La Manu et son jardinier, un film-documentaire de Élodie Trouvé (52')
Autodidacte, Tiphaine Hameau se présente comme un artisan des jardins de la Manu, à Morlaix : je dirais plutôt un artiste. Dans ces jardins longtemps demeurés inhospitaliers, avant que la Manufacture des Tabacs devienne un lieu patrimonial réhabilité, encore industriel, désormais consacré à la culture et aux sciences, Tiphaine Hameau explique qu’il a le geste du coiffeur pour défricher à la faucille (et pour cause : dans sa famille, on est coiffeur transgénérationnel) et une pensée d’architecte pour créer des espaces à la fois sauvages et structurés, où faune et flore sont préservés. Les espèces priment ici et maintenant, comme depuis 280 ans sauf qu'aujourd'hui, Tiphaine Hameau aménage intuitivement, en faisant, des espaces propices au respect de la nature et à une cohabitation harmonieuse avec l’humain. C’est d’ailleurs aux Morlaisiens et aux touristes curieux, de franchir la grille des jardins pour découvrir le vénérable tilleul et son échelle, en symbiose depuis des siècles, entre autres fantaisies. Ici nulle réservation : on débarque au débotté, on progresse sur des allées de houx, on s’installe sur des tas de bois assemblés en patchworks, ça craque et ça crique, ça hulule et ça piaille, derrière les parterres soyeux de camélias, on s’immerge, on observe la biodiversité de la baie de Morlaix comme dans un parc naturel. Chut : ne pas déranger les espèces que Tiphaine ne finit pas de référencer.
Élodie Trouvé suit l’homme des bois depuis 2019 et vient de réaliser un film-documentaire sur ces (« ses ») jardins extraordinaires et insoupçonnables. Une projection en avant-première « mondiale » a présenté avec humour la directrice du cinéma associatif La Salamandre, fait de bric et de broc, devant une salle comble. Le plus beau cinéma d’Europe entend-on dire à Morlaix : trois salles, trois couleurs (vert-rouge-bleu) en forme de coques de bateaux renversées, du bois brut, des lustres et des tapisseries en matériaux recyclés, un univers en béton-placo fruste et des salamandres ici et là. C’est l’idée : une économie de moyens pour sublimer un Monument Historique du XVIIIe siècle situé en face du port, et consacrer son esprit à l’essentiel : la culture et la nature.
Le film produit par Anaïs Trouvé et Marie Legras a conquis le public sans réserve : un 52’ à la fois onirique, pédagogique et politique. Il éveille notre conscience verte, par l’exemple. C’est filmé d’en haut, on se prend pour un oiseau ; et d’en bas, au plus près du plus petit point pixel d’un pistil. C’est beau, tout simplement : les poils se hérissent comme les gouttes sur la feuille d’arbre semblent danser. Ça sent la pluie et le soleil. On survole ce véritable quartier, aussi ample que l’envergure d’un cormoran toutes ailes déployées, au rythme des saisons et des réunions avec la Communauté de Communes du pays de Morlaix, sur la place de ces jardins dans la ville et le rôle de Tiphaine Hameau. Il s’agit de répondre à une question : comment concilier l’intime et le secret des Jardins de la Manu et leur ouverture au grand public ? On n’a pas encore su trancher.
Au Sud-Est du Japon, dans la mer intérieure de Seto, sur 9 îlots de la presqu’île de Shikoku (prononcer (sh’kokou), les élus ont trouvé une solution, financée par un mécène : la création d’un festival d’art contemporain triennal, le Art Setouchi, visant à faire cohabiter art et nature, artistes, touristes et villageois. Le tout en accord avec des bâtiments en béton lissé de Tadao Ando. Se dégage une unité presque parfaite qui recentre et où, à la place des tas de bois, l'emblème est le tas de pois de la pumpkin géante de Yayoi Kusama.