entremêlées, sauts et pas de côté, et battements de cœur comme ceux qui, peut-être après tout, personne n’en sait rien, ont inspiré Maurice Ravel, parce que le Boléro, c’est un cœur en ébullition. J'ai longtemps gardé punaisé la photo de Jorge Donn au mur de ma chambre. Dans mon esprit, le Boléro de Ravel, c'est Jorge Donn pour l'éternité, comme pour d'autres, plus jeunes, Édith Piaf est Marion Cotillard pour la vie.
Il me reste deux heures de train avant d’atteindre Kyôto. J’éprouve un léger coup de fatigue. Je me sens étourdie, le front humide. J’inspire par le ventre, comme me l’a appris l’infirmière à l’hôpital, je compte cinq secondes, je bloque et j’expire. Trois fois. Je me ressaisis, ça va mieux.
Le train traverse des toits bleutés ou gris, des banlieues de petits immeubles séparés par d’étroites venelles, aménagées de plantes, où semblent se reposer les bicyclettes et les chats, avant une nouvelle journée trépidante. Des espaces et des parcelles rectilignes, nets et ordonnés. Plus loin, des maisons typiques, aux toits d’ardoises cendrées dont les angles recourbés, ressemblent à des queues de dauphins vivaces et empressés. Une hôtesse surgit, droite, comme si un fil invisible l’étirait jusqu’au plafond du train. Elle sourit. Porte un uniforme et un tablier amidonnés. Elle vend des sandwichs, des bentos, des fruits, des boissons, des journaux. Chariot-camelote. Je lui souris lorsqu’elle passe, gracieuse, à ma hauteur. Les portes s’ouvrent automatiquement d’une voiture à l’autre, c’est commode. Elle a disparu.
Est-ce le fait d’apercevoir le pictogramme lumineux, à l’ouverture des portes ? voilà qu’une irrépressible envie de me rendre aux toilettes, me saisit. Comme si j’avais oublié de me soulager depuis des lustres. Sans réfléchir et séance tenante, j’abandonne mes affaires à ma place et m’absente quelques minutes. À mon retour rien n’a bougé. J’avais laissé mon sac grand ouvert, ma liasse de yens bien en vue. Nulle provocation, nul acte manqué non plus. Je n’y ai tout simplement pas prêté attention. Il n’y a rien à craindre ici, la confiance règne, immanente au pays.
Au point où j’en suis des transports, qui me semblent familiers et rassurants quand je les fuis à Paris, je tente une percée dans le métro pour rejoindre mon hôtel. Trop tard. Vingt-trois heures quarante-sept. Le dernier métro vient de partir sans moi. Je ressors de la gare abattue mais pas vaincue, et me dirige vers la station de taxis. Un chauffeur vient à ma rencontre à pied, s’incline, attrape la poignée de ma valise qu'il porte jusqu'à son taxi rutilant, portière ouverte, et la range dans le coffre de son véhicule, puis m’ouvre une portière arrière. À gauche. Au Japon, le volant est à droite et les taxis patientent toujours la portière arrière gauche ouverte et accueillante. Mon chauffeur porte une casquette, un masque qui lui couvre le visage et des gants blancs, immaculés. Son taxi paraît neuf, tant il est soigné. J’ose à peine m’y installer.
L’hôtel en impose. Bâtiment moderne de vingt étages. Ma chambre est minuscule mais tellement bien aménagée. Comparable à une bonbonnière. Propre et calme. J’ouvre le kit de toilette mis à ma disposition, enfile le pyjama et le peignoir sur le lit. Je suis trop lasse pour déballer mes affaires. Je me brosse les dents, me lave le visage de manière sommaire et m’engouffre sous les draps. Éteins.
Le sommeil ne vient pas. Je rallume, tourne et retourne dans mon lit. Saisis mon portable, fait défiler mes emails. En envoie un à mes parents. Les rassurer. Je suis bien arrivée au Japon après un voyage long que je n’ai pas senti passer. Un à monsieur J. Tout est conforme, merci. Un à Catherine J.
Nuit et silence. J’ai l’impression que je vais perdre du temps si je m’endors. D’un côté je ne sens plus mon corps d’épuisement, de l’autre je ne peux me résoudre à fermer les yeux et de toute manière, Morphée n’est pas au rendez-vous. Pourtant je suis bien au pays du rêve, des dieux et de la mythologie. J’attrape Sur La Route, de Jack Kerouac. C’est maintenant que le voyage commence. Lui aussi est parti à la rencontre du cœur des choses.
À suivre...
Sur la route, Kerouac, le rouleau, Beat Generation @centrepompidou