Que l’événement ne retombe pas. Que la cérémonie de panthéonisation du 21 février 2024 n’ait pas été un one shot, un merveilleux et émouvant happening, quatre-vingts ans jour pour jour après l’exécution du groupe des 23 résistants dans la clairière du Mont Valérien. Car en réalité, il s’agit de bien davantage : « C’est un symbole majeur pour la période troublée que nous vivons », témoigne l’historien Maxime K. Yévadian, en préface de la brochure récemment publiée par Sources d’Arménie. Laquelle a pour intention de dénoncer le dispositif de propagande nazie et l’effet inverse produit sur la population française : « Tout ce que nous savons de la réception de cette campagne est que la population, qui attendait la libération, a considéré les membres du groupe comme des résistants et donc comme des héros. »
Une propagande qui dépasse l’emblématique Affiche rouge, « un symbole renversé », et là est tout le propos de la brochure, comme l’explique et le contextualise l’écrivain Didier Daeninckx qui a déjà consacré plusieurs ouvrages à Missak Manouchian. « L’Armée du crime contre la France » se décline en tract, en fascicule, en affiche et répond à des codes précis : le rouge ; les gouttes de sang qui s’écoulent des titres, ou sont projetées sur les articles ; une typographie digne des films de série Z ; le noir et le blanc binaire censé hanter ; des mises en scène photographiques qui accentuent un teint basané, des yeux et des cheveux sombres, un visage marqué ; des titres sensationnels : « On appelle cela le banditisme » « D’où viennent toutes ces armes ? » « L’officine de la terreur » « Le piège bolchévique » « Le maquis contre la nation » ; des illustrations morbides ; des chiffres et des listes alarmistes. Sauf que : usines détruites, dépôts anéantis, hangars incendiés, pillages, vols et sabotages, incendies, déraillements et assassinats deviennent, pour la population française occupée et soumise à l’arbitraire, des actes libérateurs et valeureux, des actes moraux.
Les allemands nazis ont échoué : ils ont fait des étrangers polonais, roumains, hongrois, espagnols, italiens, arméniens, des Juifs et des communistes, ceux qui ont fait la France. Demeurent l’amour romanesque, la poésie et les héros triomphants, qu’on n’oubliera jamais.
Du procès de l’Affiche rouge au Panthéon, Sources d’Arménie, 38 p. 8€
Valérien : l’instant Manouchian
De leur côté, les Hauts Lieux de la Mémoire Nationale en Île-de-France ont édité un document à la fois sobre et spectaculaire, qui se déplie comme un poster. « L’instant Manouchian » rend la panthéonisation atemporelle et revient, de manière didactique, sur les pôles mémoriels qui rappellent à la fois l’itinéraire du groupe des 23 résistants dit « groupe Manouchian » fusillés pour avoir libéré la France de la propagande et de l’occupation allemande nazie, et aussi le rôle d’un lieu de mémoire : Batailles et reconquête de la mémoire (depuis 1945) : du lieu national de la Résistance au parcours de visite ; Des héros français : le groupe Manouchian qui rend « La patrie reconnaissante » ; Missak Manouchian, sa dernière lettre à Mélinée : la poésie comme « ultime acte de résistance » ; Missak Mémorial : une sélection de ressources de la mémoire ; Débats publics et mémoire (très) vivante et cette question : Mont-Valérien, quel héritage ?
Une question à laquelle maire, historien, archiviste, médiateur, acteurs des sphères culturelle et pédagogique, community manager répondent :
« Cet héritage nous honore et nous oblige. Sans le sens du devoir et du sacrifice de femmes et d’hommes exceptionnels tombés pour défendre la France et les idéaux démocratiques nous n’aurions pas la chance de vivre en paix et dans un État de droit et de libertés. » « La mémoire d’un frère se trouve augmentée grâce au don (d’archives) d’une sœur décédée. » « Ce qui m’est le plus cher, c’est de transmettre (…) car ce sont ces enfants, qui ne devront pas laisser ces atrocités se répéter. » « Faire découvrir et vivre le Mont Valérien, c’est continuer à faire vivre les morts et leur éviter de tomber dans l’oubli, de mourir une seconde fois. » « Les saisons passent, les témoins disparaissent, mais la mémoire, elle, doit continuer d’être transmise. »
Une publication à commander auprès de la médiatrice culturelle : info@mont-valerien.fr
Valérien la lettre, une publication des Hauts Lieux de mémoire nationale en Île-de-France : L’instant Manouchian. 21 février 2024. Éditos de Jean-Baptiste Romain, Directeur et Marie-Christine Verdier-Jouclas, Directrice générale de l’Office national des Combattants et des Victimes de Guerre. Avec la mairie de Suresnes.
Il y a aussi le (très) beau livre consacré à Missak et Mélinée Manouchian, orphelins du génocide des Arméniens engagés dans la Résistance française, une trajectoire flamboyante reconstituée par Astrig Atamian, Claire Mouradian et Denis Peschanski.
« Avec Manouchian, ce sont tous les résistants étrangers qui entrent au Panthéon. » (Denis Peschanski, conseiller historique du comité exécutif à l’initiative de « Missak Manouchian au Panthéon » puis président du conseil scientifique du GIP créé par l’Élysée pour coordonner la cérémonie du 21 février)
Manouchian, Atamian-Mouradian-Peschanski, Éditions Textuel, 192 p. 250 images 39€
Sans oublier les Hors-Série, des ouvrages à conserver :
Le Monde : Résistants, L’engagement des étrangers
L’Humanité : Manouchian, La France reconnaissante
Timbres Collector Missak Manouchian
La Poste a mis en vente une série de timbres internationaux : Collector à l’effigie de Missak Manouchian, à commander ici
Mon coup de coeur : Poésie
Les Éditions Point ont publié un recueil bilingue (français-arménien) de 56 poésies de Missak Manouchian (216 p. 13,90€)
Ivre d'un grand rêve de liberté, préfacé par André Manoukian et Didier Daeninckx, traduit par Stéphane Cermakian
Extrait
À Mlle K. (comme le K. de Kévorkian)
Par les chemins perdus, tu es le bosquet du rêve,
Tes grâces chatoyantes, ensorcellement unique,
Fréquentent mon coeur qui, d'une croyance naÏve,
Ébloui comme un enfant, s'enivre comme un fou...
Mais dans le bienheureux jardin d'amour sans fin,
Mon coeur insensé, troublé, emmuré dans la perplexité,
S'afflige de questions et un tourment inné
Tel un serpent s'enroule à son désir doré...
Mes paroles sont suspendues à la frange des secondes,
Mes émois sont battus par les privations épuisantes,
Au point que j'en oublie l'amour en marge de la vie.
Mais toi, sache que mon coeur est un papillon rêveur,
Qui s'enivre de fleurs sous le soleil au grand jour,
Et dans le noir aspire, anxieux, à tournoyer vers la lumière...
19/07/1934, Paris
Missak Manouchian et ses camarades de la résistance entrent au Panthéon.
https://www.youtube.com/live/jzHZ2aSfLXY?si=tLBAOLoWQyMeTDia
Cérémonie de panthéonisation de Missak Manouchian, 21 février 2024
Manouchian, Éditions textuel : Mélinée. Le groupe de l'Affiche rouge et le plan de la 3e filature (oct 1943). Lettre à Mélinée..