Dreaming walls, documentaire de Maya Duverdier et Amélie van Elmbt, produit par Martin Scorcese (90’)
Le Chelsea Hôtel, c’est Leonard Cohen qui en parle (le chante) avec le plus de nostalgie suave dans la voix. Le pitch : alors que je viens de naître, celui qui n’est encore que poète, a tout plaqué pour (re)naître comme musicien. Il ne perce pas (encore). Cette nuit-là de 1968, dans l’ascenseur du Chelsea Hôtel, il se retrouve face à Janis Joplin. Deux égarés (à l’époque) dans l’ascenseur le plus lent de New-York (toujours à l’époque) qui finissent par passer la nuit ensemble. Ce n’est qu’après la mort de Janis Joplin que Leonard Cohen écrit sa chanson : Chelsea Hôtel #2 si émouvante et remplie de ce désir ardent d’une nuit.
Cette nuit-là, à l’origine, Cohen était parti à la recherche de Dylan Thomas. En vain. « Dylan Thomas était mort » expliquera-t-il.
C’est aussi pour rencontrer l’âme de Dylan Thomas que Patti Smith s’installe au Chelsea, « Là où vivent les grands hommes ». Là où elle s’apprête à vivre ses moments les plus brûlants en compagnie de Robert Mapplethorpe. Fauchés mais heureux : ils vivent comme des chats, au temps présent. Patti Smith y trouve une inspiration semblable à celle de Leonard Cohen : elle y écrit sa première chanson. Des années plus tard, dans le siècle d’après, elle y revient assurer la promotion de sa biographie « Just Kids » où elle se souvient des années libertaires dans cet hôtel que des artistes en devenir ont rendu mythique (ou est-ce la puissance mystérieuse du lieu qui a fait d’eux, eux tous, des artistes ?) : Kerouac et la Beat Generation. L’écrivain y termine « Sur la route » ; Allen Ginsberg sacre « Howl ». On y croise Nico et le Velvet underground, Andy Warhol et ses filles en mode split screen, avant de se faire tirer dessus par Valérie Solanas qui l’accuse d’avoir volé son manuscrit « Up your ass » ; Miller et Monroe ; Nicki de Saint-Phalle et ses Nanas ; Christo et sa femme ; Klein et son bleu. Que des histoires de couples entrés dans l’histoire de l’Art, d’artistes engagés dans la contre-culture américaine.
Patti Smith est la pierre angulaire du lieu, son itinéraire épique si étroitement mêlé à celui de l’hôtel iconique : lors de la promotion de « Just Kids » elle est rejetée par les occupants, en guerre contre le promoteur qui a racheté le Chelsea. Le capitalisme succède aux décennies punks et Patti Smith s’est embourgeoisée.
Le projet immobilier prévoit une rénovation luxueuse d’ampleur à l’occasion de laquelle les appartements des locataires sont divisés (ou les loyers augmentés). On incite les uns à partir et les autres à se diviser. Un collectif de locataires résiste et les travaux prennent du retard. Mais l’argent domine. C’est cette scission que raconte Dreaming Walls, documentaire émouvant, empreint de fantômes pas toujours glamours : Sid Vicious y commet un féminicide.
Si les piliers actuels d’une contre-culture contemporaine plus confidentielle ne sont pas des stars, ce film leur rend un vibrant hommage : ils sont 51 qui assurent aujourd’hui la résilience du Chelsea Hôtel, déterminés à en découdre, déterminés à y créer, pour l’éternité.