L’amour ouf ! musical-comédie, de Gilles Lellouche (2h40)
Adapté du roman éponyme, de Neville Thompson.
En compétition officielle au Festival de Cannes 2024.
Un générique qui rappelle celui de la série "Dallas". En arrière plan, une explosion spectaculaire sur les docks.
Une bande-son qui retrace toutes les années de la génération X. D'Yves Simon à The Cure en guest ; on en redemande volontiers, again and again and again.
Des cabines téléphoniques, des socquettes à pompon. Des Bombers (en or). Des boules à facettes, des K7 et des walkmans. Des chaînes en argent à gros maillons et du Gin To. Du sang, de la sueur et du shit. Des liasses de francs qui s'accumulent comme dans le générique de la série "Amicalement Vôtre". Des éclipses solaires avec des lunettes en carton.
Des os qui se brisent et des mâchoires qui se crispent. Des flingues et des barres de fer.
De la castagne.
Et de l’amour.
Un amour ouf et inconditionnel, qui transcende la taule et les traumas. Qui traverse le temps. Un amour ouf, sans aucune scène de sexe, comme pour compenser avec celles d’une violence jamais suggérée.
Un casting de ouf. Parmi les nouvelles têtes du cinéma français, Jackie (lumineuse Mallory Wanecque) et Clotaire (magnétique Malik Frikah) enfants, si attachants, si ressemblants, si émouvants, si justes et si beaux. Ils en supplantent leurs personnages devenus adultes : Adèle Exarchopoulos et François Civil, crédible en mauvais gars en colère. Ils (Mallory et Malik) nous rendent nostalgiques : on revit nos premières fois, avidité intacte ; on se rappelle les moqueries et autres humiliations qu'il était impensable de dénoncer et qui forgeaient un sens de la répartie et une carapace ; l'amie qui sert de faire-valoir ; les insolences qui n'étaient pas punies, ni les cours séchés ; les rêves et l’ennui, les posters au mur des chambres, les portes qui claquent, l’insouciance et l'impatience, l’émotion à fleur de peau. On sourit, on renifle un peu.
Certaines scènes m’ont fait l’effet de clins d’œil cinématographiques inattendus. Grease, lors de la première éclipse. Ce moment où les bandes rivales, tout en testostérone, s’apprêtent à faire la course en bagnoles. Question de disposition, de mise en place, peut-être. Évidemment beaucoup de références au cinéma américain, plutôt réussies sans en rajouter, quelques autres qui tendent vers un ciné asiatique sanguinolent et ravageur. Successful french touch.
La photographie et le montage sont géniaux, avec des plans vraiment originaux, accompagnés de dialogues poétiques et de couleurs merveilleuses, même là où toute fantaisie a déserté. C’est filmé d’en bas, d’en haut, à l’envers, en latéral, de biais, en superpositions : comme si on découvrait une nouvelle manière de faire du cinéma. En accéléré, et au ralenti : on reprend son souffle.
C’est franchement réussi : on quitte la salle de cinéma avec l’envie d’être amoureux fou, à en courir sur une route cabossée d’un quai désaffecté par une nuit de pleine lune, avec un bad boy romantique étouffé, plus que noir. On en ressort avec le désir ardent qu’il se passe un truc de ouf dans notre vie, là maintenant, une rencontre brûlante, pour le reste de notre vie ou même pour quelques heures. Une rencontre plus forte que l’attente. Ce qu'on souhaite par-dessus tout : ne plus avoir à attendre.
Gilles Lellouche propose un univers riche et unique, qui emprunte à tous les genres, à toutes les histoires, des plus intimistes aux plus universelles, à toutes les époques. Ça paraît foisonnant, expérimental ? En vérité, il modèle l'ensemble en y ajoutant sa personnalité sensible, humble et ambitieuse, son sens de l'audace, de la facétie, du détail, de l’équilibre, de la loyauté (aux amis, au cinéma, à la vraie vie), et de l’amour, en rouge et bleu. Le film m'a carrément rendue ouf : la silhouette de Benoit Poelvoorde en mafieux vieillissant et lâche m'a fait penser à... Bruce Springsteen. Quant à Vincent Lacoste, un special poke, dans un rôle pas facile et -bémol du film- dont le personnage quitte la scène de manière un peu brusque et injuste.
Mon conseil : ne ratez pas la première scène du film, ultra-sanglante et pétaradante. À la fin, vous vous en souviendrez et vous vous direz : Et si... Ou plutôt : Et sans... amour ouf.