3 kilomètres jusqu’à la fin du monde… thriller/drame, Emanuel Pârvu (1h45)
… ou 3 kilomètres jusqu’à l’invraisemblable délitement d’une famille. Une famille qui sacrifie son enfant pour rester dans la norme imposée par trop d’enseignements rustiques et de croyances ancestrales. L’histoire se déroule dans un village reculé de Roumanie mais elle pourrait prendre place dans l’immeuble haussmannien d’une mégalopole, dans une barre de banlieue. Aux États-Unis, au Japon. Ailleurs.
À peine installé sur son fauteuil de cinéma, les événements s’enchaînent si vite que plusieurs jours après le visionnage du film, on en reste figé, bras ballants, bouche bée et regard morne. Ni geste ni son ne sauraient rendre audible cette histoire, loin de n’être qu'une fiction. 3 kilomètres en temps cinéma d’Emanuel Pârvu, c’est 3 minutes, 3 secondes même, avant l’apoplexie irréversible.
Adi, Adrian (attachant -c’est le cas de le dire… Ciprian Chiujdea), a 17 ans. Il étudie en ville et chaque été, revient chez ses parents dans ce village si paisible. L’atmosphère y semble pacifique. Le fleuve, à 3 kilomètres, cerné de roseaux rosés, conduit à la mer, brasillante, sur fond de couchers de soleils recouverts de fils d’or. Le souffle du vent semble transpercer l’écran pour venir jusqu’à nous s’ébrouer, délicat. On ressent physiquement une sorte de béatitude ouateuse. On a confiance, l’été sera voluptueux. Certes, les parents d’Adrian s’inquiètent de dettes à rembourser demain mais cela semble une formalité à résoudre, dans ce village à l’haleine saupoudrée de saveurs onctueuses, entre gens de raison qui s’expriment posément, la voix grave et tempérée, empreinte d’une douceur qui tranche bientôt avec leurs agissements.
Adrian se fait tabasser une nuit. On identifie les coupables mais on se trompe quant au mobile auquel on se refuse de croire. La dette ne constitue pas le prétexte au déferlement de sauvagerie : Adrian est « de l’autre bord ». Pédé. Une maladie qu’on décide de soigner par la religion. Ces gens de raison immodérés se liguent pour y parvenir, sur fond d'accommodements aussi douteux que pernicieux.
Adrian, accusé d'être l’enfant que la ville influence : seul contre tous, ces villageois vétustes et empêchés qui n’ont jamais écouté leur cœur.
Seul ? c’est sans compter sur quelqu’un qui dénonce les faits aux services sociaux de la ville…
Une histoire tristement banale, encore aujourd’hui, en 2024. Un film qui écartèle : civique et poétique, barbare et submergé de beauté.