Banksy est l'artiste de la métaphore, au service de l'humanité. Homme invisible et artiste si visible, de-par le monde, tous publics. Une visibilité artistique, toutes formes d'expression, inversement proportionnelle à l'invisibilité de l'homme. Bansky crée au cœur de l'espace public, à notre rencontre, ici et ailleurs : pochoir, graff, peinture à l’huile, sculpture, musique, textes, photographies, dessins.
Banksy : artiste ou état d’esprit artistique au service d’une conscience et d'un engagement humanitaires ?
Métaphore domestique
« Welcome Mat » : un paillasson au message accueillant, devenu œuvre artistique. Commandé par l’artiste, le tapis de bienvenue a été réalisé par des femmes réfugiées sur l’île de Lesbos. Il figure le seuil de la porte d’entrée européenne, sur lequel on s’essuie les pieds sans vergogne, entouré de gilets de sauvetage ramassés sur les plages grecques. Une œuvre vendue 500 dollars, dont les bénéfices ont été redistribués aux exilés. Une intention artistique à méditer, tout au long de l’exposition.
À l’entrée, on découvre l’histoire du bateau de sauvetage « Le M.V. Louise Michel » que Banksy a acheté et repeint en rouge-thon ou rouge-migrant avec un extincteur, avant de l’offrir à l’association SOS Méditerranée.
Métaphore carcérale
« La baie de Guantanamo » : une peinture à l’huile représentant un prisonnier à genoux, muselé, la tête recouverte d’un sac plastique, installé face à la mer sur une plage.
Métaphore animale
« Laugh Now » : un primate, comme sorti de la Planète des Singes de Franklin Schaffner, affublé d’une pancarte. "Riez maintenant, un jour, nous serons au pouvoir". Qui, de l’homme ou du singe, est le plus civilisé ?
« Love Rat », « Toxic Rat »… : le rat symbolise ceux que l’on refuse de considérer, les exclus, les opprimés, les exilés, ceux mis au ban de la société. Lui-même, Banksy, s’est longtemps identifié au rongeur, en tant que street-ar-tiste ou autre graffeur, longtemps honnis mais résilient.
Métaphore guerrière et politique
Quatre affiches, dont les visuels ont été réalisés à l’origine sur des murs et pour des flyers de manifestants. À l’origine, Banksy les a réalisés en réaction à la guerre en Irak (2003). « Wrong War » : la Grande Faucheuse à la tête de smiley joyeux, est contente : elle s’apprête à réussir sa ténébreuse entreprise, grâce aux massacres. « CND Soldiers » : deux soldats américains, armés et prêts à tirer, en train de dessiner le sigle de la paix, pour dénoncer l’ambiguïté de leur mission et de leur sens du devoir. « Happy Chopper » : en écho à l’affiche du film de Francis Ford Coppola, Apocalypse Now, une flotte d’hélicoptères avance sous un ciel bleu pastel harmonieux, digne des plus exaltants jeux vidéos. L’un des hélicos porte fièrement un nœud pap’ rose pop-culture. L’artiste dénonce le conflit israélo-palestinien, une cause qui lui est chère. « Bomb Hugger Love » : sur fond rose pastel poétique, voire onirique, une petite fille embrasse un missile comme s’il s’agissait d’un tendre animal de compagnie ou de son doudou, alors qu’en réalité, il fait référence à une bombe. Les enfants, victimes innocentes, collatérales des guerres. Tons pastels, pour porter aussi un message d’espoir, comme ces grues en papier coloré, sur le monument de la paix des enfants, à Hiroshima (statue des enfants de la bombe atomique).
« Love is in the air ou Lita” : du rose au rouge-sang. Pochoir installé au-dessus d’une station-service au-dessus du check-point entre Jérusalem et Ramallah. Un homme masqué s’apprête à lancer un bouquet de fleurs, en direction d’Israël, en signe d’armistice. Cette silhouette est reprise sur l'affiche de l'exposition: sa bouée a remplacé les fleurs.
“Can’t beat the feeling… Napalm” : la petite fille survivante du napalm, immortalisée par le photographe Nick Ut, est entraînée par Mickey et Ronald Mc Donald comme pour une course réjouissante. Le divertissement et le fast-food américains, ou la perversion de l’impérialisme.
« Golf Sale » : seul contre l’État, seul contre l’arbitraire, seul contre le pouvoir institutionnel, en écho à cet étudiant tenant tête aux tanks, place Tienanmen, en Chine.
Métaphore star-system
« Paris Hilton » : Lorsque la starlette s’est essayée à la musique, Bansky a détourné son premier CD et l’a échangé contre une de ses créations artistiques. Nouvel enregistrement, nouveau marketing mordant. Les acheteurs ont gagné une œuvre artistique de Banksy croyant acquérir le disque de la chanteuse et en prime, un slogan en collages : « Every time someone asks me how I am I hesitate for a Little bit too long ».
Banksy et la musique, c’est une vraie collaboration par ailleurs. À Bristol, dans les 90’, il réalise les pochettes du CD « Blue Line » de Massive Attack ; il travaille aussi pour les labels Blow Pop et Hombré Records, notamment.
« Demi Moor” : lors de l’exposition “Banksy Barely Legal” à Los Angeles, Banksy détourne la célèbre photographie en couverture de Vanity Fair, représentant Demi Moore posant nue et enceinte, réalisée par Annie Leibovitz. L’actrice est représentée avec une tête de singe, fumant un clop. Choc, pour une première expo aux States. Encore plus choc : lors du vernissage, Banksy a installé un éléphant au centre du lieu. L’éléphant est l’objet de toutes les attentions, au détriment des œuvres exposées et des messages, pour des causes justes. « Il y a un problème dont on ne parle pas » ce soir-là. Banksy met en abîme son travail de dénonciation artistique.
« Crude Oils » : Autre lieu, autre happening, non moins choc. À Londres, Banksy lâche 164 rats, allégories de la plèbe. Un squelette remplace le surveillant de musée, face à un public qui semble parfois abdiquer. À Londres, il provoque, pour mieux mettre l’accent sur le message de ses œuvres qui symbolisent le déclin social, à travers une réinvention de peintures iconiques : Monet, Hoper, Warhol…
Métaphore artistique
Dans le prolongement d'Andy Warhol et l'art-marchandise, Banksy met en scène Kate Moss, transformée en produit de consommation : « Kate », ou le révolutionnaire Che Guevara, en icône du capitalisme, sur des tee-shirts. Certaines de ses œuvres vendues, déclinées sous forme de tee-shirts, permettent de financer les frais d’avocats de manifestants en rébellion contre la société de consommation.
Métaphores royale et institutionnelle
« Er… tea towel » : les initiales de la reine Elisabeth Regina sont assemblées sur un torchon de tea time, lequel semble détrempé par une tasse de thé qui se serait renversée. L’œuvre réalisée pour les 60 ans de règne de la reine, délivre un message sibyllin. Un règne qui semblait alors, en 2012, immuable…
« Turf War » : Churchill représenté sur des tee-shirts, avec une crête vert-pelouse, fait référence à la guerre des gangs. L’ambition de conquête territoriale du président n’est rien d’autre, au fond. Pour cette création, Banksy s’associe à la marque Puma. Quelle ironie, quand on pense que Puma est devenu le sponsor international de l’Association israélienne de football…
Modeste Banksy Collection, Béru
La collection privée « ni interdite, ni autorisée » de Béru, alias François Bérardino, n'est pas si modeste. Constituée depuis 2007, elle représente 300 œuvres exposées.
J’aurais pu achever cette chronique de blog avec une chanson de Miossec, parrain de l’exposition. Sauf que… avec Béru (sans S) l'occasion est trop belle de conclure avec un titre punk des Bérurier Noir. Vivre libre ou mourir. En vérité, c'est de cela qu'il est question, dans cette exposition : la liberté, oui, mais à quel prix ? jusqu’à quel compromis ?
Expo au 1er étage des Ateliers des Capucins, de 11 à 19h.
Nocturne samedi 24 juin.
Gratuit, selon le souhait de l'artiste.
Après avoir pris le temps de méditer, œuvre après œuvre, il est possible de faire un don aux associations humanitaires (Banksy Modeste Collection, fonds de dotation ; Recyclerie Un peu d’R ; SOS Méditerranée ; La Cimade ; Ligue des Droits de l’Homme ; Secours Populaire…) et de repartir avec l'affiche de l'expo. Un don de 120 euros donne droit à une sérigraphie « à la Banksy » : un enfant accroché à une bouée de sauvetage en forme de cœur (avec laquelle il est possible de réaliser un selfie !)
Merci à Aude, médiatrice de l’exposition.